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Ce fut vite fait. Aurore avait à présent hâte de rentrer chez elle. Quand ce fut fini Frédéric-Auguste leva sur elle un regard plein de tristesse, comme elle ne lui en avait jamais vu.

- J’espère que vous n’avez pas cru que j’étais à l’origine d’une pensée aussi vile ?

- Vous combattiez les Turcs et je n’ai rien pensé de tel. D’autant moins que j’ai été prévenue par votre mère…

- Merci. Je ferai en sorte que cela ne se reproduise plus. Où est-il ?

Elle hésita à répondre. Voyant ses yeux faire le tour de la pièce avec une inquiétude qu'elle ne cherchait pas à cacher, il rugit :

- Aurore ! C’est mon fils ! Quiconque y toucherait aurait à m’en répondre sur sa tête !…

- Il est à Hambourg, dans notre demeure familiale.

- C’est trop loin de Dresde ! Je vais peut-être me rendre à Berlin négocier l’appui de Frédéric-Guillaume pour mon élection au trône de Pologne. Dans ce but je compte accéder à son souhait déjà ancien de récupérer Quedlinburg et surtout son abbaye qui faisaient partie de ses droits ancestraux…

- Vous voulez lui vendre Quedlinburg en échange de son aide ? Mais cela va faire une révolution là-bas…

- Eh bien, vous y serez pour faire passer la pilule. N’en êtes-vous pas prieure ?

- Je ne suis rien du tout sinon simple chanoinesse. La prieure doit être élue par le chapitre et je peux vous assurer que personne ne votera pour moi !

- Raison de plus pour que je me débarrasse de domaines importants sans doute mais où l’on tient ma volonté pour lettre morte ! Rentrez à Quedlinburg pour leur annoncer la nouvelle !

- Vous avez vraiment envie qu’elles m’arrachent les cheveux ?

- Elles s’en garderont bien parce que aussitôt après vous proposerez de vous rendre à Berlin afin de négocier pour moi l’aide de l’Electeur et ensuite que l’abbaye ne soit pas sécularisée. Ce qu’elles vont redouter par-dessus tout ! Naturellement vous réussirez et ce serait le diable si ensuite vous n’étiez pas nommée prieure !

- Vous croyez ? fit Aurore à qui cette combinaison semblait abracadabrante.

- J’en suis d’autant plus certain que je vais devoir me convertir au catholicisme : elles finiront par être ravies de ne plus appartenir à un hérétique, fût-il roi de Pologne ! Quand vous serez à Berlin faites venir votre fils et attendez l’élection. Vous me l’amènerez lors des fêtes du couronnement.

- Vous parlez comme si vous étiez sûr d’être élu. On chuchote pourtant que le prince de Conti a de plus grandes chances parce qu’il a combattu contre les Turcs, lui aussi… et que Louis XIV est beaucoup plus riche que vous. En outre les Polonais adorent la France.

- Ils m’adoreront moi ! Et d’autant plus lorsqu’ils sauront que j’aurai quelques milliers d’hommes à la frontière…

Il n’y avait rien à répondre à cela. Un peu désorientée tout de même, Aurore se donnait le temps de la réflexion.

- C’est un argument, en effet, mais peut-être pas pour gagner des amis et par conséquent des voix ?

- Je me ferai aimer après ! Ferez-vous ce que je vous demande ?

- Vous ai-je déjà refusé quelque chose ? J’irai donc à Berlin, encore que je n’y connaisse pas grand monde !

- Mon épouse y veillera. Vous aurez une lettre d’elle ! Il paraît qu’elle vous aime énormément. C'est étrange, non ?

- Pas tellement ! Je dirai qu’elle m’aime par comparaison.

Cette fois le prince fronça le sourcil :

- Comment l’entendez-vous ?

- Il n’y a pas si longtemps, Monseigneur, nous nous entendions à demi-mot. Est-ce à Vienne que l’on vous a fait perdre le sens de l’humour ? demanda-t-elle en riant.

Ce rire le dérida et il fit chorus, sa bonne humeur retrouvée. Prenant la main d’Aurore il en baisa la paume, comme autrefois, refermant ensuite les doigts de la jeune femme sur son baiser.

- En vérité, comtesse, je crois qu’aucune femme au monde ne vous est comparable !

Il ne restait plus à Aurore qu’à se retirer. Sa profonde révérence fut un chef-d’œuvre de grâce mais elle eut à peine le temps de l’achever : la porte venait de s’ouvrir brusquement sous la main impatiente d’une très jolie - et très jeune ! - femme blonde dont la peau laiteuse ne retenait pas les ombres. Les yeux énormes avaient la couleur exacte de ces belles prunes violettes que l’on appelait quetsches cependant que la bouche, minuscule et rouge, avait l’air d’une cerise. Blonde comme les blés, la belle enfant portait une robe de satin rose et de dentelles blanches qui n’aurait pas laissé ignorer grand-chose des épaules et d’une gorge rondes et soyeuses n’eût été la parure de perles et de diamants ornant le cou délicat et les petites oreilles. La princesse douairière avait raison : crème fouettée et pétales de rose givrés, l'apparition ressemblait assez à un gâteau savoureux tout à fait propre à exciter l’appétit vorace de Frédéric-Auguste. Mais c'était une pâtisserie qui ne manquait pas de caractère :

- Hé bien, Monseigneur ? s’écria-t-elle le seuil à peine franchi. A quoi donc pensez-vous ? Voilà une demi-heure que je vous attends !

Les sourcils d’Aurore remontèrent au milieu de son front devant une entrée aussi fracassante et qu’en son temps elle ne se serait jamais permise. Or, au lieu de mécontenter le prince, elle amena sur son visage un sourire réjoui à la limite de la béatitude :

- Je viens, je viens, ma chère ! Vous n’ignorez pas que…

Mais la jeune personne avait détourné son attention en direction d’Aurore dont la découverte ne semblait pas lui agréer :

- Qui est-ce ? demanda-t-elle avec un mouvement du menton qui donna aussitôt à celle-ci l’envie de la gifler.

Cependant Frédéric-Auguste toujours aussi attendri répondait :

- Une amie précieuse ! Il est vrai que vous ne vous êtes pas encore rencontrées. Ma chère Aurore, je vous présente la comtesse Maria d’Esterlé que j’ai eu le plaisir de connaître à Vienne. Maria, voici la comtesse Aurore de Koenigsmark, chanoinesse de Quedlinburg !

- Oh, une nonne ! On ne le dirait pas…

- Monseigneur, coupa Aurore froidement, vous me permettrez de me retirer ! Je comprends de mieux en mieux la princesse votre épouse !

Sans attendre de réponse et estimant qu’ayant salué une fois c’était suffisant pour la journée, elle se dirigea rapidement vers la porte, l’ouvrit et disparut en la claquant derrière elle d’une façon aussi peu protocolaire que possible, et peu importait ce que pourrait en penser l’amant princier de cette dinde ! Pour la première fois elle lui avait trouvé quelque chose de bovin dans l’expression.

Elle redescendait l’escalier en s’efforçant de masquer sa colère - ce qui n’était pas facile parce que son pied était encore douloureux - sous une grande dignité apparente quand elle entendit derrière elle un petit rire qui la suivit jusqu’au bas des marches. Là, elle se retourna et reconnut Flemming.

- Ne vous fâchez pas ! se hâta-t-il de dire en recevant son regard furieux en plein visage. Ce n’est pas de vous que je ris, comtesse !

- De qui alors ?

- De la situation que vous venez d’affronter. Vous venez de faire la connaissance de la mignonne Esterlé, le joli joujou de Son Altesse…

- Joujou ? Si quelqu’un est le joujou de l’autre, ce n’est certes pas elle ! Où cette pimbêche a-t-elle été élevée ? Et il accepte cela ?

- Disons… que cela le change, donc l’amuse. Quant à savoir si l’amusement durera longtemps…

- Je vais vous le dire, moi ! Jusqu’aux premières nausées d’une grossesse. Ce genre de poupée ne les supportera pas sans aigreurs et tel que je connais le prince…