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Le poing du roi s’abattit sur son bureau :

- Ah, vous trouvez ? Je vous conseille cependant d’y réfléchir encore car vous lui plaisez ! A ce prix peut-être je vous rendrai ma bienveillance !

Cette fois, la colère qui sonnait dans la voix du roi de Pologne ne trouva pas d’écho chez son fils. Il comprit que quelque chose s'arrêtait net et que cet homme ne l’avait jamais aimé. Avait-il seulement aimé sa mère comme elle méritait de l’être : avec son cœur et non avec l’insatiable appétit sexuel qu’il lui avait d’ailleurs transmis jusqu’à un certain point ? Avait-il jamais éprouvé ce que lui-même avait ressenti pour Rosette Dubosan, pour Louise-Elisabeth de Conti et surtout pour Adrienne Lecouvreur ? Certainement pas !

La découverte était cruelle mais ce n’était à tout prendre qu'une déception de plus. En revanche l'image de la comédienne s’imposait à présent. Il savait par ses lettres qu’elle ne cessait de l’appeler. Elle avait foi en lui, en son étoile qu’une sorte de seconde vue lui annonçait brillante : « Revenez, revenez, mon cher comte, vers celle qui est toute à vous et aussi vers cette gloire qui vous attend en France… » Il était plus que temps de tourner le dos à sa terre natale pour aller vers un autre destin…

- Sire, dit-il en regardant Auguste au fond des yeux, je ne saurais acheter ce qui ne m’a jamais été accordé, surtout à ce prix. Avec la permission de Votre Majesté, je prends d’elle un congé définitif. Je souhaite au roi un règne long et glorieux mais ma gloire à moi, je vais la chercher ailleurs ! C’est en France qu’elle m’attend !

Dans un silence total, Maurice salua militairement son père, tourna les talons et sortit du cabinet sans qu’aucun des trois hommes soudain pétrifiés eût trouvé à redire.

Il avait déjà repris son cheval et s’éloignait au galop quand Frédéric de Friesen arriva dans la cour…

Un matin d’automne, Adrienne, assise en déshabillé du matin à son petit bureau, écrivait à son ami d’Argental :

« Une personne, attendue depuis très longtemps, arrive enfin ce soir en bonne santé selon les apparences. Un courrier vient de devancer parce que la berline est cassée à trente lieues d'ici. On a fait partir une chaise et on sera ici ce soir… »

Le bonheur irradiait la jeune femme, se communiquant à toute la maison livrée au grand ménage et aux préparatifs du retour. Elle-même se sentait une autre. Finis, ces jours d’inquiétude, ces nuits de solitude où, incapable de trouver le sommeil, elle épiait les rares bruits venus du dehors, espérant contre toute logique le grincement du portail, le roulement d'une voiture, le pas d’un cheval suivi, dans l’escalier de marbre, de celui, sonore, d’un homme pressé de la rejoindre ! S’il n’y avait eu la Comédie où elle ne cessait de triompher, elle se fût peut-être laissée périr d’angoisse, de douleur, de la crainte de ne le revoir jamais. Alors, elle enfilait un peignoir et se précipitait à sa table pour écrire, écrire et encore écrire des lettres débordantes de son amour :

« Je vous aime, je vous aime plus que jamais. J’aime vous aimer et je suis heureuse que cette tendresse soit pleine et entière comme en ce moment… »

Ce moment seulement ? Alors que, de ces trois années interminables, il n’y eût pas un battement de cœur qui ne soit dédié à l’amant ! Elle savait qu’il connaissait d’autres femmes. Pouvait-on demander à ce fauve une si longue abstinence ? D’ailleurs n’était-il pas parti pour se marier ? Elle avait éprouvé un soulagement quand il lui avait fait le portait d’Anna Ivanovna. Et même elle en avait ri. Et, quand il s’était agi d’Elisabeth de Russie que l’on disait complètement folle mais aussi jeune que belle, elle n’eut pas d'inquiétude : au fond, elle savait que Maurice l’aimait, elle, autant qu’il pouvait aimer. Il suffisait de relire ses lettres, moins nombreuses que les siennes - il s’en fallait ! -, où il laissait parler son cœur.

Quand elle sut qu’il allait enfin revenir, c’est son miroir qu’elle ne cessa d’interroger, craignant d’y voir, trop nettes, les marques d’une aussi longue absence. Son amie Aïssé, la belle Circassienne qui avait connu à quatre ans le marché aux esclaves des Turcs et qui poursuivait une nonchalante carrière théâtrale, la rassurait :

- Je ne vois à vos traits que plus d’expression. La passion peut magnifier un visage ou le détruire à jamais ! Vous avez atteint le premier stade, méfiez-vous du second !

- Je suis plus âgée que lui !

- Personne ne s’en douterait et lui doit toujours l’ignorer ! N’oubliez pas que le théâtre vous a faite reine, alors restez sur votre trône ! Consolez-le, aimez-le mais pas au point de devenir son esclave !

- Je l’aime tant !

- A merveille !… Mais qu’il n’en soit pas trop sûr !

Adrienne souriait, promettait et retournait à son miroir. Puis ce fut d’Argental qui vint comme d’habitude pour sa visite du matin. Pour lui le retour du guerrier était bien la pire nouvelle car au fil des jours, des mois et des années il avait fini par espérer qu’une couronne quelconque retiendrait Saxe dans les brumes du Nord et que lui pourrait continuer de jouer ce rôle du consolateur distillant un réconfort parfaitement hypocrite parce qu’il ne désespérait pas de trouver, un beau matin, la jeune femme en larmes. Il serait si doux de reprendre la place d’amant de cœur dont le barbare saxon l'avait chassé !

Ce jour-là, il la trouva rayonnante, fourrageant dans sa garde-robe pour choisir celle qui conviendrait le mieux pour renouer avec le bonheur. Elle prenait une robe des mains de Fanchon, sa femme de chambre, l’appliquait contre elle devant la glace puis la rejetait :

- Je n’ai plus rien à me mettre ! déclara-t-elle, dramatique à souhait. Il va me trouver affreuse !

- Comment une femme aussi fine que vous peut-elle émettre de telles sottises ! Qu’avez-vous à vous soucier de vos robes ? Mettez seulement une rose dans vos cheveux… et rien d’autre ! Il se prosternera devant votre beauté comme je le ferais moi-même si j’avais le bonheur inouï de vous reconquérir !

Attendrie, elle vint prendre son visage entre ses mains et posa sur sa bouche un baiser léger :

- Vous m’êtes plus cher que jamais, Charles ! Même quand nous étions amants, je ne vous aimais pas autant. Ne pouvez-vous vous en contenter ?

- Il le faudra bien car je mourrais si je ne devais plus vous voir ! Quant à cet heureux homme, recommandez-lui de se garder de vous faire pleurer comme vous le fîtes trop souvent ! Qu’au moins son retour vous donne le bonheur que vous méritez…

Lorsque la chaise de poste boueuse qui ramenait Maurice franchit le portail et pénétra dans la cour, non seulement la maison n’était pas illuminée comme le voyageur s'y attendait mais elle était presque obscure… Seul un chandelier posé sur la table du vestibule éclairait l'escalier, relayé par un autre à l'étage. Les volets de la chambre étaient clos mais la porte du perron grande ouverte. A l'exception du portier aucun serviteur n’était en vue.

- Mademoiselle est-elle absente ? demanda l’arrivant.

- Je ne crois pas, Monsieur le comte. Mademoiselle est là !

Mais déjà, lancé dans l’escalier, il en franchissait les degrés quatre à quatre, se ruait sur la porte de la chambre qu’il connaissait si bien… et se crut en Paradis !

Ce fut le parfum d’Adrienne qu’il découvrit en premier. Il emplissait l’air tiède. Puis les bouquets de longues bougies roses placés aux bons endroits afin de ménager des zones d’ombre dorée. L’un éclairait la table fleurie où attendait un souper froid. Deux autres caressaient le vaste lit de satin blanc où Adrienne appuyée sur un coude était à demi étendue. Ses beaux cheveux dénoués sur lesquels une rose était piquée formaient son seul vêtement et la lumière allumait tendrement des reflets sur son corps, plus ravissant encore que dans la mémoire de celui qui revenait. De sa main libre, elle offrait une flûte de cristal pleine de fines bulles…