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S’il n’était plus question d’aller voir Rosette à Bruxelles, il n’en écrivit pas moins quelques lettres débordantes d’amour :

« J’ai reçu, ma chère Rosette, la tendre et charmante lettre que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire ; on ne peut être plus sensible que je ne le suis à toutes les marques de votre amour dont elle est remplie. Ne doutez point du mien, je vous prie. Je vous aime et vous aimerai toute ma vie ! Fiez-vous à mes serments et à vos charmes ! Que ne suis-je auprès de vous pour essuyer des larmes que je ne verrais couler qu’à regret. Le papier m’en a rendu fidèlement l’empreinte précieuse et je n’ai pu m’empêcher d’y mêler les miennes. Mais vos beaux yeux ne sont pas faits pour devoir pleurer… »

L’orthographe réelle n’était malheureusement pas à la hauteur des sentiments du jeune guerrier. Elle était aussi abominable que l’avait été celle de son oncle Philippe de Koenigsmark et Rosette, qui écrivait mieux que lui, devait parfois sourire mais ce courrier était aussi un vrai réconfort. D’autant plus que, par deux fois, durant les longs mois d’attente, Maurice réussit à venir à Bruxelles retrouver la future mère et lui jurer fidélité…

Malheureusement, s'il espérait pouvoir être auprès d’elle au moment crucial, il dut y renoncer : son père l’appelait à Dresde et cela ne souffrait pas le moindre retard. Toujours flanqué de Stöterrogen, il partit sans imaginer un instant ce qui l’attendait.

Inquiet, en effet, des proportions prises par ce qu’il avait d’abord considéré comme une amourette de gamin et qui risquait de se terminer par un mariage, même secret, Schulembourg avait prévenu la mère.

Au reçu de la lettre, Aurore ne put s’empêcher d’être émue. Ce jeune amour si plein de fraîcheur ne pouvait que la toucher. D’autre part elle connaissait trop la fermeté des décisions de Maurice, voire son entêtement, pour redouter qu’un mariage aussi désastreux ne barre un avenir que de toutes ses forces elle voulait glorieux. Ce serait vraiment stupide !

Sans plus hésiter elle se rendit à Dresde afin de mettre le père au courant. Ce qu'elle avait à dire était simple et elle le fit entendre sans ambages :

- Il n'y a que vous, dit-elle à son ancien amant, qui puissiez l’empêcher de faire cette sottise.

- Pourquoi pas vous ? riposta Auguste II (depuis quelques semaines il avait récupéré son trône polonais, obligeant Stanislas Leczinski à s’enfuir). Il vous admire et il vous aime. Il vous obéira.

- Non, parce que s’il a beaucoup de vous, ce dont je me réjouis, il tient aussi de moi le sens de la fidélité. Pour nous, les Koenigsmark, l’amour est d’une importance extrême. Je crois qu’il aime réellement cette petite !

- A quatorze ans ? Vous voulez rire ?

- Oh non, je n’en ai pas la moindre envie et, je le répète, vous seul pouvez empêcher cette union ridicule.

- Je ne vois pas comment ? biaisa Auguste avec une si évidente mauvaise foi qu’Aurore prit feu :

- Ne me prenez pas pour une sotte, sire ! Je vous ai connu plus subtil. Alors je vais être claire : il est de peu d’importance qu’un bâtard sans autre nom que celui de sa mère épouse une petite bourgeoise, ce qui, en dépit d’une folle bravoure reconnue par tous, le condamnera à végéter dans des grades ou des charges obscurs ! Il n’en va plus de même si le bâtard en question…

- Nous y voilà ! Toujours cette vieille histoire ! Vous voulez que je le reconnaisse ?

- Oui, parce que vous me le devez bien ! Ou la mémoire de Votre Majesté serait-elle sujette à éclipses ?

Elle faisait allusion à plusieurs « services » discrets qu'elle lui avait rendus auprès de princes étrangers où, sans que sa main fine eût laissé la moindre trace, certaines dispositions avaient changé d'orientation. En même temps, son regard bleu, toujours aussi lumineux, observait l’effet de ses paroles sur le visage du roi.

- … j'ajoute, continua-t-elle, que « mon » fils au récent siège de Béthune a fait preuve d’une telle bravoure - on pourrait sans exagérer parler de témérité - que le prince Eugène l’a embrassé et lui a dit qu’il aurait aimé avoir un fils tel que lui ! Apparemment vous n’êtes pas du même avis ! Mais cela ne m’étonne pas de vous !

Elle s’était levée brusquement et, sans saluer, se dirigeait vers la porte, laissant derrière elle le sillage bleu de sa traîne. Dans laquelle le roi manqua de se prendre les pieds en s’élançant derrière elle :

- Non, ne pars pas, pria-t-il en retrouvant les intonations intimes d’autrefois. Tu sais que, même si nos relations ne sont plus ce qu’elles étaient, tu garderas toujours une place dans mon cœur et que je ne supporterais pas de ne plus te voir… malgré ton fichu caractère ! Quant à « notre » fils, il va recevoir l’ordre de revenir ici et je pense que tu seras contente de moi !

Les larmes de colère qu’Aurore s’efforçait de retenir se changèrent en autant d’étincelles joyeuses tandis qu’Auguste laissait ses lèvres s'attarder un instant sur sa main.

- Merci ! dit-elle seulement.

Au mois de mai 1711 c’était chose faite et Mme de Koenigsmark pouvait écrire à Schulembourg :

« Le roi a enfin reconnu le comte de Saxe par une récognition signée de sa main à tous les collèges de Dresde, et communiquée au Conseil privé, au Conseil de cabinet et à la Régence. Il lui donne avec cela un comté de dix mille écus de revenus. Jugez, Monsieur, combien j’ai eu de bonheur dans mon voyage à Dresde !… »

Quant au jeune homme, partagé entre la joie de se nommer à présent Maurice de Saxe et la peine réelle qu’il ressentait de ne pouvoir épouser Rosette, il repartit à francs étriers pour la Flandre, courut à Bruxelles embrasser la toute jeune femme parvenue presque à son terme et rejoignit Schulembourg dont les troupes renforçaient celles du duc de Marlborough au siège de Tournai. C’était la ville de ses amours et il aurait cent fois préféré en investir une autre. Elle tomba après vingt-trois jours et les vainqueurs purent pénétrer dans une cité d’où fuyaient les habitants. Maurice eut une pensée pour M. Dubosan, le père de Rosette, mais n’eut pas le loisir de le rechercher : un courrier de Bruxelles le rejoignait pour lui apprendre qu’il était père d’une petite fille.

La victoire étant acquise, Schulembourg lui accorda une brève permission et il put galoper jusqu’à Bruxelles embrasser la mère et l’enfant que l’on nomma Julie et qu’il reconnut sur l’heure. Après quoi il prit des dispositions pour assurer l’existence de sa petite famille et repartit à Tournai en promettant de revenir dès que possible :

- Si l’on m’a ôté le droit de t’épouser, personne ne peut m'ôter celui de t’aimer aussi longtemps que je vivrai.

Il était sincère mais, quand il put revenir à nouveau, la jeune mère et l'enfant avaient disparu. Dubosan avait fini par retrouver la trace de sa fille et tout ce que Maurice put apprendre c’est qu’il les avait fait entrer dans un couvent dont elles ne sortiraient jamais plus. Mais quel couvent ? Il y en avait une quantité en Flandre. Et le pauvre amoureux eut beau effectuer des recherches, il ne trouva rien. Dubosan qu'il ne retrouva pas non plus y avait veillé… Et puis il y avait la guerre toujours présente et Maurice se jeta dans ses bras comme dans ceux d’une maîtresse… Elle seule pouvait apaiser son chagrin !

Seulement, elle s'éteignait en Flandre et le jeune comte de Saxe alla passer quelques jours auprès de sa mère à Quedlinburg. Il ignorait le rôle occulte qu’elle avait joué dans l’éloignement de Rosette. En outre, elle possédait depuis sa plus tendre enfance l’art de l’éblouir par sa beauté et son élégance. Sans doute partagée entre son couvent et les « relations d’affaires » qu’elle entretenait avec Auguste le Fort avait-elle été une mère à éclipses mais, lorsqu’ils étaient ensemble, tous deux partageaient des moments de tendresse qui effaçaient un peu les trop longues absences auxquelles tante Amélie s’efforçait de pallier…