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– Non, sans doute, et madame sera promptement satisfaite, mais que ferai je ensuite?

– Vous resterez en bas, dans l’antichambre, et vous m’attendrez. Il est bien entendu qu’à mon tour je pourrai sortir du château quand bon me semblera.

– Rien de plus facile, madame.

Le valet fit quelques pas pour s’éloigner, Fernande le retint.

– Pour expliquer mon départ, dit-elle, car vous ne pouvez rien entreprendre sans le secours d’un homme de la maison, vous direz que je ne suis pas bien portante, et que je pars sans bruit, ne voulant pas donner ici le moindre trouble.

– C’est à merveille, madame.

Restée seule, Fernande put alors à son tour réfléchir en toute liberté, et s’abandonner à l’élan de sa douleur, qu’elle contenait depuis si longtemps. Les émotions diverses qui s’étaient tour à tour emparées d’elle depuis le matin, et qu’elle avait combattues et vaincues tour à tour, se retrouvèrent alors vivantes dans son cœur, avec toute leur force primitive et avec toute l’âcreté des mouvements qui les y avaient fait naître. On eût dit que les espérances qui l’avaient bercée un instant, lorsque, descendue au jardin, elle s’apprêtait à aller joindre M. de Montgiroux au rendez-vous qu’il lui avait donné, lui infligeaient un juste châtiment. Le secret terrible qui s’était tout à coup dressé devant elle comme un obstacle insurmontable au moment où elle venait de concevoir la coupable pensée de prolonger un bonheur mystérieux, ouvrait sous ses pas un abîme plus effrayant que jamais. Placée entre le comte et Maurice, il ne lui était plus possible de voir l’un et de sourire à l’autre sans qu’une pensée d’inceste glaçât au fond de sa conscience le germe de toute tendre émotion. Elle avait méconnu un instant le sentiment qui la soutenait forte et fière dans la vie, et maintenant il lui fallait, par un sacrifice suprême et irrévocable, racheter ce mouvement.

– Non, non, murmurait-elle avec ce sourire triste des cœurs endoloris, non, je n’atteindrai pas à ce degré d’infamie; non, je ne m’exposerai pas davantage dans la lutte des passions. Ce jour, dans lequel se sont réunis pour moi tant de terribles enseignements, a marqué mes derniers pas dans cette existence exceptionnelle dont je n’ai jamais rougi comme à cette heure. Je ne puis maintenant aller plus loin que pour faillir davantage. Il ne faut pas exposer ce qui en moi est resté pur du contact de tout vice. Je veux expier les scandales que j’ai donnés au monde. Après avoir perdu le corps, je veux sauver l’âme.

En ce moment, la porte s’ouvrit doucement, et le valet de chambre de confiance de Maurice, qui cent fois avait été messager de leurs anciennes paroles d’amour, entra, une lettre à la main.

Cette lettre était ainsi conçue:

«Je revenais à la vie par vous, mais aussi pour vous, Fernande. N’éprouvez-vous donc pas, comme moi, le besoin de nous retrouver ensemble un moment, un seul, pour nous ranimer tous deux par l’espérance de l’avenir? Venez donc au chevet du lit du malade pour achever l’œuvre de sa guérison. Je vous avais juré cent fois que mon amour ne finirait qu’avec ma vie; je veux qu’une fois vous soyez convaincue que ma vie ne peut se prolonger que par mon amour. Venez donc; tout le monde dort à cette heure. Dans la maison, moi seul je veille, je souffre et j’attends.

» Maurice.»

– Dites à M. de Barthèle, répondit Fernande, que dans dix minutes je serai auprès de lui.

Mais, quand le valet eut quitté la chambre pour porter cette réponse à son maître, l’émotion de Fernande fut si vive, qu’elle tomba sur un fauteuil comme anéantie.

CHAPITRE XXIII

Fernande était depuis dix minutes immobile et pensive, lorsque M. de Montgiroux ouvrit la porte de sa chambre.

Elle était si loin de s’attendre à cette visite, qu’elle tressaillit avec un mouvement qui ressemblait à de l’effroi; et fixant sur le comte ses yeux étonnés:

– Vous, monsieur! s’écria-t-elle; que venez-vous faire ici, et que me voulez-vous à une pareille heure?

Et cependant Fernande, dont l’exclamation que nous venons de rapporter exprimait la terreur instinctive, ignorait qu’au moment où le comte de Montgiroux s’aventurait dans le corridor prudemment armé de sa bougie, madame de Barthèle, de son côté, ouvrait furtivement la porte de sa chambre, et se hasardait à venir trouver sans lumière le pair de France, auquel elle comptait présenter son ultimatum matrimonial; elle ne fut donc pas médiocrement étonnée de le voir lui-même sortir de sa chambre avec toutes les précautions d’un homme qui veut dérober une démarche hasardeuse. Un instant elle se flatta qu’il allait prendre le chemin de son appartement; mais, après avoir jeté un regard inquiet et scrutateur autour de lui, le pair de France prit au contraire un chemin tout opposé. Madame de Barthèle demeura aussitôt convaincue que le comte se rendait chez Fernande. Alors elle rentra chez elle, atteignit par une porte de dégagement un escalier dérobé, descendit cet escalier, remonta par un escalier de service, et pénétra dans le cabinet de toilette attenant à la chambre de Fernande. Cachée dans ce cabinet, l’oreille collée contre la porte de communication d’où elle pouvait tout entendre, elle écouta donc, frémissante de jalousie, cet entretien que le comte avait sollicité pendant toute la journée sans pouvoir l’obtenir, et qui s’entamait, de la part de Fernande, d’une façon qui indiquait que, si elle était disposée à l’accorder, c’était dans une autre heure et dans un autre lieu.

– Silence, madame, répondit le comte, ou du moins parlez bas, je vous prie; puisque vous n’avez pas compris pendant toute la journée l’impatience que j’éprouvais d’avoir une explication avec vous, puisque vous m’avez fait attendre inutilement au rendez-vous que je vous avais demandé, ne vous étonnez pas que je profite du moment où la retraite de tout le monde me permet de me trouver seul avec vous, pour venir vous demander la clef de tout cet étrange mystère qui depuis ce matin tournoie autour de moi sans que j’y puisse rien comprendre.

– Monsieur, dit Fernande, peut-être eussiez-vous dû attendre qu’un autre moment fût venu et que surtout nous fussions dans une autre maison que celle-ci, pour me demander une explication que j’aurais alors provoquée moi-même, mais qu’ici je me contenterai de subir. Interrogez donc, je suis prête à répondre à toutes vos questions. Parlez, j’écoute.

Et, en disant ces paroles, Fernande, prenant en pitié l’émotion peinte sur le visage de ce vieillard dont le cœur semblait souffrir à l’égal de celui d’un jeune homme, et qui, malgré son habitude de commander à ses sentiments, ne pouvait maîtriser ni ses yeux ni sa voix, Fernande, disons-nous, se leva, et, lui montrant un fauteuil à quelques pas d’elle, l’invita à s’asseoir.

M. de Montgiroux posa sa bougie sur un guéridon, et s’assit, subissant l’influence de la femme étrange devant laquelle il se trouvait, et ressentant au fond de son cœur la même émotion que s’il eût été sur le point de monter à la tribune pour se défendre, lui qui cependant venait pour accuser.

Aussi se fit-il un silence de quelques instants.

– Je vous ai dit que je vous écoutais, monsieur, dit Fernande.