Выбрать главу

– Il y a un fait positif, se disait-il en lui-même, c’est que je ne puis plus être heureux maintenant sans la possession de cette charmante femme, qui est devenue nécessaire à ma vie. Or, j’apaiserai plus facilement madame de Barthèle que je ne parviendrai à fixer Fernande. Si je dois me marier pour faire un acte de raison ou de folie, que ce soit au moins dans l’intérêt de mon bonheur et pour embellir mes dernières années. Fernande est une fille de bonne maison, d’un noble caractère, d’un esprit cultivé, qui sentira la grandeur du sacrifice que je fais pour elle. Devenue ma femme, elle se croira obligée, pour racheter ses fautes passées, de se conduire d’une manière irréprochable. Alors je ne craindrai plus de rivaux, si jeunes et si séduisants qu’ils soient. Maurice, surtout devra respecter la femme de son oncle, que dis-je? la femme de son père. Madame de Barthèle, une fois calmée, comprendra et fera comprendre à tous que j’agis ainsi dans l’unique but de rendre Maurice à Clotilde, et pour briser en lui les dernières espérances d’un fol et coupable amour. Fernande, dira-t-on, avait résisté; cela même fera bien dans le monde, que Fernande ait résisté à Maurice. Cette résistance avait produit un désespoir profond, un désespoir qui pouvait mener Maurice au tombeau. Ces considérations m’auront déterminé, j’aurai même tout l’honneur d’un grand dévouement. Madame de Barthèle elle-même donnera au monde ce bel exemple d’amour maternel et de respect humain. Notre conduite sera interprétée dans le sens le plus convenable, si nous savons choisir un de ces moments où la société est bien disposée. Enfin, cette aventure romanesque sera d’autant plus touchante, qu’elle contiendra plus d’invraisemblances. Je connais le monde, il croit tout ce qu’on veut lui faire croire, pourvu que les choses soient incroyables; c’est le meilleur parti, le parti auquel je dois m’arrêter, le parti qui concilie tout, et, par conséquent, le parti le plus sage. Je m’y arrête donc décidément. Ma vie publique appartient au pays. Et Dieu merci! pendant les quarante années que je lui ai données, j’ai fait assez de sacrifices à la patrie; mais ma vie privée est à moi seul, et je puis la diriger comme bon me semble. D’ailleurs, quand je serai heureux, que m’importe ce qu’on dira? et puis, combien de temps dira-t-on quelque chose? Mon mariage fera bruit huit jours avant, huit jours après sa célébration: on en parlera beaucoup pendant six semaines, on s’en occupera encore pendant un mois, par hasard, et quand la conversation tombera là-dessus. J’irai aux eaux avec Fernande; elle y sera charmante et séduira tout le monde. Je parlerai de mes projets de réception pour l’hiver, une fois par semaine, tantôt un bal, tantôt une soirée musicale. Je suis riche, j’aurai chez moi les plus jolies femmes et les meilleurs chanteurs de Paris: au bout de trois mois en se disputera mes invitations, et au moins de cette façon, j’aurai une maison, un ménage, un foyer domestique, bonheur dont j’ai été constamment privé, moi qui étais né pour les vertus intérieures de la vie intime. Ainsi, c’est décidé, je profite des émotions de la journée, qui ont dû mettre ma belle Fernande en disposition de m’entendre. Je connais tous les passages de la maison, un corridor seulement nous sépare: bientôt chacun dormira, et moi je profiterai du sommeil de tout le monde pour lui porter cette bonne nouvelle.

Nous devons ajouter, à l’honneur du pair de France, qu’il ne lui vint pas même à l’idée que Fernande pût refuser une offre aussi honorable et surtout aussi avantageuse que celle qu’il se proposait de lui faire. Dans son impatience, il parcourait la chambre en tous sens, prêtant de temps en temps l’oreille pour écouter, et guettant le moment où il pourrait sans imprudence faire sa visite nocturne.

Madame de Barthèle, de son côté, méditait sous l’influence de sentiments pareils. Il y avait de plus en jeu chez elle la vanité féminine, ce mobile si puissant, qu’il conserve à la vieillesse elle-même toute la chaleur et toute l’activité du jeune âge, et qu’il entretient les illusions du cœur à ce point de rendre ridicule chez les uns ce qu’on plaint ou ce qu’on admire chez les autres.

D’ailleurs la baronne, ainsi que nous l’avons dit, avait été d’une constance parfaite dans son infidélité; elle avait trahi le mari toute sa vie, c’est vrai, mais jamais l’amant. La confiance naturelle qu’elle avait en elle-même s’augmentait encore de ce respect gardé à la foi jurée, de telle sorte que, soutenue par ses travers dans l’espoir de conserver et par ses qualités dans la crainte de perdre, elle ne doutait pas de son pouvoir, surtout lorsqu’il s’agissait d’imposer sa volonté au comte de Montgiroux, qui, jusqu’à ce moment, au reste, n’avait jamais essayé que timidement de s’y soustraire.

Aussi la lueur qu’avait fait naître dans son âme la préoccupation du pair de France depuis le moment où madame Ducoudray était arrivée, lueur qu’avait changée en lumière éclatante l’apostrophe maligne de madame de Neuilly, mettait-elle la baronne dans un état d’exaspération facile à concevoir pour quiconque connaissait ce caractère primesautier, tout plein de mouvements irréfléchis et d’emportements mal calculés.

– Ah! l’ingrat, disait-elle, qui eût jamais cru cela de lui? ou plutôt c’est une révélation qui me prouve que mon aveuglement a été bien long et bien stupide. Oser s’occuper d’une autre femme, oser se montrer avec elle en public; car d’après tout ce qu’a dit Léon de Vaux, d’après tout ce que je me rappelle maintenant de demi-mots, échappés à M. Fabien, il s’est montré avec elle en public, et surtout le vendredi, dans sa loge à l’Opéra. C’est donc pour cela qu’il avait toujours réunion le vendredi soir, et qu’aujourd’hui même… Eh bien, mais c’est cela, il voulait absolument retourner à Paris, il en avait fait une condition de son séjour ici. Puis quand elle est arrivée, quand il a su qu’elle restait, il n’a plus parlé de départ. Ainsi madame de Neuilly ne se trompait pas, ainsi elle sait tout; elle sait que je suis sacrifiée à cette femme et elle va tout dire. Raison de plus pour que je tienne à mon projet. Notre mariage donnera un démenti solennel à tous les commérages faits ou à faire. Mais comprend-on quelque chose à cela? Cette femme qui refuse Maurice, jeune, beau, riche, élégant, pour donner la préférence à un homme de soixante ans! Allons donc, c’est impossible. Impossible, non, si cette femme est ambitieuse. Par exemple, qui dit qu’elle ne voulait pas pour amant un homme dont l’avenir fût libre? Qui dit que M. de Montgiroux, riche, titré, possédant une grande position sociale, n’est pas le but qu’elle s’est proposé pour clore sa vie de plaisirs et de fantaisies? Car enfin, cette madame Ducoudray, cette Fernande, cette mademoiselle de Mormant, c’est une courtisane; elle l’a dit elle-même. Ah çà! mais il faut que ces messieurs aient été bien hardis d’amener une pareille femme chez moi, et moi bien bonne de l’avoir reçue; car, enfin, je le répète, c’est… Avec cela que la sirène est d’autant plus redoutable qu’elle a de l’esprit, des manières distinguées, une éducation parfaite, qu’elle est charmante enfin, il faut bien que je me l’avoue à moi-même. Le péril est grand, je le sais, mais plus il est grand, plus il est de mon devoir de lutter, de conserver à Maurice la fortune de son oncle. Que dis-je, de son oncle! de son père. D’ailleurs, je me dois à moi-même de ne pas laisser une autre femme porter le nom qui m’est dû; il ne sera pas dit que je n’ai point inspiré au comte un amour éternel et exclusif. Je suis jalouse par convenance, bien entendu. Il ne pourra se refuser à me donner cette preuve de tendresse quand je le pousserai à bout. Quelle raison alléguera-t-il? quel reproche a-t-il à me faire? Non, il m’épousera, et cela le plus promptement possible. Je ne veux pas même qu’il tarde d’un jour à s’y disposer, et la nuit ne se passera pas sans que j’aie son engagement. Il est onze heures et demie, tout le monde sera bientôt endormi dans la maison, sa chambre est voisine de la mienne, j’irai le trouver.