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– Vous le voyez, Fernande, dit le malade appuyé maintenant sur son coude et fixant ses yeux sur elle avec un regard humide d’attendrissement et un soupir de bonheur, vous le voyez, j’obéis comme un pauvre enfant sans force et sans volonté. Oh! mon Dieu! quelle femme ou plutôt quel ange êtes-vous donc? de quelle étoile êtes-vous tombée, et quelle faute commise par un autre sans doute, venez-vous, esprit de dévouement, expier dans notre monde, qui ne vous connaît pas parce qu’il n’a fait que vous voir passer et qu’il n’a pu vous comprendre?

Fernande sourit.

– Allons, dit-elle, le docteur se trompe en parlant de votre convalescence; il y a encore du délire. Maurice, revenez à vous et regardez les choses de ce monde sous leur véritable aspect.

– Oh! non, non, dit Maurice, et je suis en pleine réalité, Fernande. L’aspect sous lequel j’envisage les choses est bien leur véritable aspect. Depuis que je vous aime, c’est votre volonté seule qui a réglé mes actions. Vous m’avez banni de votre présence, j’ai voulu mourir; vous paraissez, et je renais. C’est vous qui êtes mon âme, ma force, ma vie; c’est vous qui disposez de moi en maîtresse absolue. Ce rôle, dites-moi, est-il celui d’une femme ou celui d’un ange?

– Ah! Maurice, répondit Fernande en secouant la tête, pour combien d’années de la vie ne voudrais-je pas qu’il en fût de moi comme vous dites, et que j’eusse cette suprême influence sur vous!

Et en effet, comme pour venir à l’appui de ce que disait Maurice, une teinte rosée se répandait sur les joues du jeune homme, ses lèvres se coloraient doucement. Ses yeux brillaient non plus de cette flamme sèche, lueur de fièvre, mais de ce doux reflet de la pensée qui se repose, de cet éclat intelligent, rendu plus vif encore par les larmes du bonheur.

– Car je suis en ce moment près de vous, Maurice, continua Fernande, pour imposer mon autorité, pour exercer mon empire, dans votre intérêt, dans celui de votre femme, dans celui de votre mère.

Et elle ajouta en appuyant sur cette dernière phrase:

– Dans celui de toute votre famille, enfin.

– Alors parlez vite, dit Maurice, que je sache ce que je dois craindre, ce que je dois espérer.

Le mouvement d’impatience que venait de manifester Maurice avertit Fernande du danger qu’il y aurait à parler sans ménagement. Ce qu’elle avait à lui dire était d’une telle importance, qu’elle ne put s’empêcher de tressaillir, car elle éprouvait un embarras extrême à la seule idée de troubler cette joie profonde qui avait presque miraculeusement rendu la force à cette jeune organisation affaiblie par la douleur. La santé, la vie, l’avenir de Maurice dépendaient de ce dernier entretien. Fernande perdit sa confiance, un léger frisson l’agita.

– Eh bien, s’écria Maurice, qu’y a-t-il donc? Vous gardez le silence, vous tremblez. Au nom du ciel, expliquez-vous, Fernande; Fernande, parlez, je vous en conjure.

Le courage est un céleste secours que Dieu a placé en nous pour nous soutenir et nous guider dans les occasions suprêmes, et qui vient en aide à la force physique quand elle fléchit. Voilà pourquoi les hommes justes sont ordinairement des hommes courageux. La justice n’est que la fille aînée du courage.

Fernande fit mentalement un appel à Dieu, et elle se sentit le courage de continuer, sans s’écarter de la voie qu’elle s’était prescrite, sans faillir à la mission qu’elle s’était imposée.

Seulement elle puisa des forces dans tout ce qu’elle crut pouvoir lui en donner, réunissant contre son propre cœur tous les moyens, non pas de combattre Maurice, mais de se combattre elle-même.

– Hélas! Maurice, dit-elle en sentant ses genoux trembler sous elle, n’allez pas croire que je sois plus forte que je ne le suis réellement. Non; quelque puissance qu’on ait sur soi-même, avec quelque volonté qu’on réprime ses instincts, il arrive toujours, dans les grandes catastrophes et à la suite de longues émotions, un moment où la résistance se trouve en défaut, où la fermeté qu’on oppose à la douleur se fatigue et plie, où les ressorts de notre frêle organisation se détendent, et où il semble que tout notre être va se dissoudre. La résolution soutient, mais elle use. Tenez, Maurice, je sens qu’il m’est impossible de rester debout plus longtemps, et je veux m’asseoir.

Maurice étendit le bras vers un fauteuil.

– Non, dit Fernande l’arrêtant, non. Deux fois, ce soir, j’ai vu votre femme, cette belle et chaste Clotilde, assise sur votre lit, tenant vos deux mains dans les siennes, interrogeant vos yeux de ses regards. Eh bien, c’est ainsi que je veux être. Le permettez-vous? Placée où elle était, et comme elle était, son souvenir me protégera. Je n’ai ni ses droits ni sa pureté, mais votre cœur m’a élevé un trône, mais vous m’avez dit que je régnais sur vous. Eh bien, je réclame de mon sujet l’obéissance et la soumission.

À ces mots, elle prit les mains de Maurice dans les siennes et les pressa, ainsi qu’elle avait vu Clotilde les presser; puis elle s’assit, elle la maîtresse purifiée, à la place où la femme qui avait failli se perdre s’était assise, et plongea son regard, animé d’une expression toute-puissante, dans le regard indécis de son amant.

Alors, appelant à elle la force magnétique du sentiment et de l’attraction, elle lui dit:

– Et maintenant que je suis forte et calme, Maurice, écoutez-moi.

Et Maurice, subissant l’influence d’une nature supérieure à la sienne, demeura dans une muette attention.

Depuis cinq minutes déjà, les deux femmes, la tête appuyée à la porte de l’alcôve, ne perdaient pas un mot de cet entretien.

CHAPITRE XXV

– Maurice, dit Fernande, laissez-moi d’abord vous remercier comme on remercie Dieu; les seuls jours heureux de ma vie, je vous les dois. Quand je serai seule, isolée et vieille, je me retournerai vers le passé, et la seule époque lumineuse de mon existence sera celle que votre amour aura éclairée. Quand je serai sur mon lit de mort et que mon repentir aura expié mes fautes, ce que je demanderai à Dieu, c’est un paradis qui ressemble à ces trois mois tombés du ciel.

– Oh! dit Maurice, merci pour ce que vous venez de dire.

Fernande sourit tristement en voyant le jeune homme se tromper si étrangement à ce début.

– Oui, Maurice, reprit-elle; mais ce qui fait que je remercie Dieu de cet amour, c’est que non-seulement il a éveillé mes sens, mais c’est surtout qu’il a retrempé mon âme; c’est qu’il m’avait fait oublier qu’il existait un monde corrupteur et corrompu, c’est qu’il m’inspirait à la fois l’oubli du passé et l’insouciance de l’avenir, c’est que pour la première fois je me sentais heureuse et fière du sentiment que j’éprouvais; c’est que ce sentiment était si pur, qu’il me relevait de mes fautes, si miséricordieux, que je les pardonnais à ceux qui me les avaient fait commettre. Je ne vivais plus qu’en vous, Maurice; vous étiez l’unique but de mes pensées. Je m’endormais dans de doux rêves, je m’éveillais dans de douces réalités. Mon bonheur était trop grand pour qu’il durât, mais je remercie le ciel de me l’avoir accordé; les regrets me tiendront lieu d’espérances, et je marcherai dans l’avenir les regards tournés vers le passé.