Выбрать главу

- Puisque vous allez servir la France, n’oubliez pas complètement notre vieille Allemagne !

- Oublie-t-on jamais son pays natal ? Il me manquera certainement mais, si elle veut bien me continuer son amitié, Madame sera là et nous pourrons continuer à en parler.

- Alors ne tardez pas trop, mon garçon ! Je me sens vieillir chaque jour et j’ignore s’il en reste beaucoup à ma disposition. Je suis lasse aussi…

- J’ai trop envie de revoir Madame pour que le Seigneur ne m’exauce pas.

Une étincelle de malice s’alluma dans l’œil de la princesse :

- Et… bien sûr vous passez votre temps à prier ?

- Non, je le confesse, mais il n’est aucune montagne que je ne sois prêt à gravir pour l’amour de Madame !

- Venez m’embrasser ! conclut-elle en riant. Et, quand vous reviendrez, n'oubliez pas de me rapporter des saucisses !

En quittant Paris le lendemain, Maurice de Saxe emportait un regret : il n’avait pas revu la belle dame dont l’image le hantait en dépit de ses nombreuses bonnes fortunes. Elle s’attardait à Chantilly, le domaine de ses pères, et ne reviendrait qu’à l’automne.

En dépit de la mise en garde de Philippe d’Orléans, Maurice avait hâte d’être sur la route du retour. Mais, avant tout, en finir avec ce stupide mariage ! Il se voulait libre, libre !…

A son arrivée à Quedlinburg, il eut l’agréable surprise de trouver sa tante Amélie auprès de sa mère. Veuve depuis plusieurs années déjà, Mme de Loewenhaupt, laissant à ses fils les domaines paternels, s’était retirée d’abord dans la maison familiale de Hambourg mais, s’y trouvant trop seule, faisait de fréquents séjours chez sa sœur.

La nouvelle qu’apportait Maurice les remplit de fierté mais aussi de tristesse :

- Ainsi tu as définitivement choisi la France, mon fils ? lui dit Aurore. Cela veut dire que nous ne te verrons plus ?

- Ne plus vous voir ? Jamais je n’y consentirai, mes chéries ! Vous êtes toute ma famille !

- Tu oublies ton père ? fit Amélie.

- Oh non, puisqu’il demeure le maître de ma vie et que je ne pourrai servir le roi Louis que s’il y consent… mais il ne s’est guère montré très paternel depuis que j’existe. Et moi, si je l’admire je ne suis pas sûr de l’aimer…

- Et si nous parlions de ton épouse ? dit Aurore avec un demi-sourire. Tu ne l’as pas oubliée, tout de même ?

- Je l’ai si peu oubliée que je veux à présent retrouver ma liberté. Vous m’aviez laissé entendre, ma mère, que vous vous en occuperiez. Où est-elle ?

- Chez elle, à Schönbrunn, d’où le beau Iago n’est jamais fort éloigné. Elle est persuadée que tu ne reviendras plus et elle s’autorise de ce départ pour vivre comme elle l’entend…

- Elle pourra agir comme il lui plaira lorsqu’elle ne sera plus comtesse de Saxe. Le roi est-il à Varsovie ?

- Il aime tellement mieux Dresde ! Il faut avouer que la ville gagne chaque mois en beauté ! Il veille à l’achèvement du Zwinger, son nouveau palais, et s’intéresse de près à sa manufacture de porcelaine de Meissen. L’inventeur, le pauvre Boettger, est mort l’an passé à trente-sept ans seulement. Sa santé était ruinée à la suite de ses treize années d’emprisonnement - il n’y a pas d’autre mot ! - dans son officine souterraine…

Mais Maurice ne se sentait guère concerné par cet homme qui avait eu le génie de retrouver le secret des Chinois pour la plus grande gloire d’un maître ingrat. Qu’Auguste II soit à Dresde lui convenait parfaitement : c’était moins loin !

Il y fut quelques jours après. Or, à son étonnement, si le roi montra quelque fierté de la nomination de son fils, il s’inquiéta subitement de le voir s’éloigner de lui, de sa mère et de son épouse. En outre, son nouveau grade supposait un train de vie pour lequel les dix mille livres allouées ne suffiraient sans doute pas.

Secrètement amusé par cette crise de sollicitude, Maurice le rassura ; il réduirait sa maisonnée au minimum… et ne ferait appel aux deniers de son père que dans les circonstances les plus exceptionnelles. Quant à sa mère, elle avait suffisamment de force de caractère pour ne pas s’opposer à ce qui devait être sa destinée. Enfin, pour ce qui était de sa femme, il entendait s'en débarrasser au plus vite, ne voulant pas continuer à couvrir de son nom des débordements dont tout un chacun pouvait se rendre compte.

Dans cette intention, il adressa aussitôt à Johanna-Victoria une longue lettre où il détaillait ses reproches mais promettait de cacher ses désordres et même de prendre la faute sur lui si elle acceptait de bonne grâce le divorce. Il pensait en faire ainsi une simple formalité… Or, nouvelle surprise, celle-ci envoya en retour une missive pleine de repentance. Elle reconnaissait ses erreurs mais ajoutait en conclusion qu’« une jeune femme peut bien faire une faute pourvu qu’on s’en repente et se corrige ». Et, sur ce, elle annonçait son retour à Dresde.

Lorsqu’il se retrouva en face d’elle, Maurice eut peine à garder son calme. Toute souriante, pimpante, coquette, elle courut à lui déjà prête à l’embrasser…

- Pourquoi m’avoir abandonnée si longtemps, mon cher époux ? Ne saviez-vous pas à quel point je tenais à vous ?

- Ah oui ? gronda Maurice en croisant les bras sur sa poitrine pour éviter un contact plus étroit qu'il ne l'aurait voulu. En vérité, Madame, on croit rêver ! Oserai-je vous rappeler que depuis des mois vous me ridiculisez autant dire publiquement avec votre Iago !

- Ne soyez pas trop sévère et essayez de me comprendre. Seule, délaissée, sans famille, j’avais besoin d’un bras pour me soutenir, d'un cœur où épancher mes douleurs… (Et soudain elle se mit à pleurer :) « En dépit des mauvaises langues, Iago a été surtout pour moi un ami, un frère qui m'aidait à supporter ma solitude…

- Solitude ? Alors que vous avez une demi-douzaine de femmes pour vous tenir compagnie et vous servir ?

- Ne dites pas de sottises ! cela ne remplacera jamais l’amour d’un homme !

- Vous avez eu celui de Iago.

Elle leva sur lui un regard implorant :

- Je ne le nie pas. Iago m'aime peut-être plus qu'il ne conviendrait et… je l'avoue, il m'est arrivé une fois… une seule fois, de céder à cet amour. Mais je me suis vite reprise !

- A qui ferez-vous croire ces sottises ? Certainement pas à moi ni à ceux qui vous ont vus ensemble à Leipzig, puis chez vous et en d'autres lieux.

Elle baissa les yeux, se moucha, prit un air malheureux et se remit à larmoyer :

- Et pourtant cela est ! Je vous aime, Maurice, comme au premier jour de notre mariage. Mon cœur n'a pas changé en dépit des apparences et je donnerais ce qu’il me reste à vivre pour vous reconquérir…

- Ce serait difficile. Vous ne m’avez jamais conquis !

- Que vous êtes cruel ! Eh bien soit, je serai votre fidèle et silencieuse compagne, je ne vous ferai plus jamais de reproches et je suis certaine que vous finirez par me rendre votre amour… Je suis revenue pour rester, car nous allons reprendre notre vie commune, n’est-ce pas ? Le temps de Noël qui n’est plus loin nous y aidera ! Nous allons vivre une renaissance sous le regard de l’Enfant Dieu. Tout s’apaisera, vous verrez, et quand vous repartirez pour la France je vous suivrai sans protester, sans aucun regret d’abandonner ma terre natale… Il n’est rien que je ne sois prête à faire pour vous.

La stupéfaction laissa, un instant, le mari sans voix. Cette diablesse ne manquait pas d’audace ! Mais son jeu, à présent, était devenu clair : elle voulait le suivre en France où l’Europe entière savait que la vie était plus joyeuse et plus agréable que partout ailleurs. Il donna libre cours à sa colère :