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– Ce n’est pas aux eaux que je vais, je n’ai pas besoin de toilettes.

– Alors c’est donc simplement un séjour d’une semaine ou deux que madame compte faire à la campagne?

– Faites ce que j’ordonne, et ne me questionnez pas, dit Fernande.

– Madame me dira au moins quelles robes et quels chapeaux je dois emballer.

– Je vous demande le linge qui m’est nécessaire, et rien de plus; une malle légère, un sac de voyage même me suffira.

– Mais madame aurait bien dû me prévenir à l’avance, dit la femme de chambre avec cette ténacité particulière aux valets.

– Et pourquoi cela, mademoiselle, je vous prie? demanda Fernande.

– Parce que je n’ai rien de prêt pour moi-même.

– Vous ne m’accompagnerez pas.

À cette réponse brève et sévère, les larmes jaillirent des yeux de la pauvre fille. Fernande, froide et grave avec les gens de son service, était cependant essentiellement bonne pour eux, et ses domestiques l’adoraient.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria-t-elle, est-ce que j’aurais eu le malheur de déplaire à madame?

– Non, dit Fernande, touchée de l’exclamation douloureuse avec laquelle la pauvre femme de chambre avait prononcé ces paroles; non, Louise; vous êtes une brave et digne fille, au contraire; vous m’avez servie avec zèle et dévouement, je vous remercie de tous vos soins. Soyez tranquille, je ne serai point ingrate; mes derniers ordres vous seront transmis par mon notaire.

– Mais enfin, madame, pardon si je questionne encore, mais il me semble que cette demande est indispensable; quand M. le comte viendra que lui dirai-je?

Fernande rougit jusqu’au blanc des yeux; puis, reprenant sa puissance habituelle sur elle-même:

– Vous lui direz, Louise, que j’ai quitté Paris ce matin pour n’y revenir jamais.

La femme de chambre joignit les mains avec un geste désespéré.

– Maintenant, dit Fernande, faites un trousseau de toutes mes clefs et donnez-le-moi.

La femme de chambre obéit et remit le trousseau à sa maîtresse, qui lui ordonna de la laisser seule.

Elle se retira.

Fernande alors alla ouvrir, avec une petite clef de vermeil qu’elle portait à sa châtelaine, le tiroir d’une charmante table en bois de rose incrustée de porcelaine de Sèvres; elle y prit un petit sachet de satin blanc brodé de perles et fermé par une agrafe, et le mit dans son corset. C’était dans ce sachet qu’étaient renfermées les quelques lettres que Maurice lui avait écrites pendant leur courte liaison; puis elle referma le tiroir, y plaça le trousseau de clefs, alla ouvrir un secrétaire, brûla tous les papiers qui s’y trouvaient, prit un petit portefeuille contenant cinq ou six mille francs en billets de banque, et mit dans sa poche une cinquantaine de louis qu’elle retrouva au fond d’un tiroir. Bientôt on vint lui annoncer que sa voiture était prête, elle s’enveloppa d’un grand manteau, descendit, et ordonna de toucher droit chez son notaire.

Il y a des notaires de femmes, comme il y a des médecins de femmes; le notaire de Fernande était un élégant jeune homme de trente à trente-quatre ans, dont le cabinet ressemblait infiniment plus au boudoir d’un petit maître qu’au sanctuaire d’un légiste; c’était un de ces rares privilégiés qui ont payé leur étude sans avoir eu besoin de spéculer sur une dot, de sorte qu’ayant eu le bonheur de rester garçon, il avait conservé le privilège de la galanterie avec ses clientes. Un instant séduit comme tout le monde par le charme invincible qui enveloppait Fernande, il avait essayé de lui plaire et avait conçu l’espoir de réussir; mais bientôt, s’apercevant de l’inutilité de ses tentatives, il avait pris gaîment son parti de cette défaite, et, transformant ses espérances amoureuses en affection sincère, il était devenu, non-seulement le confident des intérêts matériels, mais encore l’ami de Fernande.

Elle le trouva donc debout, quoiqu’il fût sept heures du matin à peine, car inquiet de ce message, et surtout de l’heure insolite à laquelle il lui était parvenu, il avait sauté en bas de son lit, et s’était hâté de se mettre en état de recevoir Fernande.

– Que signifie cette visite matinale, ma chère cliente? lui dit-il. Hâtez-vous de me rassurer, car vous me voyez on ne peut plus inquiet, surtout si vous êtes déjà levée; si vous n’êtes pas encore couchée, c’est autre chose.

– Eh bien, soyez tranquille, mon cher tabellion, dit Fernande en souriant d’un air triste, je ne suis pas encore couchée.

– Alors, je suis moins inquiet; maintenant, asseyez-vous, et contez-moi l’affaire à laquelle je dois le bonheur d’un si charmant réveil.

Et il approcha d’une cheminée élégamment habillée de velours un grand fauteuil à dossier rembourré, poussa sous les pieds de Fernande un coussin de tapisserie, et s’assit en face de la jeune femme.

– Écoutez-moi, dit Fernande; vous êtes plus que mon conseil, vous êtes mon ami; c’est à vous seul que je puis confier mes projets, car je vous sais discret comme un confesseur. D’ailleurs, je vous préviens que vous seul saurez ce que je vais vous dire. Si je suis trahie, la trahison viendra donc de vous.

– Oh! mon Dieu! mais savez-vous que voilà un début qui me rend à ma terreur première? Vous êtes ce matin d’une solennité effrayante.

– C’est que je viens de prendre une grande résolution, mon cher ami, une résolution irrévocable; je commence par vous prévenir de cela afin que vous n’essayiez pas même de la combattre.

– Et laquelle, bon Dieu! entrez-vous aux Carmélites?

– J’en ai d’abord eu l’idée, dit Fernande en souriant; mais vous savez que je suis l’ennemie de toute exagération. Non, je me contente de quitter Paris pour ne plus y revenir… Pas un mot, cher ami, rien ne saurait être changé à ma détermination. Vous connaîtrez seul le lieu de ma retraite; je vais habiter le domaine que vous avez acheté pour moi, et dans lequel vous savez que je voulais me retirer quand je serais vieille. J’avance de quelques années une solitude prévue, voilà tout; je pars sans regret. Maintenant, voyons ce que je possède; parlez-moi de mes affaires de fortune. Vous voilà bien surpris, n’est-ce pas? C’est la première fois que je vous tiens ce langage; j’ajouterai que, si je suis riche, c’est à vous que je dois cette position, qui me permet de vivre indépendante: ma reconnaissance vous est donc complètement acquise.

Il y avait tant de calme dans le maintien de Fernande, son langage était si précis et si nettement accentué, que le notaire baissa la tête en signe d’adhésion forcée. Il prévit que devant une pareille résolution il n’y avait pas une observation à faire, et, sans dire un mot, il alla chercher le carton où se trouvaient les dossiers relatifs à la fortune de sa cliente; puis, donnant à sa figure une expression grave dans laquelle on eût vainement cherché le moindre reste de galanterie, il prit la parole en notaire, en dépositaire de titres, en confident de transactions financières, sans embarrasser l’explication nécessaire d’une seule observation inutile.

– Ainsi, dit-il, vous voulez savoir positivement ce que vous possédez en biens meubles et immeubles?

– En tout, cher ami.

– Primo: le domaine acquis en votre nom depuis déjà deux ans, augmenté des terres récemment achetées.