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Un peu désorientée par la lourde responsabilité que l’on faisait peser sur ses épaules, Aurore n’en accepta pas moins la difficile mission et partit pour la Livonie. « Elle devait avoir l’honneur, écrivit plus tard Barbey d’Aurevilly, de jeter la peur d’aimer dans le cœur de glace polaire de Charles XII. »

En effet, parvenue au camp de Riga avec un apparat digne d’un véritable ambassadeur, elle y fut reçue avec tous les honneurs par le comte Piper, Premier ministre suédois, qui, tombé aussitôt sous son charme, lui promit une rapide audience avec le jeune roi. Malheureusement celui-ci n’ignorait pas à qui il allait avoir affaire et jugea déplaisant et même incongru l’emballement visible de son ministre pour cette femme qui l’avait ébloui. Et, sans plus de façons, il lui fit entendre qu’il n’avait aucune envie de recevoir Mme de Koenigsmark. En outre le procédé d’Auguste lui déplaisait :

- Que ne vient-il lui-même au lieu d’envoyer sa maîtresse ? Il est mon cousin et devrait me connaître mieux : Vénus en personne ne saurait me faire dévier du chemin que j’ai choisi. Dites-le-lui et saluez-la en mon nom comme il convient !

Aurore ne se formalisa pas de cette fin de non-recevoir et en tira la conclusion logique : le jeune vainqueur avait peur d’elle. Mais ne se tint pas pour battue. Obtenir de Piper des renseignements sur le mode de vie du roi fut pour elle un jeu d’enfant. Ainsi elle apprit que chaque matin il avait coutume de faire, seul, une promenade à cheval et suivait presque toujours le même itinéraire.

Le jour suivant, en selle sur une superbe jument blanche dont la robe contrastait si bien avec le velours noir de son « amazone » à col et manchettes de guipure d’un blanc éclatant comme les gants couvrant ses mains fines, un tricorne ourlé de plumes neigeuses posé cavalièrement sur sa chevelure noire et lustrée, elle fit en sorte de se trouver nez à nez avec lui dans un sentier resserré entre des haies vives.

Quand ils furent face à face, elle mit pied à terre pour offrir, sans rien dire, la plus gracieuse des révérences. Droit sur son cheval, son regard bleu pâle fixé sur cette femme si belle, Charles XII semblait pétrifié. Durant un court moment ils restèrent ainsi l’un devant l’autre. Puis, à l’instant même où Aurore allait briser le silence, elle lut dans les yeux du roi une sorte d’angoisse. Vivement, alors, il ôta son chapeau, s’inclina profondément sur l’encolure de sa monture puis, faisant volter l’animal, repartit au galop. Comme on fuit…

Il ne restait plus à Auguste II et à son ministre qu’à accepter d’en passer par les conditions du vainqueur. Les Polonais, eux, ne l’entendaient pas de cette oreille. Cette armée saxonne qui les avait envahis, plus ou moins pillés et qui n’était pas capable de les défendre contre l’envahisseur, ils n’en voulaient plus. Et, tandis que les Suédois s’avançaient sur leur territoire, ils déposèrent Auguste II qui, redevenu momentanément Frédéric-Auguste, eut juste le temps de fuir afin de protéger au moins la chère Saxe des appétits suédois… A sa place, la Diète mit sur le trône le jeune palatin de Poznanie, Stanislas Leczinski, dont le courage l’avait séduite : n'avait-il pas conseillé la résistance ? Et aussi qu’une bataille perdue ne signifiait pas la fin de la Pologne.

Cependant le souverain détrôné n’avait pas admis d’être si cavalièrement renvoyé dans ses foyers. Il laissait des partisans à Cracovie qui s’employèrent à mettre des bâtons dans les roues au nouveau roi en attendant qu’Auguste revienne.

Celui-ci avait fort à faire. Les Suédois lui barraient la route du retour vers sa capitale. Il dut livrer bataille. Le comte de Schulembourg, son généralissime, réussit à battre Charles XII, ce qui permit à l’ex-roi de rentrer à Dresde. Ce ne fut qu’un répit. Peu après le Suédois battait Schulembourg et Auguste se repliait sur Leipzig… où son ennemi le suivit et vint établir son camp à Lützen, un lieu sacré pour lui : son aïeul Gustave-Adolphe y avait trouvé une mort glorieuse… De là le même Suédois saigna à blanc la Saxe pour reconstituer ses forces afin de faire face au danger que représentait pour lui le tsar Pierre le Grand. Quand enfin il quitta le pays, il s'offrit le luxe téméraire de se rendre seul à Dresde pour y rencontrer son cousin vaincu. Les deux hommes eurent alors une longue conversation, après quoi Auguste fit seller son cheval et raccompagna personnellement son hôte inattendu à ses avant-postes. Incroyable geste de chevalerie accompli contre l’avis de Flemming qui brûlait d’envie de sauter sur l’ennemi imprudemment aventuré pour le jeter en prison, mais bien dans la nature d’un prince capable des plus beaux gestes comme d’autres moins élégants.

Pendant ce temps que devenait Aurore ?

En récompense de sa visite à Charles XII, Auguste lui avait donné les moyens d’acheter le joli domaine de Wilren, près de Breslau, en Silésie encore indépendante, à mi-chemin entre Dresde et Varsovie où elle aurait le loisir d’installer son fils. A sa surprise, elle y reçut une demande en mariage, celle du duc Christian-Ulrich, un prince aimable, riche et fort amoureux d’elle. Un moment elle fut tentée d’accepter, une chanoinesse ayant toujours la possibilité de renoncer à son état pour se marier. Mais, outre qu’elle redoutait à présent d’entrer au lit d’un homme, quelqu’un s’y opposa : l’ex-roi, bien entendu, qui s’obstinait à la considérer comme liée à lui et la préférait à Quedlinburg où elle fut priée de retourner au plus tôt.

Chose étrange, elle ne se révolta pas, croyant discerner dans cette incroyable preuve d'égoïsme le signe d’un attachement que rien ne pourrait rompre. Elle repartit donc pour son chapitre, toujours sous la protection attentive de Nicolas d’Asfeld.

Pendant ce temps, Maurice grandissait…

DEUXIÈME PARTIE

LE TEMPS DES PASSIONS

1709

CHAPITRE IV

LE PREMIER MOMENT D’UN PREMIER AMOUR…

Le festin avait été fidèle à la tradition : joyeux, encore que légèrement guindé dans les débuts, mais copieusement arrosé. Le prince Eugène de Savoie-Carignan, grand maréchal d’empire et commandant en chef des armées impériales, savait recevoir fastueusement. Et ce soir, dans la salle d’honneur de la citadelle de Lille, chef-d’œuvre de Vauban, il avait tenu à traiter tous ceux de ses officiers qui tenaient encore debout après la terrible bataille de Malplaquet qui, le 11 septembre 1709, avait vu s’opposer les forces françaises - inégales : 60 000 contre 110 000 hommes ! - du maréchal de Villars aux impériaux d’Eugène associés aux Anglais du duc de Marlborough. Une bataille sans vainqueur véritable car si la coalition restait maîtresse de la place, c’était bien la balle venue briser le genou de Villars qui avait ouvert le dispositif français. Cependant les soldats de Louis XIV avaient pu se replier en bon ordre sur Valenciennes et Le Quesnoy, laissant dix mille d’entre eux sur le terrain mêlés dans la mort à plus du double des ennemis.

Ce n’en était pas moins une victoire que l’on célébrait à Lille dont le prince Eugène s’était emparé en décembre dernier après un siège de six mois. Les moins enthousiastes n’étaient certes pas les officiers saxons mis par l’ex-roi de Pologne à la disposition du prince, et parmi eux leur chef, le général de Schulembourg, et son élève, le jeune Maurice, tout juste âgé de treize ans mais si grand et si vigoureux qu’on lui en eût donné facilement dix-sept…