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– Madame, lui dit le comte, sentant lui-même qu’un plus long silence serait ridicule, vous êtes venue dans cette maison…

– Dites que j’y ai été amenée, monsieur; car vous n’êtes pas à comprendre, je l’espère, que j’ignorais complètement où l’on me conduisait.

– Oui, madame, et je vous crois; ce n’est donc point là le reproche que je puis avoir à vous faire.

– Un reproche à moi, monsieur? dit Fernande; vous avez un reproche à me faire?

– Oui, madame; j’ai à vous reprocher la compagnie dans laquelle vous êtes venue.

– Me reprochez-vous, monsieur, de voir les mêmes personnes que veulent bien recevoir madame la baronne et madame Maurice de Barthèle? Il me semble cependant que voir la même société que voient deux femmes du monde n’a rien que d’honorable pour une courtisane.

– Aussi n’ai-je rien à dire contre ces deux messieurs, quoiqu’à mon avis l’un soit un fat et l’autre un écervelé. Seulement, je voulais vous demander si vous croyez que je puisse approuver les soins qu’ils vous rendent.

– Il me semble, monsieur, dit Fernande avec une expression de hauteur infinie, qu’il y a que moi qui doive être mon juge en pareille matière.

– Mais cependant, madame, peut-être, moi aussi, aurais-je le droit…

– Vous oubliez nos conventions, monsieur; je vous ai laissé indépendance entière, comme je me suis réservé liberté absolue. Ce n’est qu’à cette condition, rappelez-vous-le bien, monsieur, que nous avons traité…

– Traité! madame, quel mot vous employez là.

– C’est celui qui convient, monsieur. Une femme du monde cède, une courtisane traite; je suis une courtisane, ne me placez pas plus haut que je ne mérite d’être placée, et surtout ne me faites pas meilleure que je ne suis.

– Madame, dit le comte, en vérité je ne vous ai jamais vue ainsi; mais qu’ai-je donc fait qui puisse vous déplaire?

– Rien, monsieur. Seulement, comme vous devez le comprendre, votre visite me semble intempestive.

– Cependant, madame, il me semble à moi qu’au point où nous en sommes…

– Je crois devoir vous prévenir, monsieur, interrompit Fernande, que, tant que je serai dans cette maison, je ne souffrirai pas un mot, pas une parole qui puisse faire la moindre allusion aux relations que j’ai eues avec vous.

– Parlez moins haut, madame, je vous en prie, on pourrait nous écouter.

– Et alors pourquoi m’exposez-vous à dire des choses qui ne peuvent être entendues?

– Parlez moins haut, je vous en conjure, madame, vous voyez que je suis calme. Je viens à vous…

– Est-ce pour m’aider à sortir de la situation fausse où l’on m’a mise? Alors, monsieur, soyez le bien-venu. J’accepte vos services, je les implore même.

– Mais je ne puis rien à cette situation.

– Alors si vous n’y pouvez rien, monsieur, je ne dois pas, de fausse qu’elle est, la faire méprisable en vous recevant seul à une pareille heure. Songez que l’accueil que l’on m’a fait dans cette maison doit régler la conduite que j’y dois tenir, et la baronne et madame de Barthèle ont été trop gracieuses et trop convenables envers moi pour que j’oublie que l’une est votre amie depuis vingt-cinq ans et l’autre votre nièce.

– Eh bien, c’est justement parce que Clotilde est ma nièce s’écria le pair de France se rattachant à ce mot qui lui permettait de rester en donnant un autre tour à la conversation; c’est justement parce que Clotilde est ma nièce que je puis être alarmé de la funeste passion de mon neveu pour vous.

– Vous ne sauriez me l’imputer à crime. Lorsque M. de Barthèle me fut présenté, il me fut présenté comme libre de son cœur et de sa personne. Du moment que j’ai su qu’il était marié, j’ai rompu avec lui, et vous avez pu vous convaincre d’une chose, monsieur, c’est que je ne l’ai pas revu depuis le jour où j’ai eu l’honneur de vous rencontrer chez madame d’Aulnay.

– Mais par quelle combinaison diabolique avez-vous donc été conduite ici? reprit le pair de France; qu’y comptez-vous faire? quels sont vos projets pour l’avenir?

– Quitter cette maison cette nuit même, monsieur, n’y rentrer jamais, et s’il est possible, après avoir rendu M. de Barthèle à la vie, rendre sa femme au bonheur.

– Ainsi donc, c’est bien véritablement que vous avez renoncé à Maurice?

– Oh! oui, bien véritablement, dit Fernande en secouant la tête avec une indéfinissable expression de mélancolie.

– Et pour toujours?

– Et pour toujours.

– Tenez, Fernande, dit le comte, vous êtes un ange.

– Monsieur le comte…

– Oh! dites tout ce que vous voudrez, il faut que vous me laissiez vous exprimer tout ce que j’ai dans le cœur.

– Monsieur le comte…

– Vous me demandez pourquoi je suis venu ici, à cette heure, au milieu de la nuit, pourquoi je n’ai pas attendu à demain, dans un autre lieu, dans une autre maison; c’est que mon cœur débordait, Fernande; c’est que, pendant toute cette journée où je vous ai vue tour-à-tour si simple, si grande, si digne, si calme, si compatissante, si au-dessus de tout ce qui vous entourait enfin, j’ai appris à vous apprécier à votre valeur. Oui, Fernande, oui, cette journée m’a fait descendre plus avant dans votre cœur que les trois mois qui l’ont précédée, et votre cœur, je vous le répète, n’est pas celui d’une femme, c’est celui d’un ange.

Fernande sourit malgré elle à cet enthousiasme d’une âme à qui ce sentiment paraissait si complètement étranger, mais elle reprit aussitôt l’air froid et digne qu’elle s’était imposé.

– Eh bien, monsieur, tout cela ne me dit pas dans quel but vous m’avez fait cette visite, que je vois, je vous l’avoue, avec un sentiment pénible se prolonger si longtemps.

– Comment, reprit le comte, après la promesse que vous m’avez faite de renoncer pour jamais à Maurice, après ce que je viens de vous dire, vous ne devinez pas?

– Non.

– Vous ne devinez pas que je vous aime plus que vous n’avez jamais été aimée, car je vous aime de tous les sentiments qui sont dans le cœur d’un homme de mon âge; vous ne devinez pas que vous êtes devenue nécessaire au bonheur de ma vie, que maintenant que je connais le secret de votre naissance, que maintenant que je connais la noblesse de votre cœur, je n’ai plus qu’un souhait à faire, qu’un désir à former, qu’une espérance à voir s’accomplir, Fernande: c’est de vous attacher à moi par des liens éternels, indissolubles, car toute autre position entre nous qu’une position sanctionnée par les lois et la religion, me laisse à tout moment la crainte de vous perdre.

Fernande regarda un instant M. de Montgiroux en silence et avec l’expression d’une affectueuse pitié.

– Comment, monsieur! dit-elle, c’était pour cela que vous étiez venu?

– Oui, c’était pour cela. Je ne pouvais demeurer plus longtemps dans l’incertitude; je comprends que les événements d’aujourd’hui devaient nous séparer s’ils ne nous réunissaient. Fernande, partagez ma position; Fernande, partagez ma fortune; Fernande, acceptez mon nom.

Fernande leva les yeux au ciel, et, avec un accent dont Dieu seul avait le secret:

– Hélas! dit-elle.