Выбрать главу

Il était trop fort pour quelle puisse espérer lui échapper à moins de hurler et d’ameuter toute la maison. Une maison dont elle n’avait rien à espérer d'autre qu’un sort définitif. Alors elle se soumit à celui qui s’emparait d’elle avec plus de douceur qu'elle n’en attendait et s’aperçut avec étonnement que ce n’était pas si désagréable, trouvant même un instant de fugitif plaisir.

Quelques minutes plus tard, il l’aidait à se rajuster puis, après un dernier baiser rapide, murmurait :

- Je vais descendre devant vous afin de tendre l’échelle. Il y a un peu de vent, ce soir. Vous pensez y arriver ?

Reprise par la peur, elle hocha la tête et l’observa tandis qu’il dégringolait vers le sol avec agilité. Puis elle sentit que les cordes se tendaient et comprit que le moment était venu de faire preuve de courage. Comme elle l’avait vu faire, elle enjamba l’appui de la fenêtre, toucha du pied les premiers échelons, recommanda son âme à Dieu, ferma les yeux et commença la descente. C’était plus facile qu’elle ne l’avait craint mais elle faillit s’évanouir tant elle avait eu peur et, en touchant terre, dut se raccrocher à son étrange sauveur.

- Vous savez le chemin pour aller chez Mme de Koenigsmark ? demanda-t-il.

- Oui, mais vous, comment allez-vous faire ?

- Moi ? Je vais remonter, ôter l’échelle, laisser votre fenêtre ouverte… et aller me coucher tranquillement !

Il l’accompagna jusqu’au coin de la rue et s’esquiva en courant après lui avoir conseillé d’en faire autant, mais c’était inutile : Cécile était si terrorisée qu’elle galopa jusque chez Mme de Koenigsmark. Elle ne fit aucune mauvaise rencontre, Dresde étant une ville bien tenue. Le plus difficile fut de se faire ouvrir la porte à cette heure tardive. Elle y réussit cependant et l’aventure s’acheva pour elle dans les bras d’une Aurore en robe de chambre où elle s’effondra secouée de sanglots.

Devinant qu'il s’était passé quelque chose de grave, celle-ci la fit asseoir, attendit avec patience la fin de la crise en lui caressant les cheveux, ordonna qu’on apporte une tasse de chocolat chaud parce qu’elle semblait transie, l’aida à boire doucement, après quoi elle l'interrogea : que lui était-il arrivé chez sa belle-fille pour la mettre dans cet état ?

Réchauffée, réconfortée, la pauvre Cécile confessa tout, y compris les conditions qui lui avaient permis de recouvrer sa liberté, et pour finir implora Aurore de ne plus l’envoyer chez une femme aussi dangereuse.

Aurore lui promit de la faire repartir pour Quedlinburg dès le lendemain. Elle était plus qu’inquiète. Si Johanna-Victoria en était à vouloir les éliminer, Maurice et elle, il était urgent d’agir ! Pas pour sa propre sécurité - encore qu’elle ne vît aucune raison de se laisser trucider bêtement ! - mais pour celle de son fils. Et, puisqu’il souhaitait tant gagner la France, elle allait l’y pousser au lieu d’essayer égoïstement de le retenir. Mais elle n’était pas au bout de ses surprises avec sa bru…

Au milieu de la matinée, la comtesse de Saxe arrivait en trombe chez elle, apparemment fort en colère, pour conseiller à Mme de Koenigsmark de se défaire sur l’heure d’une intrigante uniquement occupée de construire sa fortune en détruisant celle des autres. Elle l'avait chassée de chez elle la nuit précédente et suppliait sa belle-mère d’en faire autant.

- C’est une peste que cette créature et elle ne saurait trouver sa place dans aucune maison honnête… Renvoyez-la au ruisseau dont elle n’aurait jamais dû sortir !

- C’est déjà fait ! répondit froidement Aurore. A cette différence près qu’il ne saurait être question de ruisseau. Mlle Rosenacker est issue d’une famille d’honorables bourgeois et je vous serais obligée de tenir cette histoire secrète. Sa propagation ne bénéficierait à personne… A vous moins que toute autre.

- Je ne vois pas pourquoi ?

- Allons, ma fille, réfléchissez ! Je cherche en vain la raison pour laquelle Cécile, pas très futée au demeurant, voudrait supprimer votre époux qui ne l’a peut-être jamais remarquée et moi qui n’ai eu pour elle que de bons procédés. En revanche, vous-même…

- Oh, c’est trop fort ! Oser m’accuser alors que…

- Je ne vous accuse pas. Je vous dépeins seulement ce que l’on pourrait conclure au cas où vous crieriez trop fort ! Les gens sont si méchants…

La visite ne se prolongea pas au-delà. Dès que Johanna eut disparu, Aurore envoya Gottlieb - définitivement passé à son service - à la recherche de Maurice, prit ses dispositions pour renvoyer Cécile dans sa maison du couvent puis s'installa devant son petit bureau pour écrire au roi.

« Des faits nouveaux que je confierai plus tard à Votre Majesté, mais où ma vie est intéressée, m’inclinent à changer mes vues concernant le voyage en France souhaité par le comte de Saxe et j’ose prier instamment le roi de bien vouloir lui accorder son congé… »

La lettre était à peine arrivée au Residenzschloss que Gottlieb ramenait le jeune homme. En quelques phrases, sa mère lui retraça les événements de la nuit et de la matinée puis conclut qu’elle désirait instamment le voir partir pour Paris le plus tôt possible. Naturellement il commença par protester :

- Vous voulez que je fuie devant cette folle qui veut m’empoisonner ? Pour que l’on rie de moi ? Vous n’y pensez pas, ma mère ! Je vais de ce pas corriger cette mégère comme elle le mérite et l’obliger à des aveux écrits grâce auxquels je pourrai obtenir du Consistoire une ordonnance de divorce !

- Elle n’avouera rien et si vous la malmenez trop, c’est vous qui aurez tort et passerez pour une brute !

- Certainement pas quand on aura entendu Mlle Rosenacker !

- Elle est terrifiée et, si elle devait s’exprimer devant une assemblée, il serait impossible de lui arracher une parole. D’ailleurs je l’ai déjà renvoyée à Quedlinburg. J’ai aussi demandé votre congé à Sa Majesté.

- Me l’accordera-t-elle ?

- Je n’en doute pas un instant. Flemming va être trop content de vous voir partir à l’autre bout de l’Europe, caressant l’espoir de ne jamais vous revoir. Au reste, ajouta-t-elle avec une pointe de tristesse, votre père me savait réticente à ce projet parce que je redoute que vous ne vous y plaisiez trop !

- Pas au point de ne jamais revenir vers vous, ma mère ! fit-il ému en l’étreignant. Vous savez combien je vous aime ! Et vous laisser seule aux prises avec la vipère que l’on m’a fait épouser m’effraie…

- Il n’y a aucune raison du moment où vous ne serez plus là ! En outre, elle travaillera sans s’en apercevoir à cette séparation que nous souhaitons. Croyez-moi ! Il faut lâcher la bride à la comtesse. Elle se perdra infailliblement !… Et soyez sûr que j’y veillerai ! Allez commencer vos préparatifs !

- C’est peut-être prématuré ? Si le roi refusait ?

- Il acceptera ! assura-t-elle avec un sourire.

Elle avait une fois de plus raison. Mis au courant par un avis d’Auguste II, Flemming répondit par une simple note :

« En France, le comte de Saxe pourra continuer d’apprendre le métier de la guerre au lieu que chez nous, qui n’avons plus de guerre et qui ne souhaitons pas d’en avoir, il n’apprendra plus rien. »

C’était la porte ouverte à la liberté ! En plus, l’analyse du Premier ministre était juste. L’été précédent, la Quadruple Alliance avait été signée par la France, l’Empire, l’Angleterre où régnait à présent George Ier de Hanovre, le désastreux époux de la malheureuse Sophie-Dorothée toujours enfermée à Ahlden, et les Provinces-Unies, autrement dit les Pays-Bas. Depuis le début de cette année 1720, l’Espagne y adhérait. Enfin, la mort de Charles XII devant Fredericschall avait mis fin à l'interminable guerre du Nord dont la Pologne avait tant eu à souffrir, et le traité de Passarowitz avait renvoyé les Turcs chez eux.