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– Quel est le rapport du tout?

– Vingt mille francs par an; tous les baux ont été renouvelés au mois de novembre dernier.

– Après?

– Secundo: reconnaissance d’une somme de cent cinquante mille francs, prêtée sur première hypothèque au taux légal de 5 du 100.

– Ce qui fait par an?

– Sept mille cinq cents francs.

– Mais savez-vous, mon cher ami, que je suis véritablement riche? dit Fernande.

– Attendez donc.

– Comment, ce n’est pas tout?

– Tertio: en rentes sur l’État, 3 pour 100 et 5 pour 100, huit coupons s’élevant ensemble à dix mille francs de rente, qui, ajoutés aux vingt mille francs du domaine et aux sept mille cinq cents francs susdits, forment un capital de trente-sept mille cinq cents francs de rente libre de toutes charges et impôts. Voici, chère amie, l’état exact de votre fortune: êtes vous contente?

– Je suis émerveillée; elle dépasse de beaucoup ce que je croyais avoir. Maintenant, cher ami, écoutez bien mes dernières instructions. Voici une note des choses que je désire recevoir; vous voyez qu’à part une chambre tout entière, que je veux recevoir là-bas, lits, tableaux, tentures et meubles, telle qu’elle est enfin, je ne vous demande que mon piano, ma musique, mes livres, ma boîte à couleurs, mon chevalet, mes statuettes et mes esquisses.

– Mais tout le reste, qu’en ferons-nous?

– Attendez; voici la clef de ma petite table de bois de rose, qui faisait toujours votre admiration, et qui de ce moment est à vous; vous trouverez dans le second tiroir mes bijoux et mes diamants, vous les vendrez au plus honnête joaillier que vous connaissez. Je vous dis cela parce que ce n’est plus moi qu’il volerait, mais les pauvres de ma paroisse, à qui le produit de cette vente est destiné.

Le notaire s’inclina.

– Et les autres meubles? dit-il.

– Vous les vendrez aussi, mais non en vente publique; en bloc, à Montbro ou à Cansberg, chez lesquels je les ai achetés presque tous. Sur ce produit, vous prélèverez pour tous mes domestiques une année entière de gages, que vous leur donnerez en mon nom.

– Très-bien, et le reste?

– Le reste, vous le placerez. Quant à ma garde-robe, sans exception aucune, elle appartient à mes femmes de chambre. Je suis désormais morte au monde. La femme que vous avez connue, continua Fernande en voyant le mouvement de surprise du notaire, a cessé de vivre, mais il en existe une autre qui succède à celle-là, qui répudie toutes ses mauvaises pensées, qui hérite de tous ses bons sentiments, et celle-là, croyez-le bien, ne perdra jamais le souvenir de votre bienveillance. Maintenant, n’est-il pas nécessaire que pour tout cela je vous remette une espèce de procuration, un pouvoir, un papier quelconque?

– Certainement, dit le notaire; mais, continua-t-il, ne pouvant repousser entièrement le sentiment du doute, vous changerez peut-être d’avis, et il serait prudent d’attendre.

– Vous voulez que je me soumette à un temps d’épreuve, soit, je ne demande pas mieux. Donnez-moi cette procuration en blanc; nous sommes aujourd’hui le 8 mai, d’aujourd’hui en six semaines, vous la recevrez. Êtes-vous content? Maintenant, procurez-moi pour cinq ou six mille francs d’or, envoyez chercher des chevaux de poste avec ce passe-port qui n’est pas encore expiré; qu’ils prennent en passant ma calèche de voyage chez mon carrossier, et viennent m’attendre à votre porte.

Le notaire s’apprêtait à faire des objections sur ce prompt départ, Fernande poursuivit:

– À Paris, on a tout ce qu’on veut et quand on le veut: donnez donc des ordres, je vous prie; vous avez assez d’amitié pour moi, je le sais, pour me pardonner d’en agir ainsi avec vous.

Le notaire ne fit plus aucune objection; son valet de chambre, homme discret et intelligent, fut chargé de toutes ces commissions; puis il revint s’asseoir auprès de sa belle cliente, et la regardant avec une expression de douce pitié:

– Que s’est-il donc passé, pauvre amie? lui demanda-t-il.

– Ce qui s’est passé? reprit Fernande, ce qui devait se passer un jour ou l’autre avec le caractère que vous me connaissez. Une émotion violente a fait naître dans mon âme une résolution forte. Vous savez bien, mon ami, que j’ai toujours aimé à vivre dans l’indépendance d’une vie régulière. Eh bien, le moment est venu. Hier, j’étais encore plongée dans les ténèbres; tout à coup un éclair a lui, illuminant un temps plus heureux; je me suis rappelé qui j’étais et ce que je devais être, ma résolution a été prise et accomplie sans secousse, et quelque étrange, quelque inattendue qu’elle soit comme elle est irrévocable, je suis calme, vous le voyez, presque heureuse même. Eh bien, si, ce que je ne crois pas, l’ennui se fait sentir, je reviendrai demander à cette grande ville des distractions permises, je me ferai homme, homme mûr et raisonnable, puisque je ne dois goûter ni le bonheur du mariage ni les joies de la maternité; c’est le seul parti qui me reste à prendre: pas un mot à cet égard, mon ami; il se pourrait qu’un homme fût assez fou pour vouloir m’épouser; moi je serai toujours assez prudente pour ne jamais accepter aucune proposition de ce genre; je ne dois pas oublier qu’on pourrait un jour faire rougir le front de mes enfants au souvenir de ce que fut leur mère.

Et de sa main blanche, aux doigts déliés, elle alla chercher la main un peu tremblante du notaire.

– Eh bien, mais, dit-elle, encouragez-moi donc dans mes bonnes résolutions; ne m’avez-vous pas entendu plus d’une fois établir cette théorie?

– Oui, reprit-il, mais je n’avais jamais cru vous la voir mettre à exécution.

– Vous étiez hier à l’Opéra? dit Fernande changeant brusquement non-seulement de sujet de conversation, mais encore de voix et de maintien; qu’y disait-on?

– On y remarquait votre absence.

– En vérité! alors que dira-t-on demain? que je suis partie pour Londres ou pour Saint-Pétersbourg? Laissez dire, mon ami, et n’oubliez pas que mon secret est confié à votre probité; laissez dire, et, si un jour vous vous ennuyez de l’absence de votre ancienne amie, et que les testaments et les contrats de mariage vous laissent une semaine, venez me voir dans mon ermitage.

– Fernande! Fernande! je crains bien que vous n’éprouviez de tristes déceptions.

– Que voulez-vous! en tout cas, il n’y aura pas à s’en dédire, car j’aurai quitté Paris par-devant notaire. Ah! vous souriez enfin, mon cher tabellion; vous êtes tellement mondain que je ne trouverai, je le vois, grâce de ma raison à vos yeux qu’en vous disant des folies. Qu’à cela ne tienne; j’ai l’esprit assez libre pour vous tenir tête. Il y a plus: comme vous êtes garçon, et que je n’éveillerai, par conséquent, la jalousie de personne, donnez-moi à déjeuner, là, au coin du feu, des côtelettes et du vin de Champagne frappé.

– Non, non, pauvre folle! s’écria le notaire les yeux pleins de larmes à la vue de cette gaieté factice; non: vous vous agitez vainement, je devine ce que vous ne voulez pas dire. Il y a quelque passion bien profonde et bien malheureuse sous votre sourire; quelque infidélité d’un homme que vous aimez, quelque rupture, n’est-il pas vrai? Avouez-moi cela; voyons, je vous en supplie. Vous savez combien je vous suis dévoué; mes conseils viendront du cœur. Ce ton dégagé, ce langage frivole vous sont d’ordinaire si étrangers, qu’ils vous trahissent en ce moment. Vous voulez déguiser quelque chagrin qui vous ronge le cœur, vous essayez de vous punir des perfidies d’un amant. Parlez, parlez, je vous en prie au nom de notre ancienne amitié. Je puis tout réparer peut-être: la vérité, Fernande, la vérité!