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Plus qu’inquiet Maurice la quitte le moins possible et l’entoure de ce qu’il peut donner comme soins. Un autre est là aussi : le fidèle d’Argental qui ne sort guère de la maison et n’a pas hésité à jeter au visage de Maurice qu’il le tient pour responsable de l’état d’Adrienne. Seule la défense formelle de la jeune femme empêche le duel.

Le 15 mars 1730, en dépit de son épuisement, elle tient à jouer Jocaste dans l’Œdipe de Voltaire. Elle est si mal qu’il lui faut sortir de scène une vingtaine de fois pour s’isoler car elle perd du sang. Cependant, par un effort de volonté elle ira jusqu’au bout de ce rôle difficile qu’elle joue comme d’habitude à la perfection mais, après le spectacle, elle gagne son beau lit de damas fleuri… et ne s’en relèvera pas.

Quatre jours plus tard, alors qu’on la croyait un peu mieux, elle meurt dans les bras de Maurice. Il y a là le chirurgien Faget mais aussi Voltaire et d’Argentai, tous deux bouleversés. Son amie Aïssé accourue à son chevet écrivit quelques jours plus tard à la marquise de Lambert :

« … La pauvre créature mourut lorsqu’on la croyait tirée d’affaire. Elle eut des convulsions, chose qui n’arrive jamais dans les dysenteries. On lui a trouvé les entrailles gangrenées. On prétend qu’elle a été empoisonnée par un lavement… »

Voltaire, en effet, avait convaincu Faget de pratiquer une autopsie avec le résultat que l’on sait. Cela contre la volonté de Maurice qui ne pouvait supporter l’idée sacrilège qu’on allait taillader ce corps charmant auquel il devait tant de belles heures. Il s’enfuit afin au moins de ne pas être présent pendant cette horreur.

Une horreur qui allait bientôt se prolonger sous une autre forme. Bien qu'Adrienne eût été sa vie durant une fidèle chrétienne, le curé de Saint-Sulpice, Loguet de Cergy, déclara que sa dépouille n’entrerait pas dans son église parce que, avant de mourir, la comédienne n’avait pas renié un métier considéré comme infamant. Il fallait se résigner à un enterrement civil à moins que le gouvernement n’intervînt. Mais le chancelier Maurepas répondit qu’il s’en rapportait au curé de Saint-Sulpice.

Aussi lorsqu’au matin suivant les amis d’Adrienne se massèrent devant sa maison pour assister aux funérailles, ils apprirent avec une stupeur indignée que, dans la nuit, le cadavre, dont le cercueil n’avait pas encore été livré, avait été enveloppé d’un drap et emporté vers une destination inconnue, probablement dans quelque terrain vague, pour y être enfoui dans de la chaux vive. Une escouade du guet conduite par un certain Laubinière s'était chargée de la vilaine besogne…

Furieux, Voltaire écrivit alors à sa mémoire une ode, vite interdite mais cependant célèbre :

Sitôt qu’elle n’est plus elle est donc criminelle ?

Elle a charmé le monde et vous l'en punissez…

Il fut prié de faire moins de bruit. Le siècle des Lumières n’en était encore qu'aux bouts de chandelles ! Cependant l’abbé Mouret avait été repris et conduit à la Bastille. On le garda un an en prison. Encore ne le relâcha-t-on qu’après qu’on eut obtenu de lui qu’il avoue avoir inventé cette histoire de pilules afin de s’introduire auprès de la comédienne dont il était tombé amoureux. On croit rêver !

Objet de la vindicte publique, la duchesse de Bouillon se retira sur ses terres en compagnie de son vieil époux qui eut le bon goût de la laisser veuve peu après, mais de cette liberté elle ne profita guère : elle-même devait suivre Adrienne dans la tombe sept ans plus tard. Elle aurait à son heure confessé une collection de fautes mais nié avoir voulu empoisonner la grande artiste… Il se peut que la famille ait voulu en le proclamant détruire cette vilaine résurgence de l’affaire des Poisons et blanchir une mémoire douteuse…

Maurice de Saxe s’enferma chez lui avec une douleur d’autant plus cuisante qu’elle se teintait de remords. Celui qui fut le plus fidèle à la mémoire de la jeune femme, ce fut le comte d’Argental. Durant des années et des années, avec une obstination de limier, il chercha la sépulture de celle qu’il avait tant aimée. A force d’or, il finir par acquérir la certitude qu’Adrienne Lecouvreur était enfouie sous une demeure nouvellement construite : l’hôtel de Sommery, situé à l’angle de la rue de Bourgogne et de la rue de Grenelle. Il ne pouvait être question, évidemment, de faire démolir la maison mais il réussit à obtenir d’apposer sous le porche une plaque de marbre :

Ici l’on rend hommage à l’actrice admirable

Pur esprit par le cœur également aimable.

Un talent vrai, sublime en sa simplicité

L’appelait par nos vœux à l’immortalité

Mais le sensible effort d’une amitié sincère

Put à peine obtenir ce petit coin de terre

Et le juste tribut du plus pur sentiment

Honore enfin ce lieu méconnu si longtemps…

De ces recherches, Maurice ne sut rien. Aux prises avec une souffrance dont il était le premier surpris, il se jeta d’abord dans le travail et rédigea, après de longues méditations, un ouvrage extraordinaire intitulé Mes Rêveries où il rassemblait d’abord toutes ses connaissances d’homme de guerre avant d’y développer des principes quasi visionnaires qui devaient revêtir une importance considérable dans l’histoire de la stratégie et jetaient même les bases de ce que seraient les guerres modernes. Napoléon lui-même qui le lut avec attention devait s’en inspirer avant Austerlitz… Le chevalier de Folard, seul à partager la semi-réclusion de son jeune ami, ne cacha pas son admiration, touché surtout par le souci extrême que prenait Saxe de la vie quotidienne des soldats et d'une exigence à économiser leur sang. « Il vaut mieux différer de quelques jours une bataille plutôt que de perdre inutilement un grenadier qu'il faut vingt ans pour former… »

Quand, fatigué d’écrire, il rejetait sa plume, il ouvrait devant lui certain coffret de marqueterie dans lequel il conservait toutes les lettres qu’Adrienne lui avait envoyées en Courlande ou ailleurs, et en relisait quelques-unes. C’était toujours tard dans la nuit, quand tout dormait autour de lui et que rien ne viendrait troubler l’évocation du cher fantôme. Il ne tolérait pas l’idée que l’on pût le voir pleurer…

Le vide affectif laissé par cet amour le ramena par deux fois à Dresde. La première pour savoir quels espoirs lui étaient encore permis de récupérer la couronne de Courlande à présent qu’Anna Ivanovna était devenue tsarine. Il avait aimé ce peuple et pensait qu’il y retrouverait un peu de bonheur. Il fut déçu mais du moins eut la possibilité, avec l’aide de Friesen, de se réconcilier avec son père. La seconde, appelé justement par le père en question qui avait lu ses Rêveries et souhaitait lui confier la réorganisation de ses armées. Mais ils ne devaient jamais se revoir. Comme Maurice arrivait à Dresde, le roi venait de partir pour Varsovie afin d’assister à l’ouverture de la Diète polonaise et cela en dépit d’un état de santé précaire. Il eut un malaise au cours du voyage mais, au lieu de s’arrêter comme le demandait son médecin, il ordonna au contraire de presser l’allure. Malheureusement, quand on fut à Varsovie et qu’Auguste voulut descendre de voiture, il se prit les pieds dans son ample pelisse fourrée et tomba lourdement en s’ouvrant le pied droit sur l'une des marches de fer de la berline. La blessure était d’autant plus grave qu'elle lui fit perdre beaucoup de sang. La gangrène s’y installa et, en peu de jours, le roi fut à toute extrémité. Le 2 février 1733 à cinq heures du matin, il s’éteignait à l’âge de soixante-trois ans. Maurice put seulement assister aux funérailles…