Выбрать главу

L’attelage arrêté, deux valets vinrent ouvrir la portière et abaisser le marchepied tandis qu’un autre s’enquérait de l’identité des visiteuses. Mais, en haut de l'escalier, la jeune femme avait déjà repéré Haxthausen qui était l’introducteur habituel d’Auguste. Reconnaissant l’arrivante, il dégringola plus qu’il ne descendit vers elle :

- Vous, Madame la comtesse ?… Est-ce que Sa Majesté vous attend ?

- Sa Majesté m’a dit elle-même qu’elle souhaitait me voir à Varsovie au moment des fêtes. Voulez-vous m’annoncer ?

Peut-être l’envie ne manquait-elle pas à l’intendant de discuter mais il connaissait trop l’ex-favorite pour hasarder une remarque. Il la précéda donc jusqu’à la grande salle dont les murs de pierre se réchauffaient de tapisseries et bannières aux couleurs passées, et les anciennes dalles de tapis orientaux. Un tronc d’arbre flambait dans la vaste cheminée. A l’opposé Auguste II, assis sur ce qui était plus un fauteuil surélevé qu’un trône, faisait présenter l’élite de ses nouveaux sujets. Femmes en robe de cour et officiers chamarrés se succédaient annoncés par le maître des cérémonies, long personnage au visage morne qui débitait des noms souvent imprononçables avec l’automatisme d’un robot. Haxthausen se chargea lui-même d'annoncer les nouveaux arrivants sans se soucier de la mine offensée du personnage :

- Sire, dit-il, Mme la comtesse de Koenigsmark… et le petit comte sont venus offrir leurs vœux à Votre Majesté.

Il s’écarta alors pour faire place à la jeune femme dont l’entrée fit sensation. Somptueusement vêtue de drap d’or, de velours noir et de satin blanc, le rubis « Naxos » étincelant sur la blancheur de sa gorge - elle ne portait que ce seul bijou ! -, elle fit avec grâce les trois révérences rituelles pour un monarque. Avec un sourire, le roi quitta son siège pour la relever de la troisième.

- Je suis infiniment heureux de votre visite, ma chère Aurore ! Vous êtes belle à miracle ce soir mais j’espérais, je l’avoue, vous voir au couronnement !

Heureuse de retrouver la flamme d’autrefois, elle lui sourit de tout son cœur puis, se retournant, prit l’une des menottes de son fils qu’Ulrica posait à terre en gardant l’autre.

- Puis-je présenter à Votre Majesté mon fils Maurice ?

Solidement étayé de chaque côté, le bambin exécuta alors une sorte d’entrechat qui pouvait passer pour une vague ébauche de révérence tout en riant et en faisant entendre quelques sons destinés de toute évidence à exprimer sa satisfaction.

D'abord surpris et même légèrement mécontent, Auguste II ne résista pas au charme du petit bonhomme. Se penchant, il l’enleva dans ses bras puis, plantant là ses invités, fila vers une porte que deux gardes ouvrirent devant lui :

- Venez avec moi, comtesse !

Suivi d'Aurore et d’Ulrica, courant presque, il gagna la pièce qui allait lui servir de cabinet de travail quand il serait au Zamek et sans le lâcher posa l’enfant sur le bureau où celui-ci recommença ses gambades en poussant des gloussements ravis.

- Savez-vous qu’il est magnifique, comtesse ? Quel âge a-t-il ?

- Quinze mois, sire !

- Par tous les saints du Paradis, il est plus grand et plus fort que le prince royal, son demi-frère !

- Il a de qui tenir, sire ! Je crois qu’il ressemblera beaucoup à Votre Majesté !

- Il sera plus beau que moi. Il est vrai qu’avec une mère telle que vous…

Brusquement, il le reprit contre sa poitrine pour l’embrasser. Ceci fait, il tendit l’enfant à Ulrica qui considérait le roi d’un œil méfiant :

- Tenez ! Allez attendre tous les deux dans la pièce voisine. Il faut que je parle à la comtesse !

A peine, un laquais, apparu à son coup de sonnette, les eût-il emmenés, qu’il saisit Aurore dans ses bras :

- Merci ! murmura-t-il en la regardant au fond des yeux. Je n’aurais jamais cru être aussi heureux de le voir. Il est comme toi… irrésistible !

L’instant suivant, elle crut défaillir sous un baiser qui n’avait pas grand-chose à voir avec la reconnaissance. Une onde de bonheur l’envahit. La belle histoire allait-elle recommencer ? De ses lèvres, en effet, Auguste glissait à son cou, à sa gorge, dégageant même un sein de son nid de satin. Incapable de résister à ces caresses qui lui rendaient le temps merveilleux de leurs amours, elle le laissa l'emporter dans la chambre contiguë, l’allonger sur le lit, relever ses robes et s’étendre sur elle. Elle retrouvait les sensations exquises d’autrefois, heureuse d’avoir envie de lui autant qu’il la désirait.

Hélas, quand il la prit, la douleur qui la transperça lui arracha un cri qu’elle réussit à traduire en un gémissement sur lequel il se trompa, croyant qu’il exprimait le plaisir, et n’en poursuivit qu’avec plus d’ardeur sa danse amoureuse. Aurore serra les dents, ferma les yeux sans pouvoir retenir les larmes que lui arrachait la souffrance. Quand enfin il se retira elle était au bord de l’évanouissement mais il ne s’en rendit pas compte… Rejeté sur le lit, il goûtait le repos délicieux - mais souvent bref chez lui ! - qui suivait l’amour. Aurore en profita pour se relever. Il s’en aperçut, se redressa sur un coude :

- Quoi ? Déjà ?

- Sire, vous avez oublié que vous venez à peine de faire votre entrée dans votre nouvelle capitale et qu’ils sont nombreux ceux qui vous attendent…

- Tu as raison… Tu as toujours raison… mais c’est tellement bon de te retrouver !

Il se rajustait tandis qu’elle en faisant autant en priant qu’il ne vît pas les traces de sang qui marquaient ses jupons. Il y mettait d’ailleurs une certaine hâte, indiquant qu’il était plutôt satisfait qu’elle l’eût rappelé à ses devoirs… Une fois prêt il observa :

- L’enfant est vraiment superbe. Le temps venu je veillerai à sa carrière. En attendant je lui ferai une pension de trois mille thalers pour les frais de son éducation…

Obligée de remercier, Aurore n’en ressentit pas moins douloureusement ce don d’argent au sortir du lit. Elle aurait préféré qu’Auguste accepte de reconnaître son fils. Cela lui tenait même trop à cœur pour qu’elle se résigne au silence :

- Doit-il toujours porter le nom des Koenigsmark ?

Il releva un sourcil ironique :

- N’est-ce pas pour vous le plus beau nom de la terre… ou serait-ce que vous avez changé d’avis ?

- Non pas mais…

- Vous souhaitez que je le reconnaisse ? Cela pourrait se faire… mais plus tard, lorsqu’il aura donné quelques preuves de l’homme qu’il deviendra… Pensez-vous rester longtemps parmi nous ?

- Le temps qu’il plaira à Votre Majesté, murmura-t-elle plus désagréablement impressionnée encore.

Souhaitait-il son départ ? Mais il eut soudain le grand sourire de gamin heureux qui lui donnait tant de charme :

- « Votre Majesté » ! Avouez que c’est agréable à entendre ! Mais revenons à vous ! La mission que je vous ai confiée a été parfaitement remplie et ces dames de Quedlinburg ne devraient plus barguigner à vous nommer prieure.

- Sans aucun doute mais… je ne me sens guère une vocation de vie religieuse.

- Ce n'en est pas vraiment une. D’autre part, il se peut que je fasse encore appel à vos talents… diplomatiques par la suite. Vous êtes une auxiliaire précieuse, ma chère Aurore. Votre nom et votre beauté vous ouvrent toutes les portes… et votre charme fait le reste.

Cette fois Aurore ouvrit de grands yeux. Voilà qui était nouveau ! Aurait-il par hasard dans l’idée de faire d'elle un agent secret ? Cela conviendrait assez à son goût de l’aventure quoi que cela parût difficile à concilier avec ses fonctions de prieure et de mère.