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Vinrent les fêtes de fin d’année.

Au soir de Noël, une violente dispute opposa Conti à son épouse. Dispute où il tint le rôle principal, Louise-Elisabeth opposant le plus souvent à ses fureurs un dédaigneux silence. Néanmoins il était maître chez lui et elle ne put que hausser les épaules quand il lui signifia l’interdiction de sortir même pour la messe de minuit.

- Quant au réveillon, ma chère, vous devrez le faire avec vos seules femmes. Aucun homme ne vous approchera !

Et il partit festoyer dans certaine maison du Marais dont il avait fait le centre de ses divertissements. Ce départ en fanfare n’avait arraché à la jeune femme qu’un sourire de dédain. Elle savait pouvoir compter sur ses serviteurs parce que plus généreuse et plus agréable à servir que ce vilain bonhomme atrabilaire et facilement cruel. N’importe comment, elle n’avait pas l’intention de sortir ce soir-là, sachant pertinemment que rien n’empêcherait Conti d’aller se vautrer dans la débauche, en évitant l’église où il ne mettait jamais les pieds sauf en cas de cérémonie officielle. Aussi attendait-elle son amant que Louison, sa femme de chambre préférée, était chargée d’attendre, à onze heures, à la petite porte des jardins donnant sur la rue Guénégaud2 et de l’accompagner jusqu’à sa chambre où tout était disposé pour une nuit délicieuse…

Elle était largement entamée, cette nuit - il pouvait être deux heures du matin et le calme régnait dans l’hôtel plongé dans l’obscurité - quand le roulement d’un carrosse résonna sur les pavés de la cour et, presque aussitôt, Louison se précipita dans la chambre éclairée par une veilleuse, où, au milieu du lit dévasté, Louise-Elisabeth et Maurice se partageaient une coupe de champagne en y buvant alternativement entre deux baisers.

- Madame la princesse, vite ! C’est Monseigneur ! Et il n’est pas seul !

Louise-Elisabeth eut une exclamation de colère :

- Mon Dieu ! Il nous a tendu un piège ! Quelqu’un a dû nous trahir !

Mais déjà elle avait sauté du lit et se hâtait de couvrir sa nudité d’un ample déshabillé de soie blanche et de dentelles. Maurice aussi s’était levé et précipité sur ses vêtements répandus un peu partout sur le tapis :

- La peste soit de ce mari qui rentre sans avoir la galanterie de prévenir ! fit-il en riant. Nous allons devoir en découdre dans votre chambre, ma chère.

- Il ne vient pas pour se battre mais pour vous tuer puisqu'il amène du monde. Vous connaissez sa lâcheté !

Sans cesser de parler elle retapait le lit tandis que Louison faisait disparaître dans un coffre le couvert et le verre dont s’était servi Saxe.

- Comment faire sortir M. le comte, Madame ? chuchota la jeune fille terrifiée. Monseigneur a mis à coup sûr des gens dans la cour et du côté jardin ! Oh Miséricorde ! Il est déjà dans l’escalier…

- Il me reste le côté du quai, jeune fille ! Grâce au Ciel il y a des fenêtres ! répliqua Maurice tranquillement.

- Vous n’y pensez pas ! protesta Louise-Elisabeth. Elles sont trop hautes et vous allez vous rompre le cou !

- Pour un de vos baisers je donnerais cent fois ma vie ! Il est seulement dommage que je n’en aie qu’une à vous offrir ! N’ayez crainte : il y a un dieu pour les amoureux… et je suis fou de vous !

A moitié vêtu seulement mais emportant le reste de ses habits et en gardant son épée nue à la main en cas de surprise, il suivit Louison qui, armée d’une chandelle, le guida jusqu’à la galerie du bord de l’eau. Là, elle ouvrit une fenêtre au-delà de laquelle on voyait briller les lumières du Pont Neuf où, en dépit du froid, se tenait une sorte de festivité nocturne. La hauteur qu'elle découvrit la fit frissonner :

- Il n’y a personne mais c’est terriblement haut ! Vous risquez de vous tuer, Monseigneur !

- Mais non ! Je suis comme les chats : j’y vois clair la nuit et je retombe toujours sur mes pattes. Jetez ce qui reste de mes habits après moi, éteignez la bougie et refermez la fenêtre ! Le temps presse !

En effet, l’hôtel s'emplissait de bruit. Maurice se signa, enjamba l’appui qu’il empoigna en se tournant le dos au fleuve. Louison le vit se suspendre puis se laisser tomber…

En dépit de sa peur, la jeune fille, entendant un gémissement, se pencha, vit une masse immobile et le crut mort. Elle avait soufflé la chandelle et son regard s’accoutumait à l’obscurité. Un instant, elle s’affola, ne sachant que faire pour porter secours, puis, soudain, quelque chose bougea. Elle vit le comte se redresser, endosser sa pelisse et enfin se remettre en marche en longeant la Seine… et en clopinant. Un peu rassurée, elle referma et rejoignit l’appartement de sa maîtresse.

Pendant ce temps Louise-Elisabeth avait repris son sang-froid et lorsque Conti, l’épée à la main, s’engouffra dans sa chambre, il la trouva assise à la table du souper et grignotant une pâtisserie, un verre de champagne dans l’autre main. Sans attendre elle le prit de haut :

- Voilà des façons de rustre, Monsieur ! Qu’est-ce qui vous prend d’entrer chez moi à pareille heure et armé de cet objet dont vous n’avez jamais su vous servir ?

La mine fermée, Conti se mit à fouiller partout, ouvrant les tiroirs, les armoires, regardant sous le lit qu’il défit complètement, alla inspecter le cabinet voisin où étaient les robes de la princesse.

- Puis-je savoir ce que vous cherchez ? demanda-t-elle, agacée. Auriez-vous perdu quelque chose ? Je ne vois vraiment pas ce que cela pourrait être… sinon peut-être votre tête ?

Le ton moqueur de la jeune femme arrêta le prince :

- Il y a un homme ici, Madame, et je le sais…

Elle ironisa :

- Allons donc ! Si vous aviez pensé qu’il y eût un homme, un vrai, chez moi, vous vous seriez bien gardé d’y paraître !

Les deux époux se mesurèrent du regard, elle dédaigneuse, lui bouillant de colère et contenant à grand-peine son envie de tuer. Mais elle était sa cousine germaine et s’il se laissait aller à des voies de fait toute la maison de Condé lui tomberait dessus. Sans compter le Régent qui le détestait. Lentement, il remit son épée au fourreau et prit une longue respiration afin de se calmer.

- Vous ne gagnerez pas toujours à ce jeu, Madame, un jour vous irez trop loin et j’aurai ma revanche.

Détournant gracieusement la tête, la princesse étouffa un bâillement :

- Voilà que vous parlez par énigmes maintenant ? Comment faites-vous pour être aussi intelligent à cette heure de la nuit ? De toute façon, si je voulais vous tromper j’aurais toujours le dessus parce que j’ai sept moyens de vous berner !

Et, posément, elle en énuméra six puis conclut :

- Quant au septième, je ne vous le dirai pas : c’est celui dont je me sers.

Cette ironie mordante était une imprudence mais Louise-Elisabeth avait tellement peur pour Maurice qu’elle eût dit n’importe quoi pour retenir l’attention de son mari. Celui-ci en avait déjà entendu d’autres mais cette fois la coupe déborda. Par chance il avait lâché son épée sinon il l’eût transpercée mais, saisissant le chandelier d’argent qui avait éclairé le souper, il l’en frappa en aveugle. Elle s’écroula tandis que l’une des bougies mettait le feu au tapis. Ce qui n’émut pas Conti. Se penchant sur sa femme inerte dont le front saignait, il cracha :

- Maudite garce ! Il y a longtemps que j’aurais dû faire ça !

Et il s’élança hors de la chambre en claquant la porte derrière lui. L'instant suivant, il dévalait l'escalier, renvoyait la troupe d'estafiers qui gardait les portes de l’hôtel puis remontant dans son carrosse et s'en retourna finir sa nuit au Marais. Mais, dès qu'il fut descendu, Louison, qui guettait cachée derrière un coffre de la galerie, se précipita chez sa maîtresse, jeta un pot d'eau sur le feu. Nourri de la laine du tapis il brûlait mal mais fumait beaucoup en répandant une odeur pénible. Puis, ayant entendu le roulement de la voiture, elle appela au secours. On allongea la princesse sur son lit. Sa blessure au front saignait et bleuissait mais elle n'était pas morte et même reprit assez vite connaissance…