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- Bonne, j’espère ?

- Oh, excellente ! Vous redoutiez l’atmosphère empesée ? Eh bien elle ne l'est plus : le roi est amoureux fou et de la personne la plus gaie, la plus spirituelle qui soit. Ambitieuse et intelligente de surcroît, elle lui a tenu longtemps la dragée haute mais enfin, à la Noël dernière, elle lui a permis de l’aimer !

- Permis ? Vous avez de ces mots !

- Ils ne sont que trop véridiques. Mme de La Tournelle n’aime pas le roi. Ce qu'elle aime c’est le pouvoir, c'est être la première, la mieux parée, la plus belle, avec le reste du monde à ses pieds !

- Vous allez me prendre pour un paysan - ce que je suis sans doute ! - mais… qui est Mme de La Tournelle ?

- Jamais entendu parler des sœurs de Nesle ?

- Au fin fond de l’Allemagne et de la Pologne les dames de la Cour n’occupent guère les bivouacs…

- Mais beaucoup Saint-Pétersbourg, où vous pouvez être certain que la tsarine Elisabeth les connaît toutes et cela pour une excellente raison : elle rêve d’épouser notre roi depuis toujours. Mais revenons aux sœurs de Nesle, Mmes de Mailly, de Flavacourt, de Vintimille, de Lauraguais et de La Tournelle. La première devint favorite officielle environ en l’an 1735 quand la reine, après avoir mis au monde dix enfants, fit entendre à son époux qu’elle souhaiterait dormir tranquille à l’avenir…

- Elle a refusé le roi ? Elle si timide, si douce !

- On peut la comprendre ! Quatre-vingt-dix mois - sept ans et demi ! - de grossesses quasi ininterrompues ! A peine relevée de ses couches, notre sire la rejoignait dans son lit et il faisait mouche à tout coup ! Cela n’empêche pas la reine d’adorer son époux et je pense qu’il fallait qu'elle soit à bout pour trouver le courage de se refuser. D’autant qu’elle a tout de même sept ans de plus que lui. Arriva alors la marquise de Mailly ! Pas régulièrement belle mais de la branche, de l’élégance, un corps agréable et, surtout, follement, éperdument amoureuse de Louis. Fort pieuse au demeurant, elle céda non sans larmes de repentir et actes de contrition. Comme elle pleurait beaucoup, le roi pleura aussi mais, tenant à honorer la majesté royale jusque dans l’acte de chair, Louise de Mailly, s’il lui fallait bien laisser tomber ses robes de cour avant l’amour, n’en conservait pas moins tous ses bijoux !

La voyant si bien établie, ses sœurs brûlèrent de la rejoindre dans ce pays-ci. Elle eut l’imprudence de faire venir sa cadette, Pauline, qui, elle, ne pleurait pas et ne vit aucun inconvénient à chasser sur les terres de son aînée. Elle eut le roi mais fut très vite enceinte et celui-ci se hâta de la marier au marquis de Vintimille du Luc avant de revenir à Louise de Mailly. Hélas il était évident qu’il se lassait et commençait à chercher autour de lui. Comme il est extrêmement séduisant il n’avait qu’à choisir mais souhaitait plutôt la nouveauté. C’est alors qu’arrivèrent les trois dernières sœurs de Nesle : Hortense de Flavacourt, Diane de Lauraguais et, surtout, Marie-Anne de La Tournelle.

- Ce qui fait cinq, il me semble. Les aurait-il eues toutes ? fit Maurice qui commençait à s’amuser.

- Non. Mme de Flavacourt lui échappa. C’est tout simple : elle aimait son mari, lequel était d’ailleurs fort jaloux… Mais Mme de Lauraguais n’y mit pas tant de façons : c’est une bonne fille, pas très belle mais faite à ravir et aussi gaie que la pauvre Mailly était triste. Elle fut pour le roi un délassement agréable et je crois qu’elle l’est toujours plus ou moins, bien qu’il soit tombé amoureux de Mme de La Tournelle. Et là se cassa les dents ! Ravissante, éblouissante, pleine d’esprit et d’ambition, elle sut se faire longuement désirer, affichant même ses amours avec le duc d’Agenois.

- Et alors ?

- Alors, j’entre en scène. Eh oui, mon cher, pour le plaisir de mon maître je me suis fait entremetteur et ce n’était pas facile. Il fallait entretenir la passion du roi, chapitrer la belle Marie-Anne et, en sortant de chez elle, donner quelques consolations à cette pauvre Mailly qui, elle, ne comprenait pas grand-chose et pleurait plus que jamais. En outre il convenait d'éloigner Agenois, l’amant en titre. Ce fut relativement aisé. Gouverneur du Languedoc, j’obtins facilement pour lui une charge qui le renverrait sur ses terres sans que cela ressemblât à un exil, après quoi j’entrepris Mme de La Tournelle qui me voyait d’un œil assez gracieux. Comme elle n'était pas éprise, elle entendait poser des conditions. D’abord elle voulait être « maîtresse déclarée » et que son royal amant tînt sa cour chez elle. En outre, et c’était ce qui était le plus triste, elle exigeait le départ de sa sœur Louise de Mailly. Elle eut tout cela et rendit enfin les armes. Ainsi que vous allez pouvoir vous en rendre compte, elle règne sur Versailles, détestée par la moitié de la Cour, crainte par l’autre et exécrée par la reine. Mais le roi est fou d’elle. Il ne lui refuse rien… sauf pourtant une chose à laquelle la belle n'a aucun pouvoir : les petites visites qu'il ne peut s’empêcher de rendre à la bonne grosse Lauraguais, pour laquelle il doit éprouver une impression semblable à celle que l’on ressent en chaussant des pantoufles confortables après s’être fait tirer des bottes un peu étroites. Il y tient comme un chien à son os et la favorite l’a si bien compris qu’elle a choisi d’abandonner la question. En échange, elle veut être duchesse. Ce qui ne saurait tarder. On songe à lui donner Châteauroux… mais il en résulte que la Cour naguère mélancolique est devenue fort gaie pour plaire à Mme de La Tournelle qui adore le faste, les joyaux et les plaisirs.

- On s’y amuse ?

- Mon Dieu, oui ! Moins qu’à Paris peut-être mais on s’y amuse. D’ailleurs, en dehors des fêtes chrétiennes, des réceptions protocolaires, des visites de souverains, l’emploi du temps de la Cour est réglé : le lundi, il y a concert, le mardi Comédie-Française, le mercredi Comédie-Italienne, le jeudi tragédie - ce n’est pas follement drôle mais la reine adore ! -, le vendredi les jeux, le samedi re-concert et le dimanche jeux ! Deux fois la semaine il y a bal, chasse un jour sur deux environ quand ce n’est pas plus : à l’exemple de tous les Bourbons, le roi est un grand chasseur, un cavalier émérite. Mais… nous arrivons !

Le carrosse en effet venait de franchir les grilles où veillaient les Gardes-Françaises et se dirigeait vers la cour de Marbre et l’entrée principale. Comme chaque fois qu’il y venait, Maurice éprouva la magie de ce palais sans égal, de cette multiple splendeur si harmonieuse dans sa pureté de lignes et cela en dépit de son immensité. Versailles trouvait le moyen d'être à la fois grandiose et séduisant parce que marqué au coin du génie français et de la majesté de ses rois…

Quand les deux hommes descendirent de voiture, on leur apprit que le roi chassait mais qu’il y avait concert chez la reine. Peu soucieux d’aller s’ennuyer auprès de Sa Majesté, charmante au demeurant mais qui, étant fort pieuse, n’engendrait pas la gaieté - et qui de plus ne l’aimait pas ! -, Richelieu allait proposer à son compagnon une promenade dans le parc pour attendre le retour du roi, quand un garçon bleu3 l’aborda et, avec un profond salut, lui remit un billet que le duc décacheta d’un doigt rapide après en avoir demandé la permission à son ami, après quoi son visage aigu s’éclaira :