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- Madame est trop bonne !

- Non. Madame a des yeux ! Et ne fait jamais de compliments en l’air. Votre mère, je suppose ? On la disait belle à miracle…

- Elle l’est encore… même sous la sévère vêture de prieure des Dames de Quedlinburg !

- Choisir la plus belle façon de servir Dieu, c’est bien ! A présent prenez place ! J’achève cette lettre et je suis à vous !

Maurice s’assit avec satisfaction, celle d’avoir quelques instants devant lui pour examiner discrètement cette princesse hors du commun et ses entours. Incontestablement Elisabeth Charlotte de Bavière, dite Liselotte, dite la Palatine, était laide, trop grosse, avec le nez de travers, des yeux relativement petits - encore que singulièrement vifs -, un teint rougeaud de paysanne, mais l’intelligence et la malice fusaient de sa lourde personne de soixante-huit ans emballée plutôt qu’habillée d’une belle robe de taffetas violet et de dentelles, blanches comme celles du bonnet posé sur son épaisse chevelure grise. Impeccablement coiffée d’ailleurs car Madame détestait le laisser-aller et tenait à se montrer toujours accommodée comme il convenait à une princesse même lorsqu’elle était en son particulier. En revanche elle ne portait aucun bijou, elle qui cependant en possédait de magnifiques4. Mais la main qui tenait la plume, bien que dodue, gardait une jolie forme.

De la femme le regard du jeune homme passa au bureau sur lequel s'empilaient des rames de beau papier de Hollande à tranche dorée, des plumes d’oie neuves, de la poudre d’or, de la cire rouge, un cachet à double écusson ; un chandelier d’argent supportant des bougies allumées, une sonnette pour appeler un valet et acheminer les lettres du jour car elle en écrivait toujours plusieurs, de sa grande écriture carrée qui dévorait les pages. Il y avait aussi, mouchetant le drap vert qui couvrait la table, de nombreuses taches de bougie…

A l'exception du léger grincement de la plume, le silence était total, ce qui représentait un miracle étant donné la situation du palais en plein milieu du centre nerveux de Paris. Madame, sa page achevée, ayant pris une nouvelle feuille, le visiteur s'intéressa au décor. En dehors de la bibliothèque et des vitrines pleines d’une collection de pierres gravées et d’une autre de médailles, il y avait des portraits. Ceux, visiblement allemands, des parents, celui du défunt époux, le ravissant Monsieur, frère de Louis XIV, tout scintillant de pierreries et dont tout le monde savait qu’il préférait les garçons, et qui devait former avec sa Liselotte un bien étrange couple !…

Un soupir à faire tomber les tableaux le tira de sa rêverie. Madame avait fini sa lettre et, tout en la parcourant du regard, revenait à son visiteur, cette fois-ci dans sa langue natale :

- Je viens d’écrire à la reine de Prusse, Sophie-Dorothée, ma cousine que votre mère a dû connaître étant enfant quand, avec son frère, elle était à la cour de Hanovre. Je l’aime bien, d’abord parce qu’elle est la petite-fille de ma chère tante, l’Electrice Sophie de Hanovre, ensuite parce qu’elle a toujours été malheureuse. Toute petite elle a souffert de n’avoir jamais revu sa mère, cette pauvre idiote de Sophie-Dorothée de Celle qui a oublié ses devoirs avec votre sacripant d’oncle Philippe de Koenigsmark et qui continue de végéter dans son château des brouillards. Un sort amplement mérité !

- Votre Altesse Royale est sévère, répliqua Saxe qui évidemment n’ignorait rien de son histoire familiale. Un grand amour…

La Palatine éclata d’un rire féroce :

- Balivernes ! Quand on est mère, on se doit à ses enfants, un point c'est tout, et Sophie-Dorothée n’a pas volé ce qui lui est arrivé, son amant non plus… encore qu’il ne méritait pas un sort aussi ignoble, indigne de ses vaillants ancêtres !

- Madame saurait-elle ce qui lui est arrivé ? Je croyais que seuls ma mère et le défunt Electeur Ernest-Auguste…

- Et son épouse Sophie à qui il s'est confié, naturellement ? Quant à moi j’ai su grâce à elle ce qu’il s’était passé. Même ce qu’il est advenu des Platen. Ce que votre mère ignore peut-être ?

- En effet. Après leur départ de Hanovre, elle n’a rien pu apprendre de leur sort. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché.

- Ils ont trouvé refuge près de Vienne, dans un petit bien que l’empereur leur a alloué par charité… Le mari était aveugle et a traîné ainsi durant plus de cinq ans. Quant à la femme, elle est morte en 1706. Elle était atteinte d’une horrible maladie qui lui avait fait perdre ses cheveux et la rongeait peu à peu en lui imposant des douleurs insupportables. Elle avait, en outre, des hallucinations où, à longueur de nuits, ses victimes lui apparaissaient et la plongeaient dans l’épouvante. Mais jamais dans la repentance parce qu'elle n'avait jamais cessé d'aimer l'homme qu'elle avait assassiné. Sa fin a été atroce paraît-il. Vous le direz à votre mère ? Elle trouvera peut-être le courage de prier pour elle. Encore que je ne pense pas que ça serve à grand-chose !

- Mme de Koenigsmark la haïssait trop ! Elle avait juré de la tuer de ses propres mains si elle la retrouvait…

- Mieux valait laisser faire le Seigneur ! Il sait, Lui, ce qui convient !

- Votre Altesse Royale m'autorise-t-elle une question ?

- Pourquoi pas ? demandez !

- Comment a-t-elle pu connaître le sort des Platen ?

- Le fil conducteur a été Mlle de Knesebeck, la suivante de Sophie-Dorothée. Réfugiée à Vienne elle s’y est mariée et le hasard a voulu que son mari possède une propriété proche de la maison des Platen. Dès qu’elle a appris le mariage prussien de la jeune Sophie-Dorothée, elle est entrée en correspondance avec elle et lui a tout raconté. La jeune reine s’est confiée à moi : l’affaire Koenigsmark avait suscité en son temps énormément de curiosité à Versailles, mais une fois renseignée j’ai préféré le garder pour moi. Jusqu’à ce jour.

- Je remercie Madame de sa confiance mais… Votre Altesse Royale n'a-t-elle pas dit que la reine de Prusse est malheureuse elle aussi ?

- Quel sorte de bonheur peut-on trouver auprès d’un homme qui transforme son palais en caserne, fait vivre les membres de sa famille comme s’ils étaient des recrues ignares et lésine sur toutes choses ? Il a une mentalité de sergent-major !… Il n’aime que ses gigantesques grenadiers !

Pour laisser s’apaiser l’émotion causée par ses révélations, Madame et son visiteur bavardèrent encore un moment. Parler sa langue était pour la vieille princesse un pur plaisir. Quand enfin elle rendit sa liberté à Maurice, elle lui offrit à baiser une main quelque peu tachée d’encre et lui fit promettre de revenir.

- J’aurai toujours plaisir à vous voir, mon garçon ! conclut-elle familièrement. Nous boirons ensemble quelques chopes de notre bonne bière et je vous donnerai des conseils ! A propos de bière, vous soupez ce soir chez le Régent ?

- Je vais avoir en effet cet honneur… et ce plaisir !

- Pour le plaisir n’y comptez pas trop ! Oh, je sais les bruits que l’on colporte sur les fêtes intimes de mon fils et de ceux de ses amis que l’on surnomme les « roués ». Bruits malheureusement exacts que je n’ai cessé de déplorer. Mais l’été dernier ma petite-fille, Mme la duchesse de Berry, est morte à vingt-quatre ans, usée par ces débauches paternelles dont elle prenait sa large part. Il y avait entre mon fils et elle une complicité, une même envie de goûter à tout, même au moins avouable ! Sa mort - horrible elle aussi ! - a brisé le prince. S’il croyait en Dieu, il y verrait un châtiment, mais ce n’est pas le cas. Cependant le plaisir n’a plus pour lui la même saveur ! Alors, n’espérez pas trop !