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Dans les débuts du XVIIIe siècle le tenant du titre, Frédéric-Guillaume de Ketteler, un noble vieillard, avait épousé sur le tard la nièce du tsar Pierre le Grand : Anna Ivanovna, dont, bien sûr, il n’avait pas eu d’enfant. C’était pour l’heure présente une veuve encore jeune à laquelle il fallait un époux car, si elle n’avait pas le droit de régner seule - le titre ducal avait été donné provisoirement au frère du défunt, Ferdinand de Ketteler, valétudinaire et gâteux -, elle pouvait transmettre et le pouvoir et le titre. Pour terminer le tableau, ajoutons que l’Etat avait pour suzerain la Pologne, à laquelle la mort du duc donnait des idées d’annexion pure et simple. Or, la courageuse petite Courlande entendait défendre ses libertés : vassale peut-être - et encore ! - mais pas province !… En outre la veuve bien que née russe ne voulait à aucun prix du prétendant que Saint-Pétersbourg lui offrait. En l’occurrence le « prince » Mentchikov, ancien pâtissier et amant de sa tante, l’impératrice Catherine, elle-même ex-servante. Conclusion : comment convaincre Russes et Polonais de rester chez eux sans offenser personne ? Et la réponse était apparue, aveuglante : le comte de Saxe, guerrier exceptionnel, de sang princier et pourvu d’une réputation de séducteur telle qu’il pourrait être tout à fait normal que l’on s'éprît de lui. Dans ce but, la duchesse s’adressa en secret au ministre de Pologne à Saint-Pétersbourg, Lefort, afin qu’il fît en sorte de sonder l’intéressé. Ravi de la solution proposée, ledit Lefort s’aboucha aussitôt avec le comte de Friesen. Le résultat final en était la lettre qui venait d’arriver à Paris.

Elle transporta Maurice de joie. Une couronne ! Enfin une couronne s’offrait à lui ! Qu’importe qu’elle fût seulement ducale puisqu'elle était souveraine et ferait de lui le neveu de Pierre le Grand ! Il allait avoir un pays à lui, des terres, des sujets ! C’était tellement inespéré qu’il avait peine à y croire !

- Je pars ! clama-t-il de toute sa voix en enlevant de terre Adrienne pour la faire tournoyer. Dès demain il faut que je sois en route ! Oh mon cœur, vous êtes ma chance, ma bonne étoile ! Vous avez foi en mon destin plus que moi-même ! Je vous adore !

Il lui criait son amour, fou de joie comme un gamin qui reçoit un cadeau rêvé depuis longtemps, en dansant à travers la chambre alors que son cœur à elle se serrait à lui faire mal. Il était bien vrai qu’elle avait essayé de lui faire oublier, dans ses bras, sa naissance semi-royale. Mais vrai aussi qu’au fond elle redoutait ce qui arrivait. Il allait partir, une fois de plus, pour ne plus revenir. Ou si peu ! Cela faisait affreusement mal… pourtant elle l’aimait trop pour lui laisser voir à quel point elle souffrait. Elle fit appel à tout son talent de comédienne et, quand il la reposa à terre, elle souriait sans se rendre compte qu’elle avait les larmes aux yeux. Mais lui s’en aperçut :

- Vous pleurez quand je suis heureux !

- Sans doute. Mais vous ne savez pas que l’on peut pleurer de joie ! Vous allez régner, mon ami. Vous allez réaliser votre plus beau rêve ! Je vous aime assez pour partager ce grand bonheur !

Sérieux, tout à coup, il la prit aux épaules afin de scruter ce doux visage si sensible :

- Et moi je vous aime trop pour renoncer à vous ! Lorsque je serai duc de Courlande, vous viendrez me rejoindre. Vous serez la reine du théâtre que je construirai pour vous ! Vous aurez un palais, des chevaux…

- … et vous une épouse ! Cela pourrait ne pas lui plaire ?

- Dans quel pays avez-vous vu un souverain se soucier de sa femme pour gouverner sa vie ? Croyez-moi, Adrienne ! Nous avons devant nous tant de beaux jours !… Et tant de nuits ! ajouta-t-il en enfouissant son visage dans le cou de la jeune femme. Je t’aime, tu sais…

Il lui en donna sur-le-champ une preuve supplémentaire et elle se laissa emporter par la vague de leur désir mutuel.

Quand il la quitta enfin, elle était presque heureuse. N’avait-il pas promis d’écrire, de tout lui raconter, et il s'entendait si bien à bâtir un avenir étincelant qu'elle rêvait déjà d'y participer. Ils allaient être séparés un peu de temps sans doute mais après… Ce diable d'homme avait le talent de vous cheviller au corps ses convictions…

Le lendemain, Monsieur l'ambassadeur de Saxe aux noces de Sa Majesté Très-Chrétienne prenait la route de Varsovie en compagnie de son secrétaire Saint-Laurent et de son valet Beauvais ; le premier enchanté devant les nouvelles perspectives ouvertes à son désir de faire fortune, le second beaucoup moins enchanté. Il fallait qu'il aime fort son maître pour le suivre dans cette entreprise qui allait fixer leur résidence au pays des neiges. C'était un homme qui craignait le froid et, en plus, l’hiver approchait…

A Varsovie, Frédéric-Henri de Friesen attendait Maurice avec impatience. Ses affaires étaient en bonne voie. La duchesse de Courlande avait envoyé une délégation composée de seigneurs locaux un peu rustres mais pleins de bonne volonté et contents à l’idée d’avoir un maître jeune, vigoureux, guerrier infatigable et célèbre. Ils avaient apporté une lettre d’Anna Ivanovna qui invitait le comte de Saxe à venir lui rendre visite à Mittau.

- Si tu lui plais, expliqua Friesen à son demi-frère, tu as la couronne. Certes, la Courlande possède une Diète chargée de l’élection mais, si la duchesse la met devant le fait accompli, elle ne pourra qu’entériner.

- Et… notre père ? Avant d’aller là-bas, j’aimerais avoir son sentiment ?

- Tu ne le verras pas à moins que tu ne l’attendes. Il est parti pour Dresde mais rentrera bientôt…

Maurice décida d’attendre. Il en profita pour lier connaissance avec le baron de Bracken, ambassadeur de Courlande à Varsovie, qui le remercia d’avoir accepté l’invitation à se rendre à Mittau et lui conseilla de ne pas trop faire traîner les choses.

- Elles peuvent changer en si peu de temps ! Songez à toutes les convoitises que suscite notre duché ! Je sais que de nombreux notables se dirigent vers la frontière pour vous accueillir et vous escorter comme il convient jusqu’à Mittau où la duchesse vous espère avec impatience…

- De toute façon, intervint Friesen, Sa Majesté ne peut qu’être d’accord…

La délégation courlandaise étant d’avis qu’au lieu d’attendre une confirmation il fallait au contraire se presser, Maurice décida son départ pour le lendemain. Or, au moment même où, en tenue de voyage, botté, le chapeau sur la tête et une cravache à la main, il s'apprêtait à quitter sa chambre, un personnage hors d’haleine s’y rua après avoir bousculé Beauvais.

- Ah, Monsieur le comte, vous êtes encore là ! Dieu soit loué, j’arrive à temps !

Sourcils déjà froncés, Maurice, qui n’augurait rien de bon de cette entrée fracassante, considéra avec méfiance le nouveau venu qui se trouvait être un notable peu coutumier de ce genre d’irruption : le comte de Manteuffel, ministre de son père.

- A temps pour quoi, Monsieur ?

- Pour vous retenir de commettre une grosse faute : Sa Majesté vous fait savoir… non, je dois m’exprimer selon ses propres termes : Sa Majesté vous interdit de prendre la route de Courlande. Vous n’avez plus rien à y faire.

- Est-ce un ordre ?

- Sans aucun doute dès l’instant où le roi interdit.

- Alors écoutez ceci : je n’aurais garde de désobéir au roi en toute autre chose mais si je ne pars pas maintenant tout est perdu pour moi. Laissez-moi passer !

- Vous ne pouvez le faire ! Songez qu’en refusant d’obtempérer vous devenez rebelle et, comme tel, passible…