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C’était compter sans les Friesen ! Indignés, ils allèrent se plaindre à Auguste II en même temps qu’ils introduisaient une action en nullité de mariage devant les tribunaux ecclésiastiques. On devine l’intérêt avec lequel le souverain considéra cette plainte. Il commença par nommer l’un de ses chambellans, M. de Ziegler, tuteur de la fillette, chargé de veiller « à ce qu’elle ne contracte point avant l’âge une alliance précipitée indigne de sa fortune et de son rang ». Après quoi, un nouvel ordre royal appela à Dresde Mme de Gersdorff et sa fille où elles furent aussitôt séparées. Johanna-Victoria fut confiée à une dame de la Cour, la comtesse de Trutzschler, tandis que sa mère fut renvoyée chez elle avec défense de revoir son enfant, pendant que le Consistoire déclarait nul le mariage clandestin conclu en Silésie. Mais ce n’était pas encore tout !

Le roi alors convoqua le jeune Gersdorff, le régala d’une de ses célèbres colères au cours de laquelle il le traita de tous les noms puis lui extorqua l’engagement écrit de renoncer définitivement à Mlle de Loeben et ensuite le renvoya dans ses foyers.

On en était là quand, laissant à la maison une Aurore dont elle redoutait les incartades, Mme de Loewenhaupt demanda solennellement audience à Auguste II après que sa sœur se fut assurée de l’appui total de la princesse douairière Anna-Sophia. Enchantée par un projet qui lui convenait pleinement pour assurer l'avenir financier d'un petit-fils qu'elle aimait beaucoup, celle-ci accompagna Amélie à l'audience. Qui prenait de ce fait les couleurs d'une affaire de famille dans laquelle le Premier ministre n'avait pas à mettre son nez. Et toutes deux n'eurent aucune peine à obtenir pour le comte de Saxe la main si convoitée de Johanna-Victoria de Loeben.

Restaient deux questions à régler : d'abord la plainte du jeune Friesen qui réclamait hautement l'exécution de l'étrange contrat souscrit par son père. Auguste II la régla en lui offrant la main d'une de ses filles, bâtarde mais reconnue, que le garçon accepta fort galamment. Le second problème, c'était Maurice lui-même…

Une lettre royale au prince Eugène suivie d'un ordre exprès de rentrer au bercail le ramenèrent à Dresde.

De fort mauvaise humeur !

Après l'atmosphère exaltante des entours du prince Eugène, le faste de sa demeure viennoise où il avait pu séjourner quelques jours, la solennité imposante voire un peu sévère des palais impériaux, le retour à Dresde paraissait à Maurice moins séduisant qu'autrefois. Surtout quand il apprit la raison d'un retour si impératif : on le mariait ! Et à qui ? Une gamine de quinze ans - il n'en avait lui-même que dix-sept ! - riche comme un puits sans doute mais dont on n'était pas capable de lui dire si elle était jolie !

- Une femme n'est pas un meuble propre à un soldat ! déclara-t-il à sa mère. A moins qu'il n’éprouve de l’amour, ajouta-t-il, repris soudain par le souvenir de Rosette dont il n’avait jamais réussi à savoir ce qu’elle et sa petite fille étaient devenues.

La blessure laissée par cet amour juvénile était encore sensible et Maurice haïssait l’idée de devoir coucher avec une femme qu’il n’avait pas choisie.

- Tu n’as qu’à fermer les yeux et imaginer que c’est l’une de tes belles conquêtes, lui dit le jeune prince de Reuss qui était alors son confident. D’un certain point de vue toutes les femmes se ressemblent…

- Moi je ne trouve pas et j’ai encore l’espoir qu’elle n’acceptera pas.

Mais Johanna-Victoria accepta. Et même avec enthousiasme si l’on en croit ce qu’elle lui écrivit :

« Je vous assure, en ce qui me concerne, que je vous serai éternellement attachée. Dussé-je être privée longtemps de votre conversation, jamais je ne renoncerai à vous. Je vous prie de m’accorder aussi un peu d’affection et j’ose même dire que je n’en doute pas. Enfin je me recommande à votre constante affection (?) et je reste, Monsieur le comte, votre très fidèle Johanna-Victoria de Loeben… »

Le jeune homme parcourut rapidement le billet, le relut plus attentivement et, pour finir, le fourra dans sa poche :

- Elle s’appelle Victoria ? Eh bien, épousons la victoire !

Aucun prénom n’était en effet capable de le séduire autant et, quand il fut en face d'elle lors de la soirée du contrat, il pensa que la pilule dorée était moins pénible à avaler qu’il ne le craignait… Pas très grande mais bien faite et promettant de l’être plus encore, elle avait des yeux verts, des cheveux châtains traversés d'un reflet roux, des dents légèrement jaunes mais le sourire épanoui de qui attend beaucoup de la vie. C’était le 10 mars 1714. Les deux jeunes gens s’engagèrent irrémédiablement de s’aimer l’un l’autre comme mari et femme en tout honneur et en toute affection jusqu’à la fin de leur vie… et le surlendemain ils répétèrent à peu près le même discours devant le ministre luthérien.

C’était à Moritzburg où l’ex-Frédéric-Auguste avait tenu à célébrer avec faste le mariage de son fils. Et ce ne fut pas sans émotion qu’Aurore remit ses pas dans les traces d’autrefois. Tout le merveilleux passé lui sauta au visage à la seule exception qu’il ne s’était rien passé à la chapelle. Mais que ces noces païennes avaient eu d’éclat au milieu d’une cour triée sur le volet où seule la jeunesse était admise ! Elle revoyait les barques sur l’étang, le pavillon de soie élevé sur l’île où le prince déguisé en sultan lui avait lancé le mouchoir et puis leur retour à deux vers le château où elle avait à son tour changé sa toilette somptueuse pour un caftan scintillant et des voiles orientaux ! Et le souper splendide, le bal qu’ils avaient fui ensemble pour le refuge parfumé de la chambre où enfin elle s’était abandonnée avec une joie qu’elle n’aurait jamais imaginée…

Aussi avait-elle les larmes aux yeux en conduisant la nouvelle épousée vers le lit où elle allait sacrifier sa virginité, comme cela avait été son cas devant les tapisseries relatant les amours de l’Aurore et de Thiton, le beau prince qui allait se « dessécher » pour sa déesse.

Avec Mme de Gersdorff et d’autres dames, elle étendit Johanna-Victoria dans les draps de satin semés de fleurs et quand Maurice apparut à son tour dans une robe de chambre de velours pourpre, elle lui murmura à l'oreille en l’embrassant :

- Soyez doux, mon fils ! N’oubliez pas que c’est une jeune fille !

Il lui rendit son baiser avec un sourire narquois :

- En êtes-vous sûre ? chuchota-t-il un œil sur celle qui l’attendait avec la mine gourmande d’une chatte devant un plat appétissant. A ne rien vous cacher, je me le demande…

Cette nuit de noces ne fut pas d’ailleurs aussi ennuyeuse qu’il l’avait craint. Certes, Johanna était encore vierge mais elle fut pour lui une partenaire non seulement consentante mais active, et il découvrit en elle une sensualité, une ardeur qui réchauffa la sienne et, comme elle avait un joli corps, il prit un réel plaisir à l’initier et à en triompher à plusieurs reprises.

Après tout, il pouvait y avoir du bon dans le mariage !…

CHAPITRE V

LE CHEMIN DE PARIS

Les premiers temps ne manquèrent pas d’agrément. Le jeune couple, dont on avait officiellement avancé la majorité, alla passer sa lune de miel sur le domaine de Schönbrunn, en Lusace, qui appartenait à la nouvelle comtesse de Saxe. Les Loeben étaient, sans doute possible, les plus gros propriétaires du duché et les domaines impartis à la jeune femme - elle était fille unique - assuraient aux nouveaux époux une vie large et même fastueuse qui allait permettre à Maurice de reprendre un régiment, ce qui le rendait infiniment heureux. En outre, Johanna était tombée amoureuse de son mari au point que durant quelques semaines celui-ci cultiva l’illusion d’avoir beaucoup de chance.