Выбрать главу

Mme de Loewenhaupt connaissait assez sa sœur pour laisser passer l’orage. Quand, la colère épuisée, Aurore s’abattit sur son lit en pleurant toutes les larmes de son corps, elle accorda quelques minutes au chagrin puis, au moment où elle jugea qu’il en était temps, elle redressa la désespérée pour la serrer dans ses bras :

- Si nous essayions de raisonner ? Si Flemming est l’instigateur de cette lettre…

- Je le soupçonne de l’avoir dictée !

- … tu ne gagneras rien à t’en prendre directement à Auguste ! Tu sais qu’au fond c’est un faible qui a besoin d’une ferme volonté auprès de lui. Il ne te recevra peut-être même pas puisqu'il est occupé d’une nouvelle maîtresse…

- Mais de celle-là aussi Flemming veut se débarrasser !

- Pour le moment il ne semble pas y réussir. Alors écoute au moins ce que je te propose…

- Dis toujours !

- Tu vas rentrer bien sagement dans ton couvent pour y cueillir les lauriers que tu as mérités. De là, tu pourras entretenir une correspondance avec le Prussien.

- En lui envoyant mon fils en otage ? Sûrement pas. D’ailleurs, si Flemming veut l’expédier là-bas, c’est que j’aurai le pire à redouter pour lui !

- Tu as peut-être raison mais, en ce cas, la solution est toute trouvée : j’emmène Maurice à Leipzig. Frédéric y fait venir nos fils et sera enchanté de l’avoir. Et toi tu seras pleinement rassurée : au milieu de nous il n’aura rien à craindre.

C’était la solution. Aurore essuya ses larmes et embrassa sa sœur :

- En vérité, je ne sais ce que je deviendrais sans toi, soupira-t-elle.

C’était un vrai soulagement d’autant que Leipzig se trouvait à égale distance environ de Dresde et de Quedlinburg. Aurore pourrait revoir son fils aussi souvent qu’elle le voudrait. On ferait ensemble la majeure partie d’un chemin encore encombré des boues et neiges fondues de l’hiver à son déclin. Le printemps approchait mais du diable si l’on s’en serait rendu compte tellement le temps était mauvais. Enfin on parvint à destination. Amélie retrouva avec une joie mesurée - les grandes démonstrations n’étant guère le fait du couple ! - son mari et ses enfants qui firent, en effet, bon accueil au jeune Maurice. Aurore n’en éprouva pas moins un pincement au cœur au moment où avec Utta elle remontait en voiture pour la dernière étape dans la seule compagnie de Nicolas. Ulrica bien sûr continuerait à s’occuper du petit garçon qui, maintenant sevré, n’avait plus besoin de nourrice. Celle-ci avait été renvoyée à Goslar avec un joli pécule.

En outre la nouvelle chanoinesse n’était guère séduite par l’idée de revoir le couvent et sa population féminine. Passe encore pour l’abbesse, mais les autres…

- Vous avez tort de vous tourmenter, lui assura Nicolas. Je parierais qu’elles vont vous recevoir comme il convient : ne revenez-vous pas avec les honneurs de la guerre ?… Et puis je suis là !

- Je sais, mais il y a tout de même quelques lieues entre Asfeld et Quedlinburg…

- Beaucoup moins que vous ne le pensez ! Par mon intendant, j’ai fait acheter une maison sur la place du Marché. Vous pourrez m’appeler quand vous le désirerez.

- Vous avez fait cela ? murmura-t-elle, touchée. Mais, Nicolas, vous avez votre propre existence à vivre. Vous êtes jeune et vous devez à vos ancêtres de continuer leur lignée. Il faut vous marier, avoir des enfants. Je ne peux pas remplir votre vie…

- Et pourtant c’est ainsi. Du jour où je vous ai vue vraiment, en vous quittant à la frontière de Celle, j’ai su qu’il n’y aurait jamais d’autre femme dans ma vie. Vous la consacrer fera mon bonheur et je ne vous demanderai jamais rien en contrepartie.

- Mais enfin pourquoi ?

- Tenez-vous vraiment à ce que je le répète ? Je vous exaspérais naguère quand je disais que je vous aimais. Je ne le dirai plus et me contenterai d’être votre chevalier, comme au Moyen Age. En résumé je me suis voué à vous et je sais que j’ai raison parce que vous êtes trop seule !

Que répondre à cela sinon…

- Merci ! dit-elle les larmes aux yeux en lui tendant une main qu’il appuya contre ses lèvres.

Pour cette femme de trente ans, à la beauté intacte mais pour qui l’amour charnel était devenu un supplice, c’était infiniment doux à entendre même si c’était profondément injuste au cas où Nicolas cultiverait quelque espoir. Elle aurait dû lui dire que non seulement elle ne pourrait plus avoir d’enfants mais encore qu’elle n’avait plus de femme que l’apparence. Seulement cet amour était exactement ce dont elle avait besoin à cet instant et, en silence, elle accepta humblement le beau cadeau qu’il lui faisait.

A sa surprise, son retour au chapitre fut quasi triomphal. Elle fut entourée, applaudie, félicitée et même l’irascible Schwartzburg, flanquée de son inséparable princesse de Holstein-Beck, vint lui serrer la main. Naturellement elle fut élue prieure et on poussa la reconnaissance jusqu’à lui proposer de devenir coadjutrice de l’abbesse, autrement dit son bras droit, ce qui lui assurait d’avance la crosse abbatiale à la mort de mère Anne-Dorothée et ferait d’elle l’égale des princesses de l'empire, mais elle eut la sagesse de refuser : il n’était pas bon d’enlever aux autres toute perspective d’avancement. Cela lui vaudrait - l’euphorie présente envolée - presque autant d’ennemies qu’elle se découvrait d’amies. Naturellement on festoya et au cours d’une cérémonie solennelle, Aurore de Koenigsmark fut intronisée et commença d’assumer ses fonctions. Rassurées sur leur avenir les dames de Quedlinburg semblaient converties à l’angélisme et la prieure vécut quelques mois de sérénité. D’autant plus que la maison n’appartenait plus au territoire saxon, ce qui, bientôt, allait présenter un certain avantage.

A Varsovie, en effet, Auguste II et Flemming - ou plus exactement Flemming et Auguste II - décidaient d’étendre leur pré carré en récupérant les territoires nordiques annexés depuis nombre d’années par la Suède. Singulièrement ceux de la riche et vaste Livonie. Après avoir conclu un traité d’entente avec la Russie de Pierre le Grand et le Danemark, on pénétra en Livonie avec d’ailleurs l’assentiment de la noblesse locale dépossédée d’une partie de ses biens par la couronne suédoise.

C’était compter sans le jeune roi Charles XII à qui l’initiative polonaise allait permettre de montrer ce dont il était capable… Au tout début du siècle, en 1700, il allait écraser coup sur coup les Danois à Copenhague même et les Russes à Narva. Résultat : Auguste II et son ministre se trouvèrent seuls affrontés à l’un des plus grands capitaines de l’Histoire ! Non seulement Charles XII les battait à plates coutures mais il leur donna la chasse et envahit leur territoire. C’est alors que les deux compères eurent une idée quelque peu étrange qui leur parut lumineuse. Un beau soir, Aurore eut la surprise de voir son ennemi débarquer au couvent.

Ce qu’il venait lui demander la stupéfia : le roi de Suède aimait les femmes. Elle comptait parmi les plus célèbres beautés de l’époque. En outre, elle était toujours suédoise ; les Koenigsmark, s'ils avaient souvent mis leur épée au service de souverains étrangers, n’en relevaient pas moins de la couronne suédoise. Et pas seulement eux, mais aussi les Loewenhaupt dont le domaine héréditaire de la Gardie se trouvait à Loevebröd. La conclusion venait d’elle-même… Après avoir négocié la neutralité bienveillante de l’Electeur de Brandebourg, Aurore devait à présent se rendre auprès de son « souverain naturel » pour négocier avec lui une paix qui ne fût pas honteuse.