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– Ne me faites pas meilleure que je ne suis, madame. Si j’avais pu prévoir où l’on m’attirait et ce qu’on allait exiger de mon humilité, je ne serais pas devant vous à cette heure, croyez-le bien. C’est donc moi qui dois être reconnaissante d’un accueil que je n’avais pas le droit d’attendre.

– Mais enfin, avouez que vous rendez, sinon le bonheur, au moins la tranquillité à notre pauvre famille. Maurice, que votre abandon avait tué, renaît à la vie.

– Je n’ai point abandonné monsieur de Barthèle, madame; j’ai appris qu’il était marié, voilà tout. J’aimais monsieur de Barthèle à lui donner ma vie, s’il me l’avait demandée; mais à partir du moment où monsieur de Barthèle avait une femme dont mon bonheur pouvait faire le désespoir, monsieur de Barthèle ne devait et ne pouvait plus rien être pour moi.

– Comment! vous pensiez qu’il était libre? vous ignoriez qu’il était marié?

– Sur mon âme; et ce que j’ai fait sans vous connaître, madame, peut vous garantir à l’avance ce que je regarde comme un devoir de faire, maintenant que je vous ai vue.

Par un mouvement involontaire et rapide comme la pensée, Clotilde saisit la main de Fernande et la pressa vivement.

– Allons donc! s’écria madame de Neuilly, qui, depuis le commencement de la conversation, sans avoir pu entendre un mot de leur entretien, n’avait pas cependant un seul instant perdu les deux jeunes femmes de vue, et jusque-là n’avait rien compris à la réserve avec laquelle Fernande accueillait les avances qu’on lui faisait; allons donc! il ne faut pas être si humble, ma chère Fernande; quand vous auriez épousé tous les Ducoudray de la terre, vous n’en seriez pas moins la fille du marquis de Mormant.

L’arrivée des valets, qui venaient enlever le café et les liqueurs, ne permit pas d’entendre l’exclamation de surprise que poussa Maurice en faisant cette dernière découverte, qui lui apprenait le secret de l’amitié de pension qui régnait entre madame de Neuilly et Fernande. Fernande seule entendit et comprit cette exclamation étouffée, et son regard se détourna de Maurice pour qu’il ne pût pas lire dans ce regard le trouble de son âme, qu’elle était parvenue à surmonter jusqu’alors, mais qu’elle sentait enfin tout prêt à déborder.

CHAPITRE XIV

Un des caractères les plus remarquables de notre société moderne est ce vernis extérieur à l’aide duquel chacun voile au regard de son voisin le véritable sentiment qu’il a dans le cœur; grâce à la monotonie d’un langage noté jusque dans les moindres fioritures du savoir-vivre, chacun peut donner le change sur sa pensée; aussi, dans notre milieu social, le drame n’existe que dans les replis de l’âme ou devant la cour d’assises.

En effet, dans ce groupe gracieusement assis sous les branches pendantes et parfumées des lilas, des ébéniers et des acacias, il n’y a pour l’observateur, si profond qu’il soit, qu’un intérieur de famille dans son mouvement de tous les jours. Tous les visages sont calmes, toutes les bouches sont riantes, tous les sourires joyeux. Cependant fouillez au fond des cœurs, vous y trouverez toutes les passions avec lesquelles les poëtes modernes ont bâti l’édifice de leurs pièces les plus excentriques: amour, jalousie et adultère. Mais une nouvelle visite peut arriver, les valets peuvent aller et venir, rien n’aura trahi les préoccupations individuelles, qui disparaissent sous la contrainte imposée par l’usage: le visiteur croira qu’il a assisté à la réunion la plus innocente du monde: les valets se diront que leurs maîtres sont les gens les plus heureux de la terre.

C’est comme symbole des inextricables mystères du cœur humain que les Grecs inventèrent la fable du labyrinthe. Quiconque n’a point le fil d’Ariane s’y égare indubitablement.

Cependant la nuit envahissait peu à peu l’horizon, la brise plus fraîche agitait le feuillage. Le docteur crut prudent de faire rentrer Maurice; il manifesta son désir: chacun avait intérêt au déplacement qui se fit. En conséquence, à l’instant même on regagna le château, et il fut arrêté qu’on se réunirait de nouveau dans la chambre du malade, après lui avoir laissé le temps de se remettre au lit, sa sortie étant une de ces heureuses escapades que l’on ne pardonne que parce qu’elles réussissent. Il y eut alors un de ces moments de liberté générale où chacun sent le besoin de se soustraire pour quelques instants aux convenances longtemps observées. Madame de Barthèle et Clotilde accompagnèrent Maurice jusqu’à la porte de sa chambre. Fabien et Léon tirèrent chacun un cigare de leur poche et s’enfoncèrent dans le jardin. Enfin, au moment où madame de Neuilly entraînait Fernande vers le boudoir, M. de Montgiroux crut avoir trouvé le moment tant attendu, et, se penchant à son oreille:

– Madame, lui dit-il, puis-je espérer que vous daignerez venir au bosquet où nous avons pris le café? D’ici à une demi-heure, j’irai vous y attendre.

– J’irai, monsieur, répondit Fernande.

– Plaît-il? dit madame de Neuilly en se retournant.

– Rien, madame, répondit le comte; je demandais à madame si elle retournait à Paris ce soir.

Et, saluant les deux femmes, il s’éloigna pour aller rejoindre au jardin Fabien et Léon; mais à la porte du salon, il rencontra madame de Barthèle qui allait y rentrer.

– Où allez-vous, comte? dit celle-ci.

– Au jardin, madame, répondit M. de Montgiroux.

– Au jardin! êtes-vous fou, mon cher comte, et n’avez-vous point entendu ce que le docteur nous a dit de la fraîcheur de ces premières soirées de printemps?

– Mais ce qu’il en a dit, ma chère baronne, dit M. de Montgiroux, c’était pour le malade.

– Point, monsieur, point; c’était pour tout le monde. Il est donc de mon devoir de maîtresse de maison de m’emparer de votre bras, et, en femme jalouse de votre santé, de me faire conduire près de ces dames? Où sont elles? dans le billard ou dans la serre?

– Dans la serre, je crois.

– Allons les rejoindre.

Il n’y avait pas moyen de refuser une invitation faite de cette façon. Le pair de France obéit donc en rechignant, et se mit avec madame de Barthèle à la recherche de madame de Neuilly et de Fernande.

Pendant ce temps, Clotilde, qui avait laissé son mari aux mains de son valet de chambre, sortait de son appartement et descendait l’escalier le cœur rempli d’une vague tristesse. En se retrouvant seul avec elle, Maurice lui avait pris les mains, qu’il avait serrées tendrement, et s’était occupé à son tour de sa santé, lui qui, depuis huit jours, taciturne et indifférent, ne lui avait pas adressé la parole, – avec la même bienveillante inquiétude qu’elle avait prise pour de l’amour, et qui l’avait si longtemps maintenue dans une trompeuse sécurité. Voulait-il par ces soins l’abuser encore? La présence de la femme étrangère avait-elle produit ce retour? C’est probable. Jusque-là son ignorance des passions humaines l’avait donc faite le jouet d’une illusion. Ce qu’elle avait, dans le cœur de son mari et dans le sien, pris pour de l’amour n’était donc qu’une amitié un peu plus profane et un peu plus intime que les autres amitiés. À l’influence exercée par sa rivale, elle comprenait enfin ce que c’était qu’une véritable passion; elle n’avait pas plus inspiré d’amour à Maurice qu’elle n’en avait éprouvé pour lui. L’amour, ce n’était point cette affection calme, douce et tendre qui les avait unis réciproquement; c’était un sentiment qui rend la vie et qui donne la mort; c’était un bonheur brûlant, terrible, immense, et en se demandant quel était ce bonheur inconnu, des pensées étranges, nouvelles et lumineuses, traversaient le cœur de Clotilde en y laissant leur trace de feu.