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Et virant sur ses talons rouges Charolais revint d’un pas incertain vers les tables où quelques confrères s’attardaient à parachever leur cuite. Maurice alors n’hésita plus et se lança sur la trace de la robe argentée comme un clair de lune qui allait s’évanouir dans l’ombre. Quand il la rejoignit, la compagne avait disparu. La princesse était seule, appuyée à la balustrade de pierre, regardant le ruban scintillant de la Seine.

- Madame !… commença-t-il tandis que le bruit de son cœur battant la chamade emplissait ses oreilles.

Elle se retourna et il put voir qu'elle tremblait.

- Vous vous êtes fait attendre, murmura-t-elle d’une voix basse et émue. Pourquoi ? Vous êtes là depuis deux mois et vous n’êtes pas venu ? Ne saviez-vous pas…

- Que pouvais-je espérer… On m’a dit que vous aimiez ailleurs.

- J’ai aimé ailleurs mais notre rencontre chez le roi a effacé cet ailleurs.

Les étoiles dans sa chevelure la nimbaient d’une lueur un peu mystérieuse. Elle était belle comme un rêve… Maurice n’eut qu’un pas à faire pour être contre elle et, tout naturellement, elle vint dans ses bras qu’il resserra en cherchant ses lèvres, puis son cou, sa gorge. Sous le tissu froid de la robe, sous les pierres scintillantes glissant jusqu’à la naissance des seins, sa peau était infiniment douce et brûlante. Sentant la jeune femme vaciller, il comprit qu’elle le désirait autant que lui et peut-être depuis aussi longtemps… et, reprenant sa bouche, il chercha des yeux le nid qui pourrait les accueillir. Alors, il l’entendit rire doucement.

- Viens ! souffla-t-elle à son oreille.

Elle voulut lui prendre la main pour le guider mais, refusant de l’écarter de lui si peu que ce soit, il la glissa autour de sa taille. Ainsi enlacés, ils descendirent sur la berge du fleuve par une petite grille. Il y avait là une barge supportant une sorte de pavillon de bois qui s’ouvrit, découvrant, sous la lumière douce d’une veilleuse, un large divan et des coussins de soie… le nid que Maurice désespérait de trouver ! Un seul inconvénient : il y faisait une chaleur de four… A peine entré, Maurice sentit qu’il transpirerait mais à nouveau elle rit tout en se détachant de lui :

- Allons nous baigner d’abord !

Avec une incroyable rapidité, elle laissa tomber ses robes, lui offrant l'éclair laiteux de son corps encore paré de ses bijoux avant de se glisser dans l’eau noire. Un instant plus tard il la rejoignait pour renouer leur étreinte. L’eau était délicieusement fraîche mais pas assez pour éteindre le feu qui les brûlait. Ils y firent l’amour pour la première fois avant de revenir sur l’herbe de la berge afin d’y retrouver leur souffle. Ils s’enlacèrent de nouveau, vite repris par ce désir qu’ils portaient en eux depuis tant de mois mais, avec l’approche du jour, la nuit fraîchissait et Maurice enleva Louise-Elisabeth dans ses bras pour la rapporter dans la cabine où le lit les accueillit. Le lit… et la lumière, et pendant de longues minutes le comte découvrit toute la beauté de ce corps qui se soumettait si tendrement à lui. Avec tous ces diamants, Louise-Elisabeth ressemblait à une idole à laquelle il ne pouvait rendre que le plus païen des cultes…

- Quand vous reverrai-je ? murmura-t-il le cœur soudain serré tandis qu’elle lui échappait pour revêtir ses atours de fête.

- Mais ce soir, chez moi !… Oh, par pitié, venez m’aider ! Ces robes sont pleines de pièges et je ne sais comment m’y prendre. Alors qu’il est si facile de les ôter !

Ce fut un autre jeu, ponctué de baisers, de caresses et de rires. La chambrière occasionnelle semblait prendre un malin plaisir à compliquer la tâche. Louise-Elisabeth fut prête, la coiffure un peu en désordre mais, à la fin d’une fête chez le Régent, il ne se trouverait personne pour s’en étonner… Maurice la vit remonter vers le château, disparaître sous les arbres. Il s’étira longuement, envahi d’un délicieux bien-être… et aussi d’une grande envie de dormir. Alors, comme il était toujours nu, il replongea dans la Seine en se demandant s’il n’allait pas y rester toute la journée. Le soleil qui se levait enveloppé d’une brume de chaleur annonçait une température torride et les rues de Paris allaient devenir brûlantes.

Néanmoins, pensant qu’un billet arriverait sans doute chez lui pour compléter les indications du rendez-vous, il sortit de l’eau, se sécha, s’habilla et s’en alla à la recherche de sa voiture…

Il rentra donc à l’hôtel de Châteauneuf pour y dormir dans l’attente de la prochaine nuit mais, vers cinq heures, son valet l’éveilla en lui apportant un billet : il fallait ajourner. Le mari qui devait s’absenter demeurant à Paris pour une grave raison. Le petit roi était très mal…

Plus qu’inquiet parce qu’il savait ce que signifierait la mort du jeune Louis XV - l’écroulement de la Régence et un hallali féroce de ses innombrables ennemis sur le duc d’Orléans… et ses proches -, Maurice se précipita au Palais-Royal. L’imminence de la catastrophe y était peinte sur tous les visages et il n’eut aucune peine à apprendre ce qui s’était passé. Le matin même, tandis qu’il assistait à la messe à Saint-Germain-l’Auxerrois comme d’habitude, l’enfant s'était évanoui. La chaleur sans doute mais, ramené aux Tuileries, ses médecins constatèrent qu'il avait une forte fièvre laissant tout à craindre, même le pire.

- Allez faire un tour aux Tuileries ! lui conseilla son ami Canillac, le capitaine des mousquetaires. Vous en entendrez de belles !

- Quoi par exemple ?

- Mais… que Monseigneur Philippe a empoisonné le roi, tout simplement ! Cette folle de duchesse de La Ferté le clame à tous les échos sans rencontrer le moindre contradicteur. Quant au vieux Villeroy, non seulement il opine mais il laisse entendre que, sans ses soins, le drame se serait produit beaucoup plus tôt !

- C’est insensé !

- Sans doute, mais si vraiment nous perdons le roi, notre ami n’aura pas trop de nous tous, qui lui sommes fidèles, pour empêcher qu’on le massacre. Quitte à faire pendre ou rouer quelques clampins qui ne seront pour rien dans ce meurtre.

Pendant deux jours Paris retint son souffle. Aucun mieux ne se manifestait. On avait commencé, dans les églises, les prières de quarante heures et le cardinal de Noailles faisait exposer la châsse de sainte Geneviève protectrice de Paris afin de condenser sur elle la ferveur d’un peuple désorienté qui n’était pas loin de perdre la tête. Le duc de Richelieu, Canillac, Saxe, Charolais et quelques intimes campaient au Palais-Royal, prêts à faire de leurs corps un ultime rempart au Régent.

Et puis, un beau matin, tandis qu’un bienfaisant orage abattait la canicule et transformait la ville en bourbier, tout s’arrangea. Alors que la Faculté errait toujours lamentablement, un jeune médecin suisse nommé Helvétius1 prit sur lui d'administrer au petit malade une forte dose d’émétique, déchaînant une « évacuation charmante » qui le ressuscita comme par magie. Le lendemain, Louis pouvait, depuis son balcon, saluer une foule en délire qui se livra par la suite à toutes les manifestations d’une joie folle. Seul le pauvre Philippe d’Orléans resta en dehors de ces festivités. Dans l’opinion commune, l’accusation d’empoisonnement - qui avait déjà fait surface au moment de la double mort du duc et de la duchesse de Bourgogne, parents de l’enfant roi - ne perdit pas une voix.

Pendant ce temps, dédaignant les nombreuses manifestations de la liesse populaire ainsi que le Te Deum à Notre-Dame, Maurice et Louise-Elisabeth se laissèrent emporter durant deux jours entiers par leur passion mutuelle, bien cachés dans une dépendance du château de Choisy qui avait appartenu à la défunte princesse de Conti. Mais la bienheureuse période de quasi-folie générale ne dura pas longtemps. Le mari, qui s’était rendu en Angleterre pour se hâter de mettre à l’abri les millions qui, joints à ceux de son beau-père le duc de Bourbon, avaient déstabilisé le système de Law, rentrait et sa jalousie allait obliger les amants à plus de prudence. Choisy les vit moins, ce qui donnait un prix infini à leurs étreintes secrètes.