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Son demi-frère Frédéric-Auguste II devenait automatiquement Prince Electeur de Saxe mais, en ce qui concernait la Pologne, c’était une autre histoire, le souverain devant être élu par la Diète. Or la vacance de ce trône électif ouvrit une crise européenne qui ne se fût peut-être pas produite si Stanislas Leczinski, ex-élu au trône de Pologne, n’avait été le père de la reine de France. Ses ambitions se réveillèrent et il partit pour Cracovie déguisé en marchand. La Diète l’acclama et il fut proclamé roi tandis que la Russie, bien décidée à garder l’espèce de tutorat qu'elle exerçait sur Auguste II, prétendait continuer avec son fils. Alliée à l’Autriche elle envoya des troupes afin d’expédier une fois de plus le pauvre Stanislas dans ses foyers. La guerre de succession de Pologne allait commencer.

Pris entre deux feux - un demi-frère qu’il n’aimait guère et la France à laquelle il s’était attaché - Maurice de Saxe opta, et cette fois de façon définitive, pour Versailles.

En y revenant pour y prendre ses ordres, il apprit une autre mort qui lui fut sensible. La charmante Aïssé, la belle Circassienne jadis enlevée au harem du sultan ottoman par le comte de Ferriol, que Paris avait applaudie, adulée, qui avait repoussé l’amour du Régent - sans qu'il lui en gardât rancune - par amour pour le chevalier d’Aydie, qui avait été l’amie d’Adrienne et auprès de qui enfin Maurice avait trouvé quelques doux instants de consolation, venait de mourir tournée vers Dieu. Ils avaient le même âge et Maurice l’aimait bien…

Au fond cette guerre tombait à point nommé pour lui remettre les idées en place. En appliquant à ses soldats les préceptes de ses Rêveries, en veillant à ce qu’ils vivent mieux et à ce qu’on lui en tue le moins possible, il oublierait peut-être qu’il avait pleuré d’amour…

TROISIÈME PARTIE

MARÉCHAL DE FRANCE !

1743

CHAPITRE X

UN ENNEMI…

- Vous êtes incroyable, mon ami, s’esclaffa le duc de Richelieu. Le roi vous fait l'honneur - rare, croyez-moi ! - de vous appeler auprès de lui. Mieux encore, se souvenant de notre vieille amitié, il m’envoie vous chercher. Et vous n’avez pas autrement l’air satisfait ?

- De vous voir, si ! Ainsi que de passer ce moment avec vous et je vous ai une reconnaissance infinie de vous être dérangé mais, à tout vous avouer, je me suis toujours senti un peu perdu à Versailles ! L’immensité du palais, l’étiquette, l’atmosphère un peu trop solennelle… tout cela me convient mal.

- Dites-vous que cela ne convient pas davantage à Sa Majesté ! Mais, rassurez-vous, il y a du changement…

Dans le carrosse de Richelieu, les deux hommes traversaient le bois de Boulogne en direction de la ville royale et Maurice avait été fort surpris quand vers midi il avait vu atterrir chez lui ce compagnon des folles nuits de la Régence. Leur amitié s’était nouée à ce moment-là. Peut-être parce qu’ils avaient le même âge, le même goût des femmes, des armes et de tous les plaisirs de la vie. La même propension à la rébellion et la même témérité aussi.

Il y avait longtemps qu’ils ne s'étaient vus : Richelieu était gouverneur du Languedoc et lui-même à présent lieutenant général1 revenait de l’Est, ayant établi les quartiers d’hiver de ses troupes à Deckendorf.

Mais l’un, à travers ses différents postes, était demeuré un homme de cour au fait des secrets de couloir et capable de mener simultanément plusieurs intrigues, alors que l’autre, de bataille en bataille, était demeuré soldat avant tout, forgeant son image de stratège et de guerrier d’exception. La guerre de succession de Pologne, où à Philipsbourg il avait eu la gloire de mettre en échec son héros d’autrefois, l’avait comblé. En effet le prince Eugène, contraint de rendre les armes devant celui auquel il avait conseillé jadis de servir le pays dont il s’était lui-même détourné, lui avait dit, au lendemain de la bataille :

- Je ne croyais pas faire à la France un si beau cadeau !

Ensuite il y avait eu la guerre de succession d’Autriche où, en maintes occasions, Saxe avait donné la pleine mesure de ses talents. D’abord à l’armée du Rhin où, sous le maréchal de Berwick2, il avait multiplié les actions brillantes, payant de sa personne et menant à bien des opérations ponctuelles qui lui avaient valu l’enthousiasme de ses soldats dont il savait se faire aimer tant par le soin qu’il prenait d’eux que par sa fougue à charger à leur tête, l’épée à la main, en hurlant comme un cosaque. Ensuite sous le maréchal de Belle-Isle il avait pris Prague, marchant ainsi sur les traces de son illustre ancêtre, le maréchal Jean-Christophe de Koenigsmark. A cette différence que celui-ci, un siècle plus tôt à peu de chose près, avait allègrement pillé la ville aux toits d’or et que Maurice, victoire acquise, interdit tout saccage, tout pillage et toutes voies de fait. Ce dont les habitants reconnaissants vinrent à son camp le remercier en lui offrant un magnifique diamant portant le nom de Prague… Ensuite lorsque les troupes françaises se retirèrent il assura une retraite impeccable, tirant parfois ses hommes de situations difficiles. Passé sous le commandement du maréchal de Broglie remplaçant Belle-Isle tombé malade, il assura le commandement entier de l’armée quand Broglie fut rappelé, disgracié et exilé, et la ramena en France. Il venait à présent prendre les ordres et attendre sa nouvelle mission. Dix ans ! Dix ans qu’il était ainsi sur la brèche, ne rentrant à Paris que pour de brefs séjours et, presque chaque année, faire une cure thermale à Balaruc, en Languedoc, afin d’y soigner les séquelles d’une vieille blessure reçue à Crachnitz qui l’obligeait parfois à user d’une canne. C’était d’ailleurs un plaisir pour lui que ce séjour dans le vieux pays protestant vidé jadis par la révocation de l’Edit de Nantes mais où il retrouvait pourtant des amis grâce à la politique compréhensive du défunt Régent…

- Avez-vous une idée de ce que vous veut le roi ? demanda soudain Richelieu, chez qui les silences ne duraient jamais longtemps.

- Aucune ! Il y a des mois que je ne l’ai vu.

- Pourquoi pas le bâton de maréchal ? Vous le méritez amplement ! D’ailleurs nous le méritons amplement tous les deux, à la réflexion !

- Vous l’aurez certainement avant moi, mon cher ami, fit Saxe en riant. Si même je l’ai jamais. Vous êtes duc, de grande race puisque vous portez ce beau nom de Richelieu, bien en cour en dehors de vos exploits guerriers, et surtout vous êtes catholique, ce que je ne suis pas, Français, ce que je ne suis pas…

- Bah, tant que le cardinal de Fleury était aux affaires, cela pouvait poser problème mais, puisqu’il nous a quittés pour un monde réputé meilleur, que le roi ne veut plus de Premier ministre et entend gouverner à sa guise, cela pourrait s’arranger. Quant à la nationalité française, je vous rappelle que Berwick, dont nous avons salué l’un et l’autre la mort glorieuse à Philipsbourg, était Anglais et même fils naturel de Jacques II, comme vous êtes celui d’Auguste II. Les lettres de naturalité viendront toutes seules. Cela dit et puisque que vous avez évoqué le peu d’attraits que Versailles exerce sur vous, je vous promets une surprise…