Une aussi complète raclée aurait dû valoir une destitution à l’impudent personnage mais il avait l’oreille du ministre de la Guerre, le comte d'Argenson, et on le confirma dans son commandement… tandis que l’on rappelait son chef, le maréchal de Broglie. Ainsi en allait-il dans ce que l’on appellerait un jour la « guerre en dentelles ». Saxe était déjà loin : le maréchal de Noailles, généralissime, connaissant sa valeur, l’avait rappelé pour lui confier la défense de la frontière mise en péril par la défaite de Dettingen.
Ce nouveau commandement allait en faire rien de moins que le sauveur de la France. En trois mois, avec les « épluchures » de Noailles, il verrouille la frontière en échelonnant depuis Landau jusqu’à Brisach cinquante-huit bataillons parmi lesquels les patrouilles de Saxe-Volontaires feront merveille. En outre, les îles du Rhin sont occupées. Tout cela a fait réfléchir le roi Frédéric II de Prusse - « Frédéric le Grand » - qui connaît bien Saxe et l’apprécie. Des ouvertures discrètes menées en direction de Versailles aboutissent… à l’envoi encore plus discret de Voltaire à Potsdam sous le prétexte officiel d’échapper aux persécutions de l’Eglise, ce qui aboutira au traité de Francfort. Mais Maurice de Saxe, qui a décidément la bougeotte, n’est déjà plus en Allemagne. On lui avait confié la mission de tenter l’impossible : renverser la dynastie de Hanovre et ramener au trône le jeune Charles-Edouard Stuart - Bonnie Prince Charlie -, le plus romantique des prétendants !
C’est une idée assez folle. Réitérer l’exploit de Guillaume le Conquérant n’a rien d’évident mais la nouvelle duchesse de Châteauroux, désormais toute-puissante, y tient : elle aime beaucoup le prétendant ! Maurice aussi qui le rencontre à Dunkerque où Charles-Edouard lui tombe pratiquement dans les bras en pleurant de bonheur. C’est un charmant prince et Saxe voudrait lui faire plaisir - d’autant qu’étriller un Hanovre est toujours une idée séduisante pour qui garde dans ses veines le sang des Koenigsmark ! -, mais cette fois c’est la Nature qui s’en mêle. Certes, il y a à Dunkerque une flotte de solides navires chargés de bons soldats, mais impossible de sortir du port ! A peine les bateaux atteignent-ils la haute mer qu’une furieuse tempête se déchaîne, en disperse quelques-uns, en démolit d’autres… Retour au port ! Une nouvelle tentative - Maurice est monté à bord du vaisseau amiral - n’a pas plus de succès.
- Décidément, grogne-t-il, les vents ne sont pas jacobites !
On décida d’attendre que le temps se calme et, pour ce faire, on s’efforça de réparer les navires endommagés et de soigner ceux qui avaient eu à pâtir des chocs contre les rochers de la côte… Cependant à Versailles les vents tournaient plus vite que ceux de la mer et un courrier du ministre d’Argenson rappela le comte de Saxe à Paris. Les configurations astrales n’étant pas non plus favorables, on abandonna le projet… momentanément tout au moins puisque la guerre officielle était déclarée entre la France et l’Angleterre. Leurs rois respectifs s’étaient adressé des lettres bourrées de revendications, on allait donc en découdre. Mais une belle surprise attendait Maurice à Versailles : le lundi de Pâques 6 avril 1744 il était nommé maréchal de France.
Ce fut presque un scandale : on avait osé donner le bâton aux fleurs de lys à un huguenot ? Impensable ! Inadmissible ! Mais Maurice n'était pas fait d'un autre bois que son géniteur. Celui-ci s’était converti au catholicisme pour coiffer la couronne de Pologne, Maurice déclara qu’il était tout disposé à « se faire instruire ». Ce qui ne calma pas la cabale montée par le prince de Conti, outré de voir son ennemi au faîte des honneurs et autorisé, comme lui-même, à s’entendre appeler « mon cousin » par le roi… Il fallut un ordre formel du souverain pour que Conti n'oblige pas Maurice à régler sur le pré leur différend :
- Que cela vous plaise ou non… mon cousin, il en sera selon notre volonté.
- Sire, songez-y ! Le bâton fleurdelisé à ce parpaillot, ce reître, ce bâtard, ce…
- Un mot de plus, prince de Conti, et c’est la Bastille ! Quiconque offense le maréchal de Saxe offense le roi !
- Sire ! Cet homme a déshonoré ma mère, pris sa part de la mort de mon père et…
- Vous avez des preuves ?
- N… on. Non !
- En ce cas, ayez-en et peut-être alors vous écouterons-nous. En attendant oubliez même l’idée d’un duel ! C’est un ordre !
Comprenant qu’il était battu, Conti se retira… pour porter sa plainte à la duchesse de Châteauroux. La favorite n’aimait pas Saxe. En revanche elle appréciait son ennemi. Elle promit son aide mais cette fois n'obtint rien. Certes, elle était chère à Louis XV mais, comme tous les timides, il compensait par une obstination tenace sur certains points. Maurice de Saxe était de ces points-là parce que Louis n’ignorait pas qu'une partie de l’Europe le lui enviait. La nomination fut maintenue et l’on se contenta de la déclaration de bon vouloir de l’intéressé sans pousser jusqu’à l’abjuration. Bien plus, le roi accueillit alors dans ses armées un autre étranger déjà fameux que lui recommandait le nouveau maréchal dont il était l’ami : Ulric-Frédéric-Valdemar comte de Lowendal, dont le parcours offrait bien des analogies avec celui de Saxe. Né Danois, il avait comme lui porté le harnachement et le fusil à treize ans, s’était engagé au service de la Saxe, puis de la Russie d’Anna Ivanovna pour laquelle il avait chassé les Tartares d’Ukraine… A peu près du même âge, les deux hommes sont complémentaires, s’entendent à merveille et il y a du grain à moudre !
A la fin du mois d’avril, Maurice est à Valenciennes avec l’armée de la Moselle qu'il commande directement, l'autre manœuvrant sous Noailles avec, d'ailleurs, une parfaite entente entre les deux chefs… Saxe et ses cavaliers pratiquent une guerre d'usure et de harcèlement plus efficace que celle, trop statique, de siège. Le 7 mai, il prend Menin puis, sous les yeux du roi qui l'a rejoint, Courtrai, Ypres et Fumes. Une mauvaise nouvelle tombe à ce moment : Charles de Lorraine a franchi le Rhin et pris Lauterbourg. Alors, laissant le maréchal garder les Flandres à lui tout seul, le roi et Noailles galopent au secours de l’Alsace. Le 4 août, Louis XV est à Metz… et c’est la catastrophe !
Dans la nuit du 7 au 8 août, il tombe si gravement malade que comme une traînée de poudre la nouvelle court à travers la France, générant la consternation et la douleur. De toutes parts les églises, où commencent les prières de quarante heures, regorgent de fidèles. On implore le Ciel d’épargner ce jeune roi que l’on adore au point qu’on le surnomme le Bien-Aimé. Lui pendant ce temps se bat contre la mort. Mme de Châteauroux et sa sœur Lauraguais ne le quittent pas et pourtant elles vont devoir s’éloigner : le roi doit être « administré », et avant tout renoncer à ses péchés. L’évêque de Soissons et le duc de La Rochefoucauld s’emparent de sa chambre que gardaient trop bien les deux sœurs. Elles doivent quitter Metz sous les huées du peuple tandis que, faisant le chemin inverse, la reine, acclamée tout au long de la route, accourt de toute la vitesse de ses chevaux. Mais ce n’est pas encore assez pour l’évêque et son associé : il faut que le mourant fasse une confession publique, une espèce d’amende honorable rédigée dans les termes les plus avilissants. A l’exception du bas peuple, la Ville et la Cour vont l’entendre. Et aussi le Dauphin qui arrive. Les dévots réduits depuis longtemps à la seule cour de Marie Leczinska prennent leur revanche et la veulent éclatante. Ce qu’elle sera… et que Louis XV, revenu à la conscience, ne leur pardonnera jamais !
Car il guérit soudain. Contre toute attente, il ressuscite littéralement et la joie du peuple déferle comme une grande marée. On chante, on danse dans les rues tandis que les Te Deum éclatent dans les églises. On ne remerciera jamais assez le Seigneur… Le roi, lui, s’en va passer quelques jours chez son beau-père, Stanislas Leczinski, au château de Lunéville, puis à Strasbourg d’où il rejoindra le maréchal de Noailles qui assiège Fribourg. Louis XV lui-même emportera la place sous une pluie battante avec le soutien de Lowendal qui sera blessé durant le dernier assaut. Mais quand, deux mois plus tard, il regagne Versailles en triomphateur au début de la mauvaise saison qui arrête les combats, il va régler ses comptes : La Rochefoucauld et le duc de Châtillon qui s’était « donné des airs de maire du palais » durant la maladie sont exilés sur leurs terres, l’évêque de Soissons consigné dans son évêché avec interdiction d’en sortir. Plus jamais le soleil de Versailles ne brillera pour ces trois-là. Et, bien entendu, la duchesse de Châteauroux et Mme de Lauraguais sont rappelées.