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» Aussi, quand je découvris que vous m’aviez trompée, Maurice, tout entière à ma douleur, aveuglée par elle, je ne compris pas que c’était pour vous une nécessité d’agir comme vous l’aviez fait. Je sentis que quelque chose se brisait dans ma vie; j’éprouvai l’amer besoin de la souffrance, et cependant la solitude et le silence m’effrayaient, car je me redoutais surtout moi-même. Il me fallait le bruit, l’agitation, la vengeance même. Malheureuse que j’étais, de ne pas songer que, lorsqu’on aime véritablement, c’est toujours sur soi-même qu’on se venge! Je voulus donc élever entre vous et moi une barrière insurmontable. Vous voyez bien, Maurice, que je vous aimais toujours, puisque je doutais ainsi de moi. Je me replongeai dans le désordre de ma vie passée. En votre présence, la courtisane avait disparu; mais je vous l’ai dit, vous étiez mon bon génie, Maurice: votre absence la fit revivre. Oh! je fus bien coupable, écoutez-moi, ou plutôt je fus bien folle. Au-dessus de cette misère qui parfois fait l’excuse des femmes flétries, je discutai avec un nouvel amant le prix de ma personne. – Oh! oui, oui, pleurez, dit Fernande au jeune homme, qui ne pouvait retenir un sanglot, pleurez sur moi, car j’atteignis alors à un degré de honte que je n’avais jamais atteint. Après avoir retrouvé le sentiment de la vertu, j’eus le cynisme du vice, j’affectai le luxe, je jouai la femme impudente, et par conséquent la femme heureuse.

» Eh! tenez, hier encore, quand, rieuse et sans remords, vos amis me conduisaient chez vous sans que je susse où j’allais, quand je venais briser mon apparente insouciance à l’angle de votre cercueil, aveugle que j’étais, je croyais encore à la possibilité d’une existence pareille; hier, repoussant le respect des usages que je gardais enfermé dans mon âme, oubliant les pieux enseignements donnés à ma jeunesse, franchissant, à l’aide de mon incognito les distances sociales, je suis entrée dans cette demeure la tête haute. Maurice, j’ai vu votre mère, j’ai vu votre femme, je vous ai revu, et toute mon impudence est tombée à mes pieds comme tombe au premier coup une armure mal jointe et mal trempée. Maurice, ce n’est point le hasard qui a conduit tout cela, qui a permis que ces hommes frivoles dont j’étais le jouet m’amenassent ici. Le secret que j’aurais voulu me taire à moi-même n’aura pas été divulgué inutilement; en vibrant tout haut, le nom de mon père a brisé le lien qui m’attachait à la honte, il a réveillé au fond de mon cœur le sentiment social que j’y avais refoulé, il m’a rendu le désir des actions nobles et la possibilité d’une vie pure. Maurice, j’avais eu le courage de vous cacher que j’étais une pauvre fille de noblesse qu’on avait poussée des hauteurs du monde dans les basses régions de la société. Je ne voulais pas que vous vissiez la distance que j’avais parcourue pour descendre où vous m’aviez trouvée; mais vous, cœur élevé et clairvoyant que vous êtes, vous l’aviez devinée, n’est-ce pas? Je n’avais jamais osé vous dire que mon pauvre père, mort sur le champ de bataille entre les bras d’un fils de France, appartenait à cette vieille noblesse toujours prête à verser son sang, sinon pour son pays, du moins pour son roi. J’ai retrouvé dans votre aristocratique maison mes aïeux, qui avaient le droit d’y être reçus en pairs et en égaux. Maurice, je les appelle à mon aide, je les évoque pour ma défense, et moi, en échange du secours qu’ils m’auront donné contre vous et surtout contre moi-même, oh! je leur promets du fond du cœur de laver avec mes larmes la tache que j’ai faite à leur blason.

Il y avait dans le langage de Fernande un tel mélange de poésie et de réalité, de simplicité et d’exaltation, que Maurice ne cherchait pas même à répondre; il regardait, il écoutait; cette situation de l’âme du jeune homme était trop favorable aux projets de Fernande pour qu’elle ne fît pas un effort sur elle-même pour en profiter. Remplaçant donc par un doux et mélancolique sourire cet éclair d’enthousiasme qui avait jailli de ses yeux en illuminant son visage, elle continua, en posant sa main sur le cœur du jeune homme:

– Me comprenez-vous maintenant, Maurice? Ce cœur que je connais si bon et si généreux, ce cœur que j’ai toujours senti battre sous ma main quand il s’est agi d’un de ces sentiments si délicats qu’ils échappent aux autres hommes; ce cœur comprend-il pourquoi Fernande, redevenue pour vous une chaste maîtresse, trompée par vous, s’est refaite courtisane?

– Oh! oui, oui! s’écria Maurice; aussi, Fernande, Dieu m’est témoin que, de tout ce qui s’est passé, je ne veux rien entendre, je ne veux rien savoir; que non-seulement je pardonne, mais encore que j’oublie.

– Oui, Maurice, oui, dit Fernande, j’accepte le pardon, mais je refuse l’oubli.

– Et pourquoi? mon Dieu! pourquoi? demanda Maurice.

– Parce que notre liaison n’était pas de ces liaisons banales, qui se rompent et qui se reprennent. Non, non, Maurice, fermez les yeux du corps, oubliez que vous avez là près de vous, assise sur votre lit, une femme jeune et que l’on dit belle: que votre cœur me regarde et m’entende. Maurice, nous rapprocher l’un de l’autre maintenant, ce serait plus qu’un crime, ce serait une profanation. Croyez-moi, ce que nous avons éprouvé, on ne l’éprouve qu’une fois. Les brûlantes extases se sont glacées pour ne plus renaître. Le délire de la passion, refroidi chez vous et chez moi par nos larmes mêmes, n’aurait plus son excuse. Maurice, soyez homme courageux comme je veux être femme sans reproche.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! dit Maurice entrevoyant pour la première fois le but véritable de Fernande, qu’il avait inutilement cherché pendant tout ce long discours. Mais savez-vous que ce que vous demandez là, c’est détruire à jamais notre liaison, et par conséquent ma seule, mon unique espérance? – Savez-vous, – oui, vous le savez bien, – savez-vous que mon amour, c’est ma vie?

– Je ne suis plus digne de votre amour, Maurice. J’ai voulu, en vous expliquant tout, laver l’âme et non le corps. Mon âme est toujours digne de vous, Maurice, car elle n’a failli que pour vous avoir trop aimé; mais la femme a appartenu à un autre.

– Oh! que m’importe, puisqu’en cédant à un autre, j’étais le seul que vous aimiez!

– Ne parlez pas ainsi, Maurice, ne parlez pas ainsi, reprit Fernande avec douceur; car je vous dis, moi, que tout rapprochement est impossible.

– Fernande, s’écria Maurice, il n’y a rien d’impossible avec la volonté.

– Maurice, dit Fernande avec un accent de froide résignation, Maurice, l’amant que j’ai pris après vous, savez-vous son nom?

– Oh! non, non, je ne le sais pas, et je veux toujours l’ignorer.

– Eh bien! je dois vous le dire, moi; cet amant, c’est M. de Montgiroux.

– Le comte! s’écria Maurice en joignant les mains, le comte de Montgiroux! Oh! madame, l’ai-je bien entendu?

– Le connaissais-je Maurice? L’avais-je jamais vu? répondit Fernande. Savais-je qu’il était votre père?

– Mon père! mon père! s’écria Maurice. Qui donc vous a appris cela?

– Pardon, Maurice, dit humblement Fernande en joignant les mains, je ne dénonce ni n’accuse, je ne répète que ce que madame de Barthèle lui disait à lui-même hier au soir.

Il sembla à Fernande qu’elle venait d’entendre un gémissement étouffé; elle regarda autour d’elle, mais comme elle ne vit personne, elle crut s’être trompée.

Alors elle reprit après un instant de morne silence:

– Comprenez-vous, Maurice, tout ce qu’il y a de terrible pour nous dans cette seule parole: M. de Montgiroux est votre père!