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Pour le coup, la duchesse se fâcha, offrit à son « fiancé » - on se demande d’ailleurs pourquoi le mariage n’avait pas encore eu lieu ! - l’asile de son palais, emprisonna les incendiaires qui n’avaient pas réussi à s'esquiver assez vite et envoya à la tsarine une énergique protestation :

« Gardez votre Mentchikoff, ma cousine ! Je n’en veux à aucun prix. Quant au comte de Saxe, sachez que je donne ce jour les ordres pour que l’on active les préparatifs du mariage ! »

Pourquoi fallut-il alors qu'au lieu d’en finir avec Dorothea, Maurice continue à la voir et, cette fois, dans la demeure même de sa future épouse ? Une telle folie méritait du sort une sanction et vint le moment où la chance sur laquelle il ne cessait de s'appuyer l'abandonna.

Dans la nuit du 21 janvier 1727 la neige enveloppa le pays d'une épaisse couche de neige venue si subitement que les deux amants ne s'en aperçurent qu’au moment de ramener la jeune femme chez elle. Il était six heures du matin mais, le soleil se levant tard en hiver, l’obscurité est profonde. Tout était silence et tranquillité. On ne s’inquiéta donc pas mais, pour éviter à sa maîtresse de patauger et de rentrer trempée, Maurice la fit monter sur ses épaules :

- Comme cela vos jolis pieds ne seront pas mouillés et vous ne prendrez pas froid, fit-il en riant.

Et les voilà partis en direction de la fenêtre de Dorothea, plus amusés qu’inquiets de l’aventure. Soudain surgit du bois une vieille femme armée d’une lanterne qui, en apercevant vaguement une forme qui lui parut fantastique, se crut en présence d’un monstre et se mit à hurler tout en élevant son quinquet pour mieux y voir. Maurice voulut alors donner un coup de pied dedans mais, ce faisant, il perdit l’équilibre et s’affala avec Dorothea sur la vieille qui brailla de plus belle. Les sentinelles de garde aux portes de la résidence accoururent et tout fut découvert. Tandis que Dorothea en larmes était portée chez elle, on reconduisit à son logis le comte de Saxe que tout Mittau connaissait. Avec les honneurs dus à son rang mais sans se soucier d'éviter le bruit. En un rien de temps l'affaire courut le palais et la ville. Maurice venait de gâcher sa chance d’épouser la duchesse et, par malheur, c'était la dernière…

Il ne s'en était pas rendu compte, mais seule la volonté farouche d'Anna Ivanovna le protégeait de ses ennemis. Averti, Auguste II pesa sur la Diète pour qu'elle annule l'élection de son fils, exigeant même qu'il restitue le document attestant son titre de duc de Courlande. Non seulement Mentchikoff reparut avec encore plus de troupes mais les Courlandais se détournèrent de Maurice, à de rares exceptions près. Après avoir subi les fureurs de sa « fiancée » il dut s’enfuir et ce fut tout juste si l’on ne mit pas sa tête à prix !

Pour échapper à la meute, il alla se retrancher avec ses fidèles dans l’île d’Ugmaïs au milieu d’une lagune de la Baltique. Quelque trois cents hommes l’accompagnaient et sa situation était critique. Pourtant il écrivit à sa chère Adrienne : « Me voici dans mon île comme Sancho Pança (il se confondait volontiers avec Don Quichotte dont la lecture faisait ses délices !). Dieu veuille que mon gouvernement dure plus longtemps que le sien !… Ce matin en faisant mes dispositions militaires j’ai jeté les yeux sur une petite île voisine et tout à fait charmante. Je pensai à vous et formai le projet d’une charmante habitation, me flattant qu’un jour vous pourriez l’habiter. Si je ne réussis pas, je vous reverrai plus tôt et en serai content. Les événements ne sont rien et vous vous êtes tout. »

Bientôt il est enfermé dans son île que Mentchikoff fait assiéger par dix mille hommes, sans compter les renforts qu’il attend… Ce qu'il ignore c’est que la tsarine Catherine vient de mourir et que, pour le moment, Mentchikoff est le seul maître de l’empire russe en attendant une succession encore incertaine. Et Maurice n’a que trois cents hommes avec lui. Il écrit alors à Adrienne : « Il n’est plus temps. Les Russes sont à portée du canon. Je suis sans armes et il faut bien quitter la partie. Demain, je ferai une bonne sortie et je percerai au travers s'ils se trouvent dans mon chemin. Je les éviterai pourtant si je le puis. Adieu ! Aimez-moi ! Si je péris vous perdrez quelqu’un qui vous a sincèrement aimée… »

Maurice est trop réaliste pour ne pas comprendre qu’il est perdu et, en dépit de ce qu’il a écrit, il voudrait préserver ceux qui lui ont fait confiance et acceptent de mourir pour lui, avec lui. Un instant il est tenté par une vision pleine de panache : charger à la tête de ses fidèles et se faire tuer le premier. La belle image ! La belle fin pour le roman de sa vie !…

Pourtant, à la sauvage violence des guerres, cette époque mêlait un sens de la courtoisie difficile à saisir de nos jours. Le général Lascy, qui commande les troupes russes, demande au « duc de Courlande » de lui accorder un moment d’entretien avant de lancer l’assaut. Là, il lui dit que s’il refuse de se rendre, lui seul, l’attaque aura lieu dès son retour sur la terre ferme.

- Je demande à réfléchir. Disons… une dizaine de jours !

- Impossible, Monseigneur ! Sachez que derrière nous il y a une armée polonaise envoyée par le roi votre père. Je ne peux vous accorder que quarante-huit heures.

- C’est déjà bien et je vous en remercie. Un mot encore : qu’adviendra-t-il de mes hommes ?

- Aucun mal. Ils ne seront pas traités en rebelles mais en prisonniers de guerre et il se peut que, dès la montée au trône du nouveau tsar, on les renvoie chez eux.

- Qui va régner sur la Russie ?

- Je l’ignore. Plusieurs candidats sont en ligne. Alors ? Que décidez-vous, Monseigneur ?

- J’accepte le délai que vous m’accordez !

Ce soir-là, il réunit ses officiers pour leur dire adieu puis s’enferma avec son valet Beauvais à qui il remit ce qu’il possédait alors de plus précieux après son épée : le décret de la Diète de Courlande qui faisait de lui un prince. Tant que le document n’était pas rendu, il ne pouvait être valablement rapporté :

- Si je suis pris, il sera détruit. Garde-le pour moi. On n’ira pas le chercher sur toi !

- Sauf votre respect, Monseigneur, j’aimerais mieux partir avec vous.

- Moi aussi, mais ce chiffon de papier courrait le même risque. Prends soin de toi ! Tu me rejoindras à Memel6. Bonne chance !

Entièrement vêtu de noir pour se confondre avec la nuit, il alla chercher son cheval, le sella sans oublier les sacoches contenant les maigres biens qui lui restaient, y joignit l’épée qu’il se refusait à rendre et les bottes d’Adrienne puis, tenant son destrier en bride, il descendit sur une petite plage et entra dans l’eau sans faire le moindre bruit. Tantôt nageant, tantôt traversant à gué les endroits où la mer était basse, il vint aborder près de Windau, épuisé mais hors de danger…

Quelques jours plus tard, des courriers galopaient à travers l’Europe pour annoncer aux diverses chancelleries l’accession au trône de Pierre le Grand de la duchesse de Courlande Anna Ivanovna ! La nouvelle étourdit Maurice, mesurant un peu tard que pour une banale aventure amoureuse il avait gâché la chance inouïe qui aurait fait de lui non seulement le maître du double duché mais aussi le tsar de toutes les Russies…