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- Même si je dois aller jusqu’à Dresde je ne serai pas longtemps absente, dit-elle à la jeune fille déjà affolée. Toi tu restes ici pour y attendre Ulrica et mon fils et vous n’en bougerez qu'à mon retour !… Et ne commence pas à pleurer, je ne t’abandonne pas en plein désert !

Ayant dit, elle eut un bref entretien avec Mme Brauner, la propriétaire de la maison qui officiait aussi comme gouvernante, monta en voiture et reprit la route de Dresde.

Elle y fut au soir du surlendemain, constata qu’il n’y avait toujours personne chez les Loewenhaupt, se rendit au Residenzschloss… pour y apprendre que Frédéric-Auguste était parti pour Varsovie le jour où elle-même quittait Berlin… et demanda si la princesse douairière pouvait lui accorder une audience en dépit de l’heure qui se faisait tardive. Cinq minutes plus tard elle s’inclinait devant la vieille dame. Celle-ci, son souper achevé, était aux mains de ses femmes pour sa toilette du soir mais elle les renvoya aussitôt. Aurore la trouva en robe de chambre et bonnet de nuit - un étonnant échafaudage de dentelles et de rubans sous lequel disparaissait sa chevelure -, assise dans un fauteuil près d’une fenêtre ouverte sur le jardin nocturne, une bible dans les mains. Elle reçut sa visiteuse avec un chaleureux sourire :

- Ma chère enfant, je n’espérais pas vous revoir si tôt !

- Moi non plus, Votre Altesse Royale, et je demande excuse pour avoir osé vous déranger dans vos oraisons d'avant le coucher… mais il m’est apparu que l’affaire était d’importance. J’avoue que…

Elle ne savait plus, tout à coup, comment tourner sa phrase. Anna-Sophia s’en chargea pour elle :

- … que vous êtes un peu déçue de ne pas rencontrer mon fils ? On vous a dit qu’il se rend en Pologne ?

- En effet, mais j’ai cru comprendre qu’il avait emmené une partie de sa cour ? Ce qui signifierait qu’il ne se presse pas ?

- C’est exactement cela. Le beau temps l’y a décidé. Il pense faire une entrée… aimable chez ses futurs sujets ainsi qu’aux fêtes qui ne manqueront pas de se dérouler pour le couronnement.

- C’est que, justement, le couronnement pourrait ne pas avoir lieu s’il ne se dépêche pas. Ce n’est vraiment pas le moment de batifoler en route !

La colère qui vibrait dans la voix d’Aurore, bien qu’elle tentât de la juguler, inquiéta la princesse.

- Mon Dieu ! Vous m’effrayez ! Que se passe-t-il ?

La jeune femme raconta alors sa visite à l’Electeur. Elle avait à peine achevé qu’Anna-Sophia se levait pour aller vers un petit secrétaire où il y avait le nécessaire pour écrire :

- Asseyez-vous là, Aurore, et écrivez-lui ce que vous venez de me raconter ! Pendant ce temps, je vais faire chercher le plus rapide des courriers de la Cour. Il aura vite fait de le rejoindre !

- C’est que… j’aurais préféré le lui dire de vive voix, hasarda Aurore en prenant place devant une feuille de papier qu’elle lissa machinalement.

- Vous avez vu votre tête ? fit rudement la vieille dame. Vous êtes recrue de fatigue et cela se voit. Avez-vous vraiment envie de donner matière à comparaisons ?

- Ah !… Il l’a emmenée ?

- La d’Esterlé ? Evidemment. Son épouse, elle, se morfond entre ces murs. On ne l’a pas invitée sous le ridicule prétexte qu’il pourrait y avoir du danger… Sottises ! Inepties ! Comme si ce n’était pas sa place de marcher aux côtés de son mari sur le chemin d’un trône ! Cette chipie viennoise n’est qu’une dinde prétentieuse…

- Mais il l’aime ! soupira douloureusement Aurore.

- Je ne suis pas certaine que ce soit de l’amour. Elle ne cesse de l’exciter et c’est à peine s’ils ne batifolent pas en plein Conseil ! Une chose est certaine, en tout cas : elle exaspère Flemming qu’elle traite comme un valet ! A mon avis cela ne durera pas, ajouta-t-elle en glissant un coup d’œil vers sa visiteuse occupée à écrire. Sans s’interrompre, celle-ci sourit :

- Vous êtes infiniment bonne pour moi, Madame, mais je suis résignée à présent.

- C’est un tort ! La résignation ne convient pas à une femme telle que vous !

La demi-heure suivante, un courrier à cheval franchissait au galop les portes de Dresde et Aurore, après une brève visite à Christine-Eberhardine qui la reçut, comme d’habitude, en pleurant, rentrait à la maison Loewenhaupt afin d’y prendre un repos largement mérité. Mais, le lendemain, elle repartait pour Potsdam…

Une vraie joie l’y attendait : tout le monde était là, y compris Amélie qui s’apprêtait à quitter Hambourg quand Nicolas d’Asfeld était arrivé. Pour sa plus grande satisfaction. Jusqu’à présent, elle n’avait encore jamais rencontré le compagnon d’aventures de sa sœur mais elle en avait trop entendu parler pour ne pas lui accorder une sympathie immédiate. Ils s'entendirent d’autant mieux que le jeune Maurice accorda d’emblée à Nicolas la plus flatteuse attention. Surtout après qu’il eut chanté pour lui un soir de mauvaise humeur où, aux prises avec ses premières dents, il refusait de s’endormir et emplissait la maison de ses clameurs. Le jeune homme prit sa guitare, s'installa auprès du petit lit et à mi-voix entama une berceuse tandis qu’Ulrica frottait doucement les gencives douloureuses avec de la guimauve. L’effet fut miraculeux : en peu de temps le bébé se calma et s’endormit en suçant son pouce.

Après toutes ces allées et venues, Aurore apprécia de rester quelque temps sous les beaux ombrages de Potsdam, une halte de simple vie familiale à l’écart de la politique et de ses bouleversements. Par Nicolas qui avait des cousins à Berlin et des relations au palais, on était tenu au courant, presque jour par jour, de ce qui se passait à la frontière de l’Est et au-delà. Ce qui n’était pas simple et même plutôt inquiétant. L’Electeur de Saxe était en effet entré en Pologne, non plus escorté par des courtisans et de jolies femmes mais bien à la tête d’une armée, et marchait sur Cracovie, la vieille cité universitaire où les rois de Pologne étaient traditionnellement couronnés dans l’église Saint-Jean où reposaient leurs prédécesseurs. Si Frédéric-Auguste s'attendait à être accueilli avec des fleurs, il dut déchanter. Fidèle à ses habitudes, la Diète n’avait pas encore fini de débattre sur le choix du futur souverain. En apparence Conti était déjà élu, mais en réalité ce n’était pas tout à fait cela. Scindée en deux partis la Diète n’était pas loin d’en venir aux armes dans l’enclos de Vola, près de Varsovie, où elle se réunissait.

« Les deux camps, rapporte un chroniqueur local, devenus d’une force à peu près égale se contemplèrent longtemps avec une haine sinistre. Ils se menacèrent, s’injurièrent, brandirent leurs armes pour un combat fratricide et l’arène des lois fût devenue une arène de carnage si les chefs les plus influents dans les deux partis n’eussent été effrayés de leur rôle et n’eussent senti l’énorme responsabilité qu’en cette conjoncture fatale leur léguait la Providence. Les “Contistes” espérant en imposer par leur audace s’attroupèrent autour du Primat de Pologne Radzielowski en le suppliant d’en finir. Celui-ci protégé par tous ses amis se trouva enfin obligé d’hasarder ce jour qu’il aurait pu légaliser la veille. Le 27 août, vers six heures du soir, il proclama roi de Pologne François-Louis de Bourbon prince de Conti, puis se rendit à la cathédrale Saint-Jean, s’en fit ouvrir les portes et y entonna le Te Deum dans l’obscurité et sans aucune des cérémonies usitées dans les élections royales. Quelques heures plus tard, le parti de Saxe ayant en tête l’évêque de Culavie se rendit à son tour à Saint-Jean où le prélat opposant proclama Auguste II roi de Pologne à la lumière des torches et chanta l'hymne de louange auquel répondirent les acclamations de la foule et soixante-dix coups de canon. La Pologne avait deux rois… »