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Puis, comprenant la nécessité d’expliquer sa conduite à celle à qui elle demandait une explication:

– Je passais, continua madame de Barthèle, j’ai vu cette porte entr’ouverte, j’ai craint que madame Ducoudray ne se fût trouvée indisposée, et, dans cette crainte, je suis entrée.

– Pourquoi n’est-elle pas dans cette chambre? murmura Clotilde les yeux fixes et répondant à ses propres pensées bien plutôt qu’à l’interpellation de sa belle-mère, où peut-elle être, si ce n’est chez Maurice?

– Chez Maurice! s’écria madame de Barthèle; et qu’irait-elle faire à cette heure chez Maurice!

– Eh! madame, dit Clotilde avec cet accent rauque de la jalousie qui, pour la première fois altérait sa voix, ne savez-vous pas qu’ils s’aiment?

Madame de Barthèle était trop préoccupée elle-même de sa propre situation pour remarquer la fixité du regard, la pâleur du visage et la vibration stridente qui avaient accompagné les paroles de Clotilde.

– Ce n’est pas probable, répondit-elle froidement.

– Et moi, madame, dit Clotilde en saisissant le bras de sa belle-mère et en le serrant avec force, je vous dis qu’elle est près de Maurice.

Madame de Barthèle regarda avec étonnement Clotilde, toute frémissante aux premières atteintes d’une passion qui, jusqu’alors, lui avait été inconnue.

– Eh bien, dit-elle, quand elle serait près de Maurice, qu’y aurait-il là dedans qui puisse vous bouleverser ainsi?

– Mais, vous ne comprenez donc pas que j’aime Maurice, moi? vous ne comprenez donc pas que j’en suis jalouse? vous ne comprenez donc pas que je ne veux pas qu’il aime une autre femme, ni qu’une autre femme l’aime?

Et Clotilde jeta ces paroles avec une sorte d’explosion concentrée qui porte la conviction dans l’âme de ceux à qui elle s’adresse.

– Jalouse! s’écria madame de Barthèle, jalouse? toi, Clotilde, jalouse?

Et madame de Barthèle, qui savait par expérience ce que c’est que la jalousie, pour en avoir fait dans la journée une longue épreuve, prononça ces paroles avec une terreur involontaire.

– Eh bien, madame, demanda Clotilde en regardant sa belle-mère d’un regard à la fois candide et enflammé, qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que je sois jalouse?

– Mais je ne savais pas…

– Ni moi non plus, dit Clotilde; je ne savais pas que cette femme occupât toute sa pensée, eût tout son cœur; je ne savais pas que son éloignement pouvait le tuer, je ne savais pas que son retour pouvait lui rendre la vie. Eh bien, je sais tout cela, maintenant, et ils sont ensemble!

– Mais non, ma pauvre enfant, dit madame de Barthèle, tu t’exagères la gravité de la situation. Hier, cependant, tu avais compris la nécessité de recevoir madame Ducoudray; c’est de ton consentement qu’elle est venue; tu devais bien t’attendre à cela, car tu savais qu’ils s’étaient aimés.

– Oui, sans doute; Mais je n’aimais pas, moi, mais je ne savais pas qu’il viendrait un moment où j’attacherais plus de prix à son amour qu’à sa vie. Oh! tenez, tout cela, madame, c’est ma faute. Je n’ai pas aimé Maurice comme j’aurais dû l’aimer, je ne l’ai pas aimé comme elle l’aimait, elle. Ma mère, il faut entrer dans la chambre de Maurice, afin qu’ils ne demeurent pas plus longtemps ensemble.

– Arrête, dit madame de Barthèle en saisissant Clotilde par le bras, arrête, mon enfant, et souviens-toi que Maurice n’est pas encore hors de danger.

– Le danger n’est plus le même, et c’en est un autre plus grand qui maintenant nous menace, je vous le dis. Ainsi, madame, venez avec moi, je vous prie, et montrons-nous.

– Mon Dieu! mais songe à ce que tu me proposes; c’est blesser toutes les convenances.

– Est-il dans les convenances qu’une étrangère soit chez moi en tête-à-tête avec mon mari, à une pareille heure.

– Mon enfant, crois-moi, j’ai plus d’expérience que toi, dit madame de Barthèle; crains, avant toute chose, de changer ta situation vis-à-vis de ton mari en rupture ouverte; la première querelle, dans un ménage, est la porte par laquelle entrent toutes les autres. Cette femme, dont jusqu’à présent nous n’avons pas à nous plaindre, cette femme à laquelle nous n’avons rien à reprocher, peut, blessée par notre défiance, vouloir se venger à son tour. Songe qu’elle n’est pas venue ici de son propre mouvement, songe qu’on l’y a attirée; rappelle-toi son émotion terrible quand elle a su où elle était, sa prière, ses efforts pour se retirer. C’est nous qui l’avons amenée, c’est nous qui l’avons retenue. Ce soir encore, elle voulait partir; c’est moi qui lui en ai ôté les moyens en lui enlevant sa voiture.

– Ils s’aiment, ma mère! ils s’aiment! reprit Clotilde en frappant le parquet du pied; ils s’aiment, et ils sont ensemble!

– Eh bien, dit madame de Barthèle, de la prudence. Voyons: ils sont ensemble, c’est vrai; mais cette entrevue a peut-être un but innocent, louable même.

Les lèvres de Clotilde se crispèrent sous le sourire du doute.

– Oui, je comprends, continua madame de Barthèle, mais éclairons-nous sur cette entrevue.

– Et comment, cela? demanda Clotilde.

– Pénétrons leurs secrets, afin de savoir quelle conduite nous devons tenir vis-à-vis d’elle.

Clotilde comprit.

– Épier mon mari! épier Maurice! dit-elle avec hésitation.

– Mais sans doute, répondit madame de Barthèle, à qui cette observation faite était un reproche innocent de la conduite qu’elle venait de tenir elle même; sans doute, cela ne vaut-il pas mieux qu’une esclandre?

– Et si j’allais acquérir la certitude qu’ils me trompent, ma mère! si j’allais entendre des plans d’avenir! J’aime mieux douter: j’en mourrais.

– Écoute, dit madame de Barthèle: j’ai meilleure opinion que toi de madame Ducoudray; viens, suis-moi, je réponds de tout.

– Mais, s’ils me trompent, ma mère! s’ils me trompent!

– Eh bien, alors il sera temps pour toi de prendre conseil de ton désespoir.

– Oh! il ne m’a jamais aimée! s’écria Clotilde éclatant en sanglots.

– Viens, mon enfant, viens, dit madame de Barthèle, qui, avec la bonté inhérente à son caractère, oubliait peu à peu ses propres intérêts pour se laisser prendre de compassion à une douleur véritable, à une passion réelle. Viens; tu sais que nous pouvons tout entendre en nous glissant derrière l’alcôve, et même, comme il y a une porte, nous pouvons tout voir. Mais, en vérité, continua-t-elle en entraînant la jeune femme presque malgré elle, je ne te reconnais plus, Clotilde. Allons, allons, venez: il faut avoir de la force dans les grandes circonstances.

Et bientôt les deux femmes, se tenant par la main, retenant leur haleine, marchant sur la pointe du pied, pénétraient dans l’alcôve, d’où, comme l’avait dit madame de Barthèle, elles pouvaient voir et entendre tout ce qui se passait dans la chambre de Maurice.

CHAPITRE XXIV

En effet, Clotilde ne s’était pas trompée. Aussitôt que le comte de Montgiroux avait quitté sa belle maîtresse, celle-ci, fidèle à son premier projet, avait écouté le bruit de ses pas, attendant que la porte de sa chambre se fermât derrière lui: alors elle était sortie de la sienne, avait marché droit à celle de Maurice, et y était entrée sans crainte, sans hésitation, comprenant qu’elle faisait ce qu’elle devait faire.