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- Je ne vois pas pourquoi ?

- Parce que si Votre Majesté est là depuis un moment, elle a pu constater que j’ai obéi aux exigences formulées dans la lettre qu’elle m’a fait l’honneur de m’écrire.

- Ce n’est pas ainsi que je voyais les choses mais… laissez-moi votre cabinet de travail pendant un moment, Flemming ! Je désire m’entretenir avec Madame la prieure…

Sans attendre une réponse évidente, il se dirigea vers le léger escalier en colimaçon qui, dans un coin, réunissait la galerie au plancher. Tandis que son ennemi se retirait, Aurore nota qu’Auguste II épaississait et que les marches gémissaient sous son poids. On pouvait entrevoir le vieillard qu’il deviendrait plus tard alors qu’il n’avait pas quarante ans. Cela tenait à ce qu’il mangeait trop, buvait trop et s’adonnait à la luxure, sa maîtresse officielle ne l’ayant jamais empêché de courir indifféremment la gueuse et la noble dame. Et Aurore bénit à cet instant le coup de rébellion de Maurice parti chercher auprès d’un chef prestigieux les lauriers et la fortune qu’on lui refusait.

Enfin ils furent face à face, le père et la mère. Auguste se laissa tomber dans un fauteuil en désignant de la main le plus proche, où Aurore se posa consciente que se dressait entre eux la juvénile mais déjà puissante silhouette de leur fils. Il y eut un silence puis le roi toussa pour s’éclaircir la voix et sans y être parvenu tout à fait demanda :

- Pourquoi est-il parti ainsi, sans un mot ?

- Parce qu’il lui était impossible de continuer à vivre ici selon son rang et surtout dans une inaction génératrice des pires débordements ne pouvant mener qu’à la misère. Il aime la vie militaire, la fraternité des armes, les combats où l’on joue sa vie à pile ou face mais aussi l’espérance de gloire ou de fortune.

- La guerre, nous en sortons ! bougonna Auguste. La paix lui serait-elle insupportable ?

- Je le crois. A moins qu’il puisse s'occuper de préparer la prochaine, qui ne saurait tarder… Que voulez-vous, il porte en lui le sang des Koenigsmark qui durant des années ont rempli l’Europe du bruit de leurs exploits et, tout naturellement, il rejoint le chef prestigieux auprès duquel il fait bon vivre parce qu’il l’admire passionnément !

- Ce que je ne saurais exiger de lui !… Que faudrait-il pour qu’il revienne ?

Aurore fit semblant de réfléchir, prit un petit temps et soudain laissa tomber :

- Pourquoi pas le marier à une jolie fille doublée d'une belle dot ? Il pourrait ainsi ressusciter son cher régiment…

Elle parla longtemps, heureuse d’avoir réussi à retenir son attention et aussi - non sans malignité ! - d’imaginer Flemming faisant les cent pas derrière la porte en se rongeant les ongles. A moins qu’il ne se fût trouvé dans ce logis qui était le sien, un coin tranquille pour écouter. Ce qui ne gênait pas Mme de Koenigsmark : l’important étant qu’elle ait pu faire entendre ce qu’elle avait à dire, et quand, enfin, on se sépara, ce fut d’un cœur plus serein qu'elle rentra chez elle…

Cependant, elle remit à plus tard son retour au chapitre. Il y avait un moyen d’enrichir son fils sans l’obliger à un mariage qui n’aurait peut-être pas l’heur de lui plaire et, surtout, sans peser sur les finances de l’Etat toujours plus ou moins agonisantes selon Flemming : quelques mois plus tôt Auguste II avait fait jeter en prison le comte Ramsdorf pour avoir osé publier un pamphlet : « Portrait de la cour de Pologne » dans lequel il malmenait les débordements sexuels du roi. Et, bien entendu, on avait confisqué sa fortune qui était importante. Or, comme par hasard, Ramsdorf venait de mourir dans son cachot un peu trop subitement pour ne pas donner naissance à d’interminables bruits de couloir.

Regrettant de ne pas y avoir songé lorsqu’elle était en présence d’Auguste, Aurore se hâta de réparer cet oubli en troussant l’une de ces lettres alertes et séduisantes dont elle avait le secret. Ce fut Flemming qui lui répondit dans un style beaucoup moins élégant : la fortune du comte Ramsdorf serait employée au service du royaume plutôt que de remplir les poches trouées d’un bâtard débauché !

- Cette fois, je le tue ! s’écria la mère outrée. Tant que cet homme vivra, Maurice n’aura rien à attendre de son père sinon l’abandon et l’indifférence !

Et naturellement Amélie et Nicolas eurent un mal fou à l’empêcher de courir au palais un pistolet chargé dans la poche de sa pelisse. Il ne s’agissait pas, en effet, d’un propos en l’air : Aurore était fermement décidée à en finir une bonne fois avec l’homme qui lui empoisonnait la vie…

- Tu as envie d’y laisser ta tête ? gronda Amélie. Ne t’y trompe pas, elle tombera si tu fais cela… et c'en sera fait des ambitions de Maurice en Saxe !

- Au diable la Saxe ! C’est l’Autriche qu’il sert en ce moment et elle saura le récompenser selon ses mérites !

- Pas s'il devient le fils d’une régicide ! D’ailleurs j’ai eu tort de te laisser écrire cette lettre, ajouta Amélie, prenant avec diplomatie la faute à sa charge alors qu’Aurore ne lui avait pas demandé son avis. Nous aurions dû d’abord voir la princesse mère ! Et c’est ce que nous allons faire pour tenter de conclure ce mariage auquel je pense depuis un moment !

- N’y pense plus ! J’ai déployé toute l’éloquence dont j'étais capable pour expliquer à Auguste qu’il devrait marier Maurice à quelque princesse !

- Pas de princesse ! coupa Nicolas. Le roi a un héritier à caser et aucune maison royale n’accepterait le comte de Saxe qui… qui est…

- Bâtard ! gronda Aurore. Inutile de tourner autour du pot ! Allez au bout de votre propos, Nicolas !

Aucunement désireuse de voir sa sœur se disputer cette fois avec son fidèle chevalier servant, Amélie se lança dans l’escarmouche à son début :

- Très juste ! Donc pas de princesse… souvent guère fortunées d’ailleurs, mais pourquoi pas la plus riche héritière du pays ?

- A qui penses-tu ?

- Johanna-Victoria de Loeben ! Elle est, en outre, de très bonne naissance puisqu’elle est la fille du maréchal de Loeben et de la marquise de Montbrun.

- Ne rêve pas ! Elle est déjà fiancée !

- Si l’on veut, mais c’est plus compliqué que cela…

Fille unique, en effet, la jeune fille ne manquait pas de prétendants attirés par son énorme héritage. Elle n’avait pas neuf ans qu’un des plus hauts seigneurs du Palatinat, le comte de Friesen, l’avait demandée pour son fils pas beaucoup plus âgé qu’elle. Mais il avait trouvé devant lui un père comme il n’en existait sûrement pas deux dans l’empire : celui-là se souciait en priorité du bonheur de son enfant ! Aussi imposa-t-il une clause draconienne : il s’engageait à donner sa fille en mariage au jeune comte de Friesen pourvu toutefois que ledit comte sût gagner l’affection de l’enfant et la conserver jusqu’à l’époque où elle deviendrait nubile…

Malheureusement, à peine eut-il conclu cet accord que le maréchal mourait subitement… à la satisfaction de sa veuve qui attendit tout juste le délai de viduité pour convoler avec un fringant officier supérieur au service d’Auguste : le colonel de Gersdorff.

Celui-ci qui, en se mariant, n’avait pas perdu de vue l’immense fortune Loeben, obtint aussitôt de sa femme la promesse écrite que la fortune en question ne sortirait pas de sa famille à lui et l’on fiança incontinent Johanna-Victoria à un neveu du personnage qui s’appelait également Gersdorff. Aussitôt le contrat passé avec Friesen fut déclaré caduc mais, pour plus de sûreté, Gersdorff concocta l’enlèvement de la fillette - elle n’avait pas dix ans ! - par son neveu qui la conduisit à Neuendorff, en Silésie, où un pasteur complaisant célébra un mariage à la sauvette, après quoi on ramena Johanna chez sa mère. En raison de son âge il ne pouvait y avoir aucune consommation.