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– Vous vous rappelez que je le remarquai moi-même? Mais continuez.

– En effet, c’est par votre conseil que nous sommes venus à la campagne. Nous avions craint d’abord qu’il ne se refusât à quitter Paris; mais nous nous trompions: le pauvre garçon ne fit aucune difficulté, il se laissa conduire comme un enfant; seulement, en arrivant ici, malgré tous les souvenirs que devait lui rappeler cette maison, il s’enferma dans sa chambre, et, le lendemain, il fut forcé de garder le lit.

– Ah! mais j’ignorais que la chose fût aussi grave, dit le comte.

– Ce n’est pas le tout; le mal dès lors commença à faire d’effrayants progrès. Nous envoyâmes chercher son ami Gaston, ce jeune médecin que vous connaissez.

– Et que dit-il?

– Il l’examina à plusieurs reprises avec une grande attention; puis, me prenant à part: «Madame, me dit-il, connaissez-vous quelque sujet de grand chagrin à votre fils?». Vous comprenez que je m’écriai: «Un grand chagrin à Maurice? l’homme dans les conditions les plus heureuses de la terre?» Je lui demandai donc s’il était bien dans son bon sens, pour me faire une pareille question; mais il insista: «Je connais Maurice depuis dix ans, dit-il; Maurice n’a aucun vice d’organisation qui puisse amener la maladie qu’il a, c’est-à-dire une mena… mene… menin…»

– Une méningite?

– Oui, une méningite aiguë; c’est le nom de la maladie qu’a Maurice. «Il faut donc, continua Gaston, qu’il y ait chez lui une cause de trouble moral, et c’est cette cause que nous devons chercher. – En ce cas, m’écriai-je, interrogez-le vous-même. – Je l’ai fait; mais il s’obstine à me dire qu’il n’a rien, et que sa maladie est une maladie naturelle…»

– Alors je le verrai moi-même, dit M. de Montgiroux, et je tâcherai d’obtenir…

– Ce que moi, sa mère, j’ai demandé vainement, n’est-ce pas? D’ailleurs, c’est inutile, puisque maintenant nous savons ce qu’il a.

– Vous le savez? Mais alors dites-le-moi; commencez donc par là.

– Mon cher comte, permettez-moi de vous faire observer que vous n’avez pas la moindre méthode dans les idées.

– Je me résigne, baronne; allez, dit M. de Montgiroux en se renversant de toute sa longueur sur son divan, en étendant sa jambe droite sur sa jambe gauche, et en fixant ses yeux sur le plafond.

– La maladie continua de faire d’effrayants progrès, si bien qu’hier nous étions tous consternés; Maurice ne nous entendait plus, ne nous voyait plus, ne nous parlait plus; le docteur y perdait son latin; Clotilde et moi, nous nous regardions épouvantées. Voilà tout à coup qu’un valet imprudent… Oh! mon Dieu! c’est son imprudence qui nous a sauvés tous! Comte, il y a vraiment des hasards singuliers, et celui qui dirige tout d’en haut doit bien souvent prendre en pitié notre prétendue sagesse.

– Eh bien, ce valet? se hâta de demander le comte avec une brusquerie mal déguisée et en tournant vivement la tête du côté de madame de Barthèle.

– Il entra dans la chambre du malade, et, comme on avait fermé les rideaux pour éteindre le jour, sans voir les signes que nous lui faisions pour qu’il se tût, il annonça… J’aurais voulu pouvoir chasser ce valet.

– Il annonça?… reprit le comte décidé à tenir jusqu’au bout la conversation en bride.

– Il annonça deux amis de mon fils, Léon de Vaux et Fabien de Rieulle. Vous les connaissez, je crois?

– Sous d’assez tristes rapports, même, répondit le comte oubliant sa résolution de ne pas s’écarter de la ligne droite; deux jeunes fous, qui hantent mauvaise compagnie. Si j’avais comme vous quelque influence sur Maurice, je vous déclare que je ne lui laisserais pas voir ces deux messieurs.

– Comment, moi, mon cher comte, vous voulez que je dirige un homme de vingt-sept ans dans les connaissances qu’il doit faire? D’abord, Léon et Fabien ne sont pas pour Maurice des connaissances d’hier, ce sont des amis de six ou huit ans.

– Alors je ne m’étonne pas, continua M. de Montgiroux avec une mauvaise humeur dont rien ne motivait l’explosion, du triste état où se trouve réduit Maurice. Oh! mon Dieu! Ce secret, je vous le dirai, moi, si vous le voulez.

– Mais non, vous ne direz rien, vous ne savez rien; vous êtes injuste pour ces jeunes gens, voilà tout, et cela parce que vous avez le double de leur âge. Vous avez été jeune aussi, vous, mon cher comte, et vous avez fait ce qu’ils font.

– Jamais… Ce M. Fabien de Rieulle est un jeune homme qui fait parade de ses bonnes fortunes, qui non seulement séduit, mais qui, de plus, déshonore. Quant à l’autre, c’est un enfant à qui je ne reprocherai, comme à son ami, que de voir mauvaise compagnie.

– Mauvaise compagnie, mauvaise compagnie! reprit la baronne encore une fois entraînée à cent lieues du sujet de la conversation.

– Oui, mauvaise compagnie, je le répète et j’en suis sûr, reprit le comte, dont le calme ordinaire et calculé cédait malgré lui à une agitation fébrile qui n’échappa point à madame de Barthèle.

– La preuve n’est pas, je l’espère, que vous les rencontrez là où ils vont? dit vivement la baronne.

Le comte se mordit les lèvres par un mouvement involontaire, comme fait un ministre qui se laisse emporter à dire quelque vérité dangereuse au milieu de la verve de l’improvisation; mais, aussitôt, son sang-froid de pair de France reprenant le dessus, il répondit en souriant:

– Moi, madame! oubliez-vous que j’ai soixante ans?

– On est jeune à tout âge, monsieur.

– Avec mon caractère?

– Vous étiez à Grandvaux, monsieur! et, maintenant que j’y songe, quel intérêt avez-vous, voyons, à accuser ces deux pauvres jeunes gens, que je trouve fort aimables, moi?

– Quel intérêt? Vous le demandez, reprit sentimentalement le comte, quand Maurice est mourant, et que peut-être la situation dans laquelle il se trouve vient du mauvais exemple qu’ils lui ont donné!

– Ah! vous avez raison, cher ami, et voilà un motif qui excuse toutes vos préventions; mais ces préventions, sur quoi les fondez-vous? Voyons, car, si elles sont raisonnables, je les partagerai.

– Ces deux jeunes gens, dit le comte forcé de donner une explication, appartiennent à des familles distinguées, quoique celle de M. Fabien date d’hier.

– Noblesse de l’Empire, n’est-ce pas? dit madame de Barthèle en allongeant dédaigneusement les lèvres, noblesse de canon, qui s’en va en fumée.

– Pas même, pas même, s’écria le comte enchanté que madame de Barthèle lui donnât cette nouvelle occasion de se ruer sur Fabien, qui paraissait l’objet tout particulier de sa haine: noblesse de fourrage, baronnie de râtelier. Son père était magasinier en chef de je ne sais quoi.

– Mais tout cela est en dehors des accusations que vous portez sur ces jeunes gens, mon cher comte, et tous les jours, à la Chambre, vous serrez la main de gens qui sont partis de plus bas, et qui ont vendu bien autre chose que de la paille et du foin.

– Eh bien, puisqu’il faut vous le dire, je sais que M. Fabien tente des choses fort inconvenantes à l’égard d’une jeune et jolie femme.

– Que vous connaissez? dit vivement madame de Barthèle.