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- Je sais, Madame, que vous vous plaignez de moi au monde entier. S’il vous plaît que nous nous séparions, j’y consens, mais si vous voulez rester avec moi, je vous préviens que vous serez obligée de vous régler selon ma volonté. Votre conduite ne m’agrée en aucune façon et je saurai bien vous la faire changer. Vous avez jusqu’à demain pour prendre une résolution.

- Il n’est pas difficile de deviner d'où viennent vos injustes préventions. Votre mère ne m’a jamais aimée et si elle m’a accueillie c’est uniquement dans l'intention de me plier à ses volontés afin de me réduire à l’esclavage. C’est le lot des femmes à qui l’on n’accorde d’autres droits que de se soumettre aveuglément à leur époux, mais plutôt que de me rendre à cet état j’aimerais mieux me résigner au pain et à l’eau… Voilà votre réponse. Quant à la séparation : je la refuse !

- J’aimerais savoir pourquoi ! Nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble. Jamais nous ne nous entendrons et je ne vous aime pas…

- Mais moi je vous aime ! C’est ce qui fait toute la différence !

L’éclat de rire du jeune homme donna la mesure de l’effet produit par cette déclaration :

- A qui le ferez-vous croire ? Certainement pas à moi… ou alors dites un peu ce que vous êtes allée faire à Leipzig, pendant votre séjour chez ma mère ? Est-ce pour parler avec lui de ce grand amour que vous avez rejoint ce misérable Iago1, mon ancien page déserteur avec qui l’on vous a vue un peu partout et que vous avez emmené ensuite chez vous à Schönbrunn où vous n’avez pas craint de le traiter en hôte d’honneur indépendamment du fait qu’il couchait dans mon lit !

- Vous prêtez vraiment l’oreille à tous les ragots ! Si j’aimais ailleurs je serais la première à demander la séparation. Or, je n'en veux pas !

- Soyez raisonnable, Johanna ! J’admets volontiers que je ne suis pas fait pour le mariage et que cette expérience m’en éloigne plus encore. Divorçons ! Vous pourrez refaire votre vie avec quelqu’un…

- Ma foi non ! Il me plaît d’être comtesse de Saxe… même si nous ne menons pas la vie quasi royale que j'étais en droit d’espérer.

A nouveau Maurice éclata de rire :

- Quasi royale ? Qu’est-ce qui a pu vous laisser supposer une chose pareille ? En ce cas ce n’est pas moi qu’il fallait épouser mais mon demi-frère. Il sera roi, lui !

- Les rois n’épousent que les princesses. Ce que je ne suis pas hélas ! Mais à défaut le nom de Saxe est une assez belle compensation et j’entends le garder. D’autant que vous lui avez déjà donné une auréole de gloire fort séduisante ! Un jour peut-être vous égalerez le prince Eugène et je serai là pour en profiter.

- Si c’est ce que vous appelez l’amour, ce n’est guère encourageant ! Je vous rappelle que je peux mourir sur le premier champ de bataille qui s’offrira à moi !

- Alors je serai votre veuve ! Quelle perspective exaltante ! Et comme je vous pleurerai bien !

- Pas de fol espoir ! Je ferai de mon mieux pour ne pas vous donner ce plaisir et je vais, au contraire, faire en sorte de vous enlever ce nom auquel vous tenez tant !

- Vous n’y arriverez jamais ! Je vous garderai, vivant ou mort !

Las de cette discussion stérile, Maurice haussa les épaules et quitta la place pour aller se « désennuyer » chez sa récente maîtresse, une danseuse du Théâtre de la Cour qui s’appelait Mathilda et qui, folle de lui, ne lui coûtait pas cher. Brune avec un corps souple et charmant, elle avait de jolis yeux clairs qui lui rappelaient Rosette. En outre, elle était la gaieté même et il était facile, auprès d’elle, d’oublier une lamentable vie conjugale dont il n’ignorait pas qu’il aurait peine à se défaire. Il savait que sa femme avait eu l’habileté de mettre Flemming de son côté et qui disait Flemming disait le roi !

Ce qu’il était loin d’imaginer c’est que l’idée de veuvage dont il avait débattu si légèrement avec Johanna faisait son chemin dans l’esprit vindicatif du ministre. C’est alors que lui revint à l’esprit le conseil du prince Eugène à qui Johanna venait de faire allusion : partir pour la France, s’y faire une autre vie, devenir quelqu’un par lui-même et pas seulement le bâtard d’un roi doté de quelque génie militaire. La paix semblait, cette fois, bien installée sur la Saxe. On n’y aurait pas besoin de lui avant longtemps sans doute… Et, dans cet esprit, il écrivit à sa mère pour l’informer de son prochain départ.

Tout de suite inquiète celle-ci accourut. C’était loin la France et il n’était guère prudent que Maurice laisse à sa femme le champ libre, non seulement pour le couvrir de ridicule, mais aussi pour achever de le perdre, via Flemming, dans l’esprit de son père. Aurore savait quelle aurait à combattre une détermination dont elle connaissait la fermeté. Avec Maurice, ce qu’il fallait surtout c’était gagner du temps et c’est ce qu’elle allait tenter de faire.

Quelques mois plus tôt, Utta avait quitté son service, non sans regrets, pour se marier. Elle avait repris le chemin de Goslar et une jeune fille de Quedlinburg la remplaçait.

Elle s’appelait Cécile Rosenacker, elle était charmante et Aurore espérait vaguement qu’elle séduirait suffisamment son fils pour le retenir au logis. Le moyen manquait sans doute d’élégance mais à l’âge mûr la prieure de Quedlinburg avait au moins appris qu’il ne fallait rien négliger pour atteindre le but poursuivi et faire attention aux choses les plus anodines. Cette fois elle obtint un résultat diamétralement opposé : Maurice n’accorda à la jeune beauté qu’un coup d’œil distrait et ce fut Johanna qui lui sauta autant dire au cou… Il est vrai qu’elle l’avait déjà rencontrée durant son séjour au couvent et semblait alors prendre plaisir en sa compagnie. Leur âge s’accordant, Cécile avait montré un certain attachement à une épouse aussi cruellement délaissée par le plus séduisant des hommes.

A Dresde leurs relations se firent plus étroites et la comtesse de Saxe obtint que la jeune fille séjourne chez elle durant quelque temps en remplacement de sa dame de compagnie retournée momentanément chez les siens. Aurore accepta en pensant que sa protégée se trouverait plus souvent dans les entours du comte, les deux époux se partageant alors la même maison.

Pour mieux s’attacher Cécile, Johanna commença par faire miroiter à ses yeux un avenir inattendu.

- Savez-vous, lui dit-elle, qu’un grand prince vous a remarquée ?

- Un grand prince, moi ? Madame se moque !

- En aucune façon et vous pourriez trouver auprès de lui un bel avenir. Il s’agit du roi !

- Oh, mon Dieu ! Le roi ? il m’aurait remarquée ?

- Puisque je vous le dis ! Il faut vous préparer à le rencontrer !

A la fois ravie mais vaguement inquiète, la jeune fille courut chez Mme de Koenigsmark qu’elle tenait pour sa directrice de conscience afin d’avoir son avis. Celle-ci ne montra qu’une surprise modérée : Cécile était vraiment mignonne et Aurore connaissait assez son ancien amant pour ne rien voir de surprenant dans le fait qu’il l’eût remarquée :

- En ce cas, dit-elle, il faut faire plaisir au roi. Il est certain qu’il a plus à vous offrir que la prieure d’un couvent. Il est très généreux… mais, quand vous l’aurez rencontré, revenez me le dire ! C’est à moi de vous guider et je saurai le faire mieux que Mme de Saxe…

Mlle Rosenacker promit. Et elle se prépara, non sans anxiété, pour le jour fatidique. Johanna qui espérait entrer davantage dans les bonnes grâces d’Auguste l’avait fait prévenir qu’elle souhaitait lui présenter une amie et rendez-vous avait été pris. Or, le jour venu, le roi ne parut pas à la promenade… et pas davantage les jours suivants. Il était tout simplement reparti pour Varsovie où Flemming appelait son arbitrage mais Johanna qui l’ignorait passa sa colère sur Cécile en lui reprochant d’avoir mis Mme de Koenigsmark au courant :