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Juliette Benzoni

Fils de L'Aurore

à Marie-Claire Pauwels

dont une jolie aïeule eut pour le maréchal des « bontés » qui font d'elle une lointaine cousine de George Sand…

PREMIÈRE PARTIE

« LE CHER PETIT MYSTÉRIEUX… »

1697

CHAPITRE I

LES DAMES DE QUEDLINBURG

« Miséricorde ! pensa Aurore lorsqu’elle fut introduite dans le cabinet où l’abbesse allait la recevoir. Que suis-je venue faire ici ? Cette femme ne m’attendait même pas ! »

C’était une évidence écrite en toutes lettres sur le visage froid de la princesse Anne-Dorothée de Saxe-Weimar alors en charge de la communauté des Dames chanoinesses luthériennes de Quedlinburg. Femme d’âge mûr mais de grand ton, sa haute naissance l’autorisait à ne rien cacher de ses impressions même mauvaises. Cependant sa parfaite éducation corrigeait ce que pouvait avoir d’offensant la surprise qui lui relevait le sourcil :

- Vous me dites, Monsieur de Beuchling, que Son Altesse Electorale le prince Frédéric-Auguste m’a fait l’honneur de m’écrire pour m’annoncer la venue de la comtesse de Koenigsmark ?

Abandonnant l’examen de la nouvelle venue, l’abbesse consacrait à présent son attention à l’ancien chancelier de Saxe dont le visage fleuri par un goût prononcé pour la dive bouteille devenait aussi rouge que les plumes de son chapeau.

- Certes, certes, Votre Grandeur ! Ceci est d’ailleurs destiné à compléter le message en question.

D’une main devenue fébrile, Beuchling venait d’extraire une lettre revêtue du cachet personnel du prince qu’il offrit avec un salut. L’abbesse l’ouvrit d’un doigt nerveux et chaussa des bésicles pour mieux en déchiffrer les caractères cependant que Beuchling, visiblement désemparé, tournait vers Aurore un regard affolé. Elle lui retourna un sourire narquois : la situation commençait à l’amuser même si son orgueil n’y trouvait pas son compte. Elle entrevoyait, en effet, une façon d’en sortir beaucoup plus conforme à ce qu'elle avait espéré en quittant Goslar, c’est-à-dire son retour pur et simple à Dresde.

Il y avait environ un an qu’elle en était partie afin de donner naissance, au fin fond du Harz, à l’enfant que lui avait fait son amant, le prince-électeur Frédéric-Auguste de Saxe. Elle était alors sa favorite hautement déclarée, si passionnément aimée qu’il lui avait promis de divorcer et d’en faire sa femme… jusqu’à ce que l’épouse légitime, la timide Christine-Eberhardine de Brandebourg, n’annonce une grossesse à peu près simultanée à la sienne. D’où l’obligation de s’éloigner. A cette époque d’ailleurs le prince, à la tête de dix mille Saxons, se disposait à gagner Vienne où l’appelait l’empereur pour participer à son interminable guerre contre les Turcs dont il s’agissait de libérer la Hongrie. Aurore avait accepté de bonne grâce un exil qu’elle espérait temporaire bien qu'il ressemblât davantage à un emprisonnement dans la confortable maison du bourgmestre de Goslar, Heinrich-Christophe Winkle, puisqu'il lui était interdit d’en sortir…

Et puis, à l'issue d'un accouchement dramatique l'enfant était né : un superbe petit garçon baptisé Maurice que sa mère avait adoré au premier regard mais dont il lui avait fallu se séparer dès la troisième semaine à peine pour le soustraire aux entreprises du comte de Flemming, chancelier qui faisait la loi depuis le départ en guerre du prince. Grâce à Dieu, Aurore avertie à temps avait pu faire partir son fils pour Hambourg, ville libre où les Koenigsmark possédaient une demeure, mais elle en avait payé le prix : non seulement il n'était plus question de revenir à Dresde, mais la surveillance s'était resserrée autour d'elle. Jusqu'à ce jour - la veille ! - où l'ancien chancelier Beuchling - un ami au demeurant ! - était venu la chercher à grand fracas dans une voiture de la Cour. La liberté enfin ?

Une illusion vite effacée : ce n'était pas à Dresde qu'on la ramenait mais pas plus loin qu'à l'extrémité est du Harz - entre vingt et vingt-cinq lieues - chez les chanoinesses de Quedlinburg où elle devait occuper le poste de prieure et cela à sa « propre demande » selon l'incroyable lettre de Frédéric-Auguste que Beuchling lui avait remise…

Le coup avait été rude. Même si l'entrée dans la célèbre communauté représentait un honneur. Seules les plus nobles dames ou demoiselles y étaient admises et l'abbesse en était toujours une princesse à qui cette nomination donnait un siège à l’assemblée des évêques allemands. En outre, les dames loin d’être cloîtrées menaient une vie aussi mondaine qu’elles pouvaient le souhaiter, voyageaient au besoin et, à l’exception de l’abbesse et de la prieure, avaient la possibilité de rompre leurs vœux et se marier.

Durant le trajet, Aurore s’était donc faite plus ou moins à cette idée. Tout cela pour en arriver à cette scène ridicule ! Que la jeune femme était décidée à ne pas éterniser.

Sa lecture terminée, la révérende mère Anne-Dorothée posa la lettre devant elle sur son bureau puis orna son visage d’un demi-sourire :

- Il semble qu’en effet le précédent message de Son Altesse Electorale se soit perdu… ainsi que ma réponse supposée. Le prince m’écrit comme si tout s’était passé normalement. Il faudra bien nous en contenter.

- Comment Votre Grandeur l’entend-elle ? demanda Beuchling un peu réconforté par le demi-sourire.

- Très simplement. La comtesse de Koenigsmark va prendre rang parmi nous. Ses incontestables titres de noblesse et l’illustration de sa famille lui en donnent le droit absolu… sans compter le souhait nettement exprimé de Son Altesse Electorale. Appartenant à notre chapitre, elle recevra une prébende et une demeure particulière d’où elle pourra sortir à son gré ou recevoir des amis, des parents, à la seule réserve que les visiteurs masculins quittent l’enceinte du couvent avant la clôture vespérale. Dès demain aura lieu la cérémonie de sa réception et c'est désormais chose acquise. Il en va tout autrement pour son accession à la dignité de prieure.

- Comment cela ? Monseigneur désire que…

- Rien du tout ! Il n’a aucun droit en cette matière. Le priorat est électif et doit recueillir les deux tiers des suffrages. Il appartiendra à notre nouvelle sœur de poser sa candidature.

Le ton s’était fait définitif et comme l’abbesse se levait, la conclusion s’imposait : l’audience était terminée. Pourtant le vieux gentilhomme avait encore quelque chose à dire :

- Puis-je au moins demander si le poste est toujours vacant ?

- Certes. L’élection de celle qui va devenir mon bras droit en remplacement de notre chère sœur Leuchtenberg ne saurait se conclure en hâte. J’ajoute que nous avons déjà trois candidates. Toutes femmes de haute vertu ! assena-t-elle en couvrant l’ex-chancelier d’un regard dédaigneux bien propre à le faire rentrer sous terre.

Ce à quoi il ne manqua pas, n’osant plus articuler un mot. Mais c’est Aurore qui réagit à la « haute vertu » en rougissant. L’intention était claire : elle n’avait aucune chance et devrait se contenter de rester dans le rang et peut-être de s’y faire toute petite. Ce qui était aussi contraire à sa nature profonde qu’à son caractère. Elle sortit ses griffes :

- A la réflexion, mon cher ami, fit-elle ignorant cavalièrement l’abbesse, je pense que je vais renoncer à l’honneur que l’on me destinait. Etant une femme essentiellement sociable, j’ai toujours redouté les vertus affichées avec ostentation. Elles rendent l’atmosphère étouffante ! Venez !

Ce disant, elle ébauchait une révérence en direction de la noble dame mais n'alla pas jusqu’au bout : Anne-Dorothée la relevait déjà d’une main solide :