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- C’est elle, j’en suis sûre, qui s’est mise à la traverse ! C’est une femme méchante qui ne peut supporter de n’être plus la favorite du prince ! En outre, je suis sûre qu’elle est furieuse que nous soyons amies. Car vous m’êtes devenue aussi chère qu’une sœur…

Et, là-dessus, elle éclata en sanglots, prenant le Ciel à témoin de toutes les souffrances et avanies qu’elle avait dû supporter depuis que sa mauvaise étoile l’avait mariée au comte de Saxe. Naturellement, la jeune fille essaya de la consoler. Puisqu’elle était si malheureuse, pourquoi ne pas accepter la séparation ?

- Je le voudrais bien, gémit la jeune femme après s’être mouchée, mais c’est lui, ce monstre, qui s’y refuse ! Sans moi il serait aussi pauvre qu’un gueux et il se sert de mon argent pour ses maîtresses, pour le dilapider au jeu et pour faire cent folies qui sont la honte de son malheureux père… et ma ruine ! Il vend mes terres, il vole mes bijoux pour en parer son amie la danseuse. Il n’acceptera de se séparer de moi que lorsqu’il m’aura réduite à la misère !… Oh je le hais autant que je hais sa mère ! C’est une femme abominable et je sais qu’elle veut ma perte ! La vôtre aussi sans doute !

Ce fut le début d’une période de grandes douleurs chez l’épouse de Maurice. Pendant des jours, aux prises en apparence avec une profonde dépression, elle fit de la jeune fille la confidente de tout ce que son époux et sa belle-mère lui avaient fait endurer et continuaient de lui infliger. Celle-ci compatissait de son mieux, s’efforçait de consoler, encore qu’elle ne trouvât pas grand-chose à redire dans la conduite du comte quand il était au logis. Depuis qu’elle y était entrée d’ailleurs, il y revenait plus volontiers et si son appartement et celui de sa femme étaient nettement séparés, il prenait plus souvent avec elle le repas de midi. Parfois aussi, hélas, les échanges entre les deux époux manquaient d’amabilité, après quoi Johanna pleurait pendant des heures en compagnie d’une Cécile de moins en moins apitoyée. Le comte Maurice avait de si beaux yeux bleus et un sourire si séduisant !

Un matin où celui-ci n’était pas apparu parce qu’il avait passé la nuit chez sa maîtresse, Johanna, pensant que le dévouement de Mlle Rosenacker lui était désormais acquis, la fit venir dans le petit salon où elle faisait sa correspondance et la reçut à demi étendue sur un canapé, arborant une mine affreuse.

- Je n’en peux plus, lui confia-t-elle. Ces deux monstres vont me conduire au tombeau si je ne prends mes précautions ! Heureusement j’ai gardé des amis fidèles. L’un d’eux vient de me rapporter ceci de Venise.

« Ceci », c’était un joli coffret de laque chinoise renfermant deux boîtes de porcelaine. Elles contenaient une poudre blanche et fine.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda Cécile.

- Le seul moyen de recouvrer ma liberté et même de sauver ma vie ! Pour cela j'ai besoin de votre amitié…

Et, comme la jeune fille n’avait pas l’air de comprendre, elle ajouta en pleurant :

- J’ai remarqué que, lorsqu’il vient, le comte prend plaisir à recevoir un café de vos mains. Il suffira de vider le contenu de l’une de ces boîtes au fond de sa tasse avant d’y ajouter le breuvage. Cela ne changera pas le goût et n’aura, m’a-t-on dit, assurément aucun effet immédiat. Mais seulement dans trois ou quatre mois une maladie mortelle se déclarera. S’il maintient son projet il sera loin de nous et personne ne songera à nous accuser…

- Et… l’autre ?

- Nous la garderons pour le moment où mon affreuse belle-mère apprendra sa mort, et quand elle s’éteindra on pensera que le chagrin l’a tuée… Je pourrai peut-être refaire ma vie. Quant à vous, soyez sûre que le roi vous aura prise depuis longtemps sous sa protection… Faites-le pour moi, mon amie… et le bien que je vous rendrai sera à la hauteur de ma reconnaissance…

Effarée, la jeune Cécile eut un gémissement :

- Vous voulez que moi… j’empoisonne M. le comte puis plus tard sa mère ?

- Si vous m’aimez autant que vous le dites cela vous sera d’autant plus facile que vous ne risquerez absolument rien…

- Je vous aime… beaucoup, mais cela !… Non ! Non !… Je ne pourrai jamais !… Ce serait offenser Dieu !

- Mais non ! Au contraire ce serait vous substituer à Sa justice ! Rentrez dans votre chambre et songez-y calmement ! Songez surtout que, ces deux-là disparus, nul ne s’opposera plus à votre destin glorieux auprès du roi !

Les jambes flageolantes, la malheureuse regagna ladite chambre… où elle s’aperçut peu après qu’elle était enfermée. La peur la prit. D’autant que, dans la nuit, elle entendit soudain la voix de la comtesse :

- Je vous conseille d’accepter et le plus tôt sera le mieux pour vous ! Sinon, c’est dans votre nourriture que je pourrais verser de cette belle poudre blanche !… Vous avez trois jours pour réfléchir !

Puis la maison retomba au silence de la nuit.

Affolée la jeune fille comprit qu'elle était prise dans un piège qui la dépassait. Elle ne voyait, en effet, aucun moyen d’en sortir : la porte bien épaisse et bien close ne s’ouvrait que pour le plateau qu’un valet goguenard lui apportait deux fois par jour. Quant à la fenêtre, elle était au troisième étage de la maison. Et des étages très hauts : impossible de sortir par là ! Et elle n’avait plus que trois jours !

Elle passa le premier et le deuxième à pleurer, tellement envahie par la peur qu’elle n’essayait pas de mettre deux idées bout à bout. Il est vrai qu’elle n’était pas non plus d’une extrême intelligence et que cela n’avait pas échappé à Johanna. Cependant, pensant qu’il valait mieux garder quelques forces et qu’elle ne risquait rien avant d’avoir rendu sa réponse, elle fit honneur aux plateaux que le valet, toujours le même, lui montait avec un sourire qui lui donnait envie de le griffer bien qu’il ne lui adressât jamais la parole.

Quand vint le troisième, veille du jour fatidique, elle eut la surprise de le voir tirer de sa poche un petit papier et le lui mettre sous le nez. Il y avait écrit : « Ouvrez votre fenêtre à onze heures ! » Rien d’autre ! Quand elle eut lu, il le lui retira aussitôt pour le remettre dans sa poche, attendit qu'elle eut pris le contenu du plateau comme il faisait d’habitude et disparut.

Tremblante, cette fois, d'un espoir qu'elle n'osait pas encore formuler, elle attendit onze heures. Le dernier coup à peine sonné à l’église voisine, elle alla ouvrir sa fenêtre et se pencha sur la rue obscure. Vite accoutumés, ses yeux distinguèrent une silhouette noire qui montait vers elle en escaladant le mur. Au bout de quelques minutes l’homme dont on avait fait son geôlier enjambait l’appui de la croisée puis sans s’intéresser autrement à elle tira sur une ficelle attachée à sa ceinture pour faire monter une échelle de corde qu’il amarra solidement. Cécile l’avait regardé faire avec un mélange très inconfortable de crainte et de curiosité. Pourtant quand il rabattit les panneaux vitrés elle cessa de comprendre. Elle ouvrit la bouche pour demander des explications mais il lui fit signe de se taire… et elle la referma. Juste à temps pour constater qu’il l’avait prise dans ses bras :

- Je cours de grands risques pour vous, chuchota-t-il. Cela mérite bien un merci ?

- Mais je…

- Chut, vous dis-je ! Quand on est aussi belle on doit être généreuse et je veux ma part !