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L’infante que le jeune roi devait épouser avait été renvoyée à Madrid à la suite d’une maladie de son fiancé qui avait donné des craintes sur la durée de sa vie. Au duc de Bourbon - dit Monsieur le Duc - régentant alors les affaires, comme au cardinal de Fleury Premier ministre, il était apparu que, si Louis XV ne procréait pas avant de mourir, la couronne passerait au nouveau duc d’Orléans. Or, l’infante n’était même pas nubile. Donc il fallait la rendre à sa famille - pas trop contente évidemment ! - et conclure au plus vite une union avec une princesse capable d’avoir des enfants.

On en trouva quatre-vingt-deux. Après un second examen, il en resta cinq dont la fille du tsar Pierre le Grand, Elisabeth, mais elle était née d’un père ivrogne, à peu près barbare et passait pour déséquilibrée. C’est alors que le futur fiancé trancha la question : il voulait des portraits car, malgré ses quinze ans, il avait des goûts affirmés et ne voulait pas acheter chat en poche. Parmi eux, il y avait celui d’une jeune fille dont Louis s’empara sur l’heure pour le faire installer dans sa chambre : c’était celui de Marie Leczinska.

Le parti n’avait rien de brillant. Roi détrôné, Stanislas menait avec sa famille une vie plus que médiocre dans une modeste maison de Wissembourg. Ses biens avaient été confisqués, plus aucun secours n’arrivait de Varsovie et les diamants de sa femme, Catherine (Opalinska), étaient chez un usurier de Francfort.

La jeune fille n’était pas non plus d’une foudroyante beauté mais elle avait une jolie taille, des yeux expressifs, un sourire charmant et un teint éblouissant. Beaucoup de grâce aussi, réchauffée de l’intérieur par un cœur généreux, charitable, une grande bonté et une gaieté naturelle que n’avaient pas entamées les vicissitudes de l’existence. Comme à ces qualités elle ajoutait une allure vraiment royale et la pratique du chant, de la danse et du clavecin, on pouvait dire qu'elle avait tout ce qu'il fallait pour faire une bonne épouse et une excellente reine. Louis XV, lui, fut conquis dès qu'il eut vu le portrait et n'en démordit pas : ce serait elle ou aucune autre ! Le 4 septembre, vêtue d'une robe de velours violet bordée d'hermine semée de fleurs de lys d’or au devant couvert de diamants, Marie Leczinska devenait la reine d’un prince charmant habillé de drap d'or, un énorme diamant - qui était « le Régent » ! - relevant le bord de son chapeau à plumes blanches. Ce fut une journée de joie couronnée par une nuit dont le couple sortit rayonnant…

A contempler cet éclat, cette jeunesse, Maurice, qui avait eu la surprise de voir le lendemain Adrienne Lecouvreur et les Comédiens-Français venir jouer Molière devant les nouveaux mariés, pensait que c’était bien beau d’être roi. N’étant que bâtard il n’avait droit à aucun trône où que ce soit, pourtant il se sentait taillé pour ce rôle-là et capable de le jouer avec talent. Jusque-là il avait lutté afin de faire reconnaître sa valeur et se forger un destin digne de ses ancêtres, mener les hommes au combat en s’efforçant de les ménager au mieux, devenir un grand stratège. A présent, il lui semblait que le rideau de brume masquant l’avenir se faisait plus transparent pour laisser deviner les ors d’un chemin de lumière…

Il y rêvait le lendemain, tôt le matin, près de la pièce d’eau des carpes, quand Adrienne vint le rejoindre - les comédiens avaient été logés dans les communs du château. Pour ne pas troubler une rêverie qui apparemment ne le remplissait pas de joie, elle s’était approchée à pas de loup mais son parfum la dénonçait et, avant même qu’elle eût dit un mot, il avait passé un bras autour de sa taille, sans cesser de regarder l’eau. Puis soudain il lui fit face pour l’embrasser longuement ; ensuite elle s’écarta afin de scruter son visage :

- Vous souffrez… et je crois deviner de quoi.

Il s’efforça de sourire :

- Une simple migraine. Trop de libations hier au soir qui m'ont empêché de vous rejoindre…

- N’essayez pas de me donner le change ! Je vous connais trop et je vous aime trop ! L’éclat de ce beau mariage vous fait mesurer sans doute une oisiveté qui vous irrite mais c’est surtout votre sang royal qui vous fait mal. Vous êtes prince sans en avoir le titre, vous devriez être promis au trône…

- Comme tu me connais bien ! murmura-t-il les lèvres dans ses cheveux en la serrant plus fort contre lui. Malheureusement il n’y a pas de réponse aux questions que je me pose.

- Qui peut savoir s'il n’y en aura jamais ? Dieu m’est témoin que dans mon égoïsme je redoute l’aventure glorieuse qui vous emporterait loin de moi mais, si elle se présentait, je ne ferais rien pour vous en détourner. Au contraire je vous y aiderais de toutes mes forces car j’aimerais mieux me déchirer le cœur que vous voir malheureux !

- Tant que vous serez à moi, je ne le serai jamais ! Emmenez-moi avec vous à Dammartin4 ! Allons nous aimer loin de cette Cour où je n’ai d’autre occupation que regarder, saluer, dire des fadaises et encore regarder !

- C’est impossible. Je repars pour Paris où demain je joue au théâtre…

- Alors j’y serai avec vous pour vous applaudir… et ensuite vous enlever !

Mais, le lendemain soir, il n’était pas au théâtre et, quand elle le retrouva chez elle où il était allé l’attendre, elle sut tout de suite qu’il s’était passé quelque chose. Plus aucune trace de mélancolie ! Maurice rayonnait positivement. Sans même lui laisser le temps de poser une question, il la couvrit de baisers, la déshabilla en un tournemain et lui fit l’amour avec une ardeur nouvelle, une sorte d’enthousiasme qui fit presque peur à la jeune femme. Et ce fut seulement quand il alla chercher le plateau du souper pour le poser entre eux sur le lit, qu’il annonça :

- On dirait que l’avenir n’a pas de secrets pour vous, ma douce, et que vos beaux yeux savent en percer le voile. L’aventure glorieuse que vous évoquiez hier, je crois bien qu’elle se présente : en rentrant chez moi j’ai trouvé une lettre du comte de Friesen, mon beau-frère.

Henri-Frédéric de Friesen, grand chambellan et grand fauconnier d’Auguste II, n’était pas un inconnu pour Maurice, loin de là, mais il n’avait lié amitié avec lui que durant le dernier séjour à Dresde. C’était ce même Friesen qui, fiancé à Johanna-Victoria, s’était vu enlever sa promise pour la marier illégalement au jeune Gersdorff, après quoi le mariage avait été cassé au bénéfice du comte de Saxe. Si l’évincé avait montré quelque humeur à l’époque, les aventures conjugales du couple l’avaient abondamment éclairé sur le sort auquel il avait échappé et leurs relations avaient pris un tour plus cordial. Et quand Frédéric-Henri avait épousé Augusta de Cosell, fille de la comtesse du même nom et d’Auguste II5, les liens avaient pris un tour chaleureux. Les deux hommes s’estimaient et partageaient un égal amour de la vie et de la bonne humeur.

Et que disait la lettre de Frédéric-Henri ? Qu’une couronne de prince souverain se présentait à l’horizon et qu’il y avait là une chance à saisir : celle de la Courlande. Mais qu’est-ce que c’était que la Courlande ?

Au nord de l’Europe, sur la Baltique, étroitement enserré entre la Prusse, la Lituanie et la Livonie, c’était un petit pays plat, dont le point culminant ne dépassait pas deux cents mètres, peu fertile, très humide du fait de ses innombrables rivières et de ses trois cents lacs, enveloppé de brouillard les trois quarts de l’année et dont le demi-million d’habitants vivait d’élevage, d’un peu d’agriculture et de pêche. La capitale en était Mittau, une ville modeste fondée au XIIe siècle par les chevaliers Teutoniques. S’ajoutait au pays le duché de Semigalle encore plus obscur.

Quoi qu’il en soit, le dernier grand maître des chevaliers à la croix noire, Gothard de Ketteler, désireux de sauver le pays du chaos, s’était fait séculariser pour lui donner des héritiers…