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– Madame, dit-elle à demi-voix à la baronne, je vous ai donné, je l’espère, une grande preuve d’abnégation, j’ai consenti à tout ce que vous avez désiré de moi dans le cours de cette terrible journée; qu’exigez-vous encore avant que je me retire? je suis toute prête à le faire.

Cette demande, tombant chez la douairière au milieu d’une disposition d’esprit analogue à celle qui dominait la situation générale, l’embarrassa fort. Madame de Barthèle n’était plus soutenue dans ses rapports avec Fernande par la crainte de perdre son fils, qui était visiblement entré en convalescence; d’un autre côté, l’idée que la courtisane lui avait déjà enlevé, ou était sur le point de lui enlever le comte, murmurait des paroles d’égoïsme au fond de son âme; elle se repentait de ce premier mouvement de confiance qui lui avait fait renvoyer la voiture de madame Ducoudray, et, hors du danger, peut-être allait-elle céder à cette ingratitude si naturelle aux gens du monde envers ceux qu’ils regardent comme leurs inférieurs, et qu’ils croient, par conséquent, trop heureux de leur avoir rendu un service; peut-être allait elle proposer brutalement à madame Ducoudray de la faire reconduire à Paris dans sa propre voiture, lorsque Clotilde, qui vit l’hésitation de sa belle-mère et jugea la situation d’un coup d’œil, cédant aux instincts généreux de la jeunesse, s’empressa de s’emparer de Fernande.

– C’est à moi, madame la baronne, dit-elle, de faire maintenant à notre ami les honneurs de l’hospitalité.

Puis, se retournant vers son mari:

– Maurice, dit-elle, nous allons vous laisser; il est onze heures passées, il ne faut pas trop présumer de vos forces. Soyez calme, et songez que tout le monde ici fait non-seulement des vœux pour votre santé, mais encore pour votre bonheur.

Le silence, dans certaines situations devient plus éloquent qu’aucune parole qu’on puisse dire. Un doux regard et un faible soupir furent la seule réponse du malade, et cette réponse fut comprise tout à la fois de Clotilde et de Fernande.

Le pair de France seul était resté comme cloué sur son fauteuil, en proie qu’il semblait être à des réflexions profondes et au combat de résolutions contradictoires.

– Monsieur de Montgiroux, dit madame de Barthèle, n’êtes-vous pas aussi d’avis qu’il est temps de se retirer, et de laisser Maurice commencer sa nuit? Il doit, comme chacun de nous, et plus que chacun de nous, avoir besoin de repos, après une journée si agitée et si fatigante.

Le comte, tiré de sa somnolence fiévreuse, se leva, murmura quelques paroles qui semblaient la confirmation de la pensée émise par la baronne, et docile comme un enfant coupable, il sortit après avoir serré la main de Maurice et salué la baronne, Clotilde et Fernande.

Maurice exigea qu’on le laissât seul, affirmant qu’il n’avait pas de garde plus fidèle à espérer que sa propre pensée, avec laquelle il avait grand besoin de se retrouver à son tour, et que son valet de chambre, qui resterait dans la chambre à côté, et à portée du bruit de sa voix ou de sa sonnette, lui suffirait parfaitement. Le docteur, interrogé, n’eut pas de volonté à cet égard; il répondit qu’il fallait laisser le malade faire comme il l’entendrait, et ne le contrarier que pour les choses nécessaires; si bien que la mère, rassurée, n’insista point pour qu’il en fût autrement. Elle embrassa tendrement Maurice, tandis que Clotilde saluait son mari, d’un dernier regard et sortait pour conduire Fernande à son appartement; et bientôt dans cette demeure redevenue calme, en apparence du moins, au sein de la nuit silencieuse, le drame du cœur n’eut plus que des monologues.

Dans la lutte incessante des passions que fait naître l’égoïsme inhérent de la nature humaine, et qui, filles religieuses, l’alimentent à leur tour, la plus vivace entre toutes devait travailler intérieurement les cinq personnes qui habitaient encore le château de Fontenay, et surtout lorsqu’elles purent descendre en elles-mêmes dans la solitude et l’isolement, libres de toute obsession étrangère. Alors la jalousie, ou, réduisons le mot poétique à sa juste expression matérielle, alors l’amour de la propriété déploya ses ailes dans les espaces de la pensée, pour les replier ensuite avec précaution autour du nid où se couvent les plus chères espérances, où se concentrent, pour chacun, les biens qu’il regarde comme les plus précieux, où l’avare pond son or, où l’ambitieux réchauffe l’œuf sans germe des grandeurs, où l’amant renoue la chaîne brisée de sa constance; car depuis le jour où, pour la première fois, l’homme, dans le but de satisfaire ses appétits, étendit la main vers une proie, et s’assimila ce qu’il pouvait saisir, acquérir et conserver devinrent les deux principes corrélatifs de son existence. – Nos cinq personnages, retirés chez eux ou isolés par le départ des autres, agitaient donc dans la cellule de leur conscience respective la question individuelle, l’envisageant chacun à son point de vue particulier.

Le comte de Montgiroux, en sa qualité d’homme d’État, de législateur, de juge, d’amant et de vieillard, devait tenir à son droit de propriété comme à la plus importante des prérogatives que donnent le rang, la fortune et la position sociale, et s’y cramponner, par conséquent, avec toute l’énergie d’une volonté qui brille de sa dernière lueur. Or Fernande était maintenant pour lui la chose la plus précieuse, la chose qui lui tenait le plus au cœur, et surtout depuis qu’il la voyait ainsi convoitée et attaquée de tous côtés. Aussi, pour la conserver, était-il prêt aux plus grands sacrifices.

Il y avait deux moyens, selon le comte, de conserver Fernande.

Le premier, celui qui, naturellement, devait se présenter à un esprit faible et habitué à la soumission, était la ruse. Madame de Barthèle lui avait, le soir même, et dans son tête-à-tête au milieu du monde, glissé quelques mots de la nécessité de l’union qu’elle avait résolue; et le comte, qui l’avait d’abord mentalement repoussée de toutes les forces de son esprit, s’y était peu à peu habitué, en pensant que c’était un moyen de continuer avec Fernande la vie de mystère qui lui promettait le bonheur. Il ferait à madame de Barthèle la concession de devenir son mari, elle lui ferait celle de lui laisser sa maîtresse. M. de Montgiroux avait l’habitude des grandes transactions politiques et sociales.

Malheureusement, en adoptant cette ingénieuse combinaison, le bonheur du pair de France reposait toujours sur ce point douteux, l’adhésion de Fernande. Or, il connaissait assez Fernande pour croire qu’elle se prêterait difficilement à cet arrangement, quelque logique et convenable qu’il fut.

L’autre moyen était une des ressources qu’on repousse d’abord comme insensées, puis qui se représentent après avoir grandi dans l’éloignement où on les a repoussées, et qui, bientôt, reviennent grandissant toujours, jusqu’à ce qu’elles vous enveloppent d’une obsession éternelle, perdant chaque fois un peu de la terreur qu’elles vous inspiraient; enfin, après une lutte triomphante, elles vous apparaissent comme une chose redevenue naturelle de monstrueuse qu’elle était auparavant, et dont, à force de les lécher, la mère obstinée parvient à faire des oursons.

M. de Montgiroux avait si bien tourné et retourné ce projet informe et monstrueux dans sa pensée, qu’il avait fini par en faire une chose qui lui paraissait très-arrangeable; maintenant, le projet n’était autre que d’épouser Fernande.