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– Nullement; mais je connais un galant homme qui porte intérêt à cette femme, et que les assiduités de ces messieurs obsèdent fort.

– Et ce galant homme, vous le nommez?

– Ce serait une indiscrétion que de satisfaire à votre demande, chère baronne, reprit le comte en se maniérant; car ce galant homme…

– Est marié? demanda madame de Barthèle.

– À peu près, répondit M. de Montgiroux.

– Bien, dit la baronne en se croisant les bras et en couvrant le comte d’un regard moqueur. Bien, voilà qui peut servir de réponse aux détracteurs de la pairie. En vérité, nos hommes d’État sont de hautes capacités, puisqu’ils peuvent unir dans leurs vastes cerveaux un petit scandale de boudoir à d’importantes questions parlementaires.

M. de Montgiroux prévit l’orage qui allait gronder, et se hâta, en guise de paratonnerre, d’élever un trait de sentiment.

– Chère baronne, dit-il, vous oubliez que c’est de notre cher Maurice qu’il s’agit, et pas d’autre chose.

À cette exclamation, le cœur de la baronne se fondit, et l’amante redevint mère.

– Si j’étais jalouse, dit-elle ne pouvant, cependant, rompre ainsi tout à coup avec les soupçons qu’elle avait conçus, je croirais que vous n’êtes pas si désintéressé que vous le dites dans l’opinion que vous avez émise sur ces deux jeunes gens; mais je suis généreuse, et, d’ailleurs, je vous l’avoue, dans ce moment-ci, mon cœur est tout à Maurice. Mon fils entendit donc nommer Léon de Vaux et Fabien de Rieulle, quoiqu’il parût ne plus rien entendre; il vit le mouvement que je fis, quoiqu’il parût ne plus rien voir, et, au moment où nous le croyions assoupi, il se retourna vivement pour ordonner qu’on les fît entrer.

– Leur nom avait, à ce qu’il paraît, produit une révolution? dit gravement le comte.

– Justement, et cela me raccommode un peu avec elles.

– Les révolutions sont des commotions électriques qui galvanisent jusqu’aux cadavres! s’écria le pair de France, ni plus ni moins que s’il eût été à la Chambre.

Puis, s’arrêtant tout à coup avec le calme parlementaire d’un orateur que le président vient de rappeler à l’ordre, il se drapa dans sa dignité, en laissant tomber ces seules paroles:

– Continuez, chère amie, je vous écoute.

– Maurice ordonna donc qu’on les fit entrer; je regardai le docteur, il me fit un signe affirmatif; puis, lorsque j’eus répété l’injonction de Maurice, il se pencha à mon oreille: «Bien! dit-il, voilà un bon mouvement; laissons-le seul avec ses amis; peut-être, plus au courant de sa vie que vous-même, savent-ils le secret qu’il nous cache. Nous les interrogerons en sortant.» Je pris la main de Clotilde, et nous nous retirâmes dans le petit cabinet à côté; le docteur nous suivit et ferma la porte. Au moment même, on introduisait ces messieurs près du malade. «Maintenant, mon cher monsieur Gaston, dis-je au docteur, ne trouvez-vous pas que, pour notre plus grande sécurité, nous ne ferions pas mal d’écouter la conversation de ces messieurs? – Vu la gravité de la circonstance, répondit le docteur, je crois que nous pouvons nous permettre cette petite indiscrétion.» Êtes-vous de l’avis du docteur, mon cher comte?

– Sans doute; car je présume que le secret de Maurice n’était point un secret d’État.

– Nous sortîmes donc par le cabinet, et nous revînmes nous cacher derrière la petite porte de l’alcôve, qui, plus rapprochée du lit, nous permettait de mieux entendre.

– Et ma nièce était avec vous? demanda le comte.

– Oui. Je voulus l’éloigner; mais elle résista. «C’est mon mari, dit-elle, comme il est votre fils; laissez-moi donc écouter avec vous; et, soyez tranquille, quel que soit ce secret, je serai forte.» En même temps, elle me prit la main, et nous écoutâmes.

– Continuez, baronne, continuez, dit le comte; car vraiment votre récit a toute l’invraisemblance, mais aussi tout l’intérêt d’un roman.

– Eh! mon Dieu! s’écria madame de Barthèle profitant de l’occasion pour divaguer selon son habitude, tout ce qui se passe aujourd’hui ne paraît-il pas incroyable? et si, il y a vingt ans, on nous avait raconté ce que nous voyons tous les jours, ce que nous touchons du doigt à chaque instant, dites-moi, n’auriez-vous pas crié à l’impossibilité?

– Oui; mais depuis vingt ans, dit le comte, je suis si fort revenu de mon incrédulité, qu’aujourd’hui j’ai le défaut de tomber dans l’excès contraire. Continuez donc, chère amie; car, véritablement, je suis on ne peut plus curieux de connaître le dénoûment de cette scène.

– Eh bien, lorsque nous commençâmes à écouter, attendu le temps que nous avions perdu à faire le tour de la chambre, et les précautions que nous avions été obligés de prendre pour n’être point entendus, la conversation était déjà commencée, et Léon de Vaux raillait Maurice d’un ton si goguenard, que j’ai failli en perdre patience.

» – Que veux-tu! dit Fabien, il est fou.

» – Cela peut être, dit Maurice, mais cela est ainsi. Je crois que cette femme est la seule que j’aie véritablement aimée, et, quand j’ai rompu avec elle, il m’a semblé que quelque chose s’était brisé en moi.

» – Eh bien, mais, mon cher, dit Fabien, je l’ai fort aimée aussi, moi. Nous l’avons aimée tous, pardieu! mais, quand tu m’as succédé dans ses bonnes grâces, je n’en suis pas mort pour cela, moi. Tout au contraire, je lui ai demandé à rester de ses amis, et je suis de ses meilleurs.

» – Vous comprenez la situation de la pauvre Clotilde pendant ce temps-là, dit la baronne. Je sentis sa main devenir humide, puis se crisper dans la mienne. Je la regardai: elle était pâle comme la Mort. Je lui fis signe de s’éloigner, mais elle secoua la tête en mettant un doigt sur sa bouche. Nous continuâmes donc d’écouter.

» – Si tu avais pris la chose comme moi, mon cher, continua Fabien, et comme la prendra, je l’espère, quand son tour sera venu, Léon que voici, tu serais resté comme moi l’ami de la maison.

» – Impossible! s’écria Maurice, impossible! après avoir possédé cette femme, je n’aurais pu froidement la voir passer dans les bras d’un autre. Cet autre, quel qu’il fût, je l’aurais tué.

» – Ah! c’eût été beau, un duel à propos de cette créature! répondit Fabien.

– Mais de quelle femme parlaient-ils donc? s’écria M. de Montgiroux.

– C’est ce que j’ignore, reprit la baronne: soit hasard, soit précaution, pas une seule fois son nom ne fut prononcé.

– Une autre femme que la sienne! Maurice aime une autre femme que ma nièce! continua le comte, et Clotilde est dans la confidence de cet amour! et vous n’êtes pas indignée, vous, baronne!

– Eh! monsieur le rigoriste, est-ce qu’on est maître de son cœur? L’amour est une maladie qui nous vient on ne sait comment, qui s’en va on ne sait pourquoi.

– Oui; mais il est impossible que Maurice soit malade d’amour.

– Il l’est cependant. Tenez, demandez plutôt au docteur, que voici.

– Comment! docteur, s’écria M. de Montgiroux en apercevant le jeune médecin, qui, sur l’invitation de Clotilde, venait les rejoindre; comment! vous croyez vraiment que la cause de la maladie de mon neveu est dans une amourette?

– Non, monsieur le comte, reprit le docteur, pas dans une amourette, mais dans une passion.