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Pas pour longtemps. Début décembre, dans son hôtel de la rue du Bac à Paris, Mme de Châteauroux tombe malade et meurt en si peu de temps que le bruit du poison se propage. Le chagrin du roi est extrême. D’abord réfugié dans son château de La Muette il ne rentre à Versailles que pour s'enfermer au Grand Trianon… Bientôt cependant une très jolie femme va paraître dans sa vie avec la volonté affirmée de se faire aimer du roi. Elle est toute jeune, élégante, ravissante, pleine d’esprit et de charme. Elle s'appelle Mme Le Normand d'Etioles, belle-fille d’un fermier général, Le Normand de Tournehem, dont on chuchote qu’il pourrait être son vrai père, et ce n'est qu’une bourgeoise, pourtant Versailles abasourdi découvrira en elle un astre singulièrement brillant…

Que devenait pendant ce temps-là le maréchal de Saxe ?

Chargé de garder la Flandre avec un effectif de quarante mille soldats il tenait en échec, depuis Courtrai, un adversaire de beaucoup supérieur en nombre. Ne se livrant guère qu’à de rares escarmouches, il en profitait pour instruire ses régiments au maniement de nouvelles armes : fusil à baguette de fer, cartouches à balle, canon suédois pouvant tirer jusqu’à dix coups en un temps record, qui allaient lui permettre d’affiner les plans de stratégie déjà développés dans ses Rêveries. Des principes qui prouveront leur efficacité dans la campagne de l’année suivante avant de devenir règles de bataille dans l’armée française durant les guerres de la Révolution et de l'Empire. Il s’attarda même une partie de l’hiver pour une raison où la guerre n’avait pas grand-chose à voir. Une opération aux environs de Courtrai lui permit de pousser une avance à Lille… et de se retrouver au rendez-vous des souvenirs !…

Le maréchal de France céda soudain la place à un petit lieutenant de quinze ans à qui Schulembourg enseignait la guerre et qu’il tentait de convertir aux bienfaits de la vertu. Un gamin monté en graine subjugué par la grâce d’une petite dentellière de douze ans. Tout lui revenait. En revoyant la grande salle du château il évoqua sans peine le banquet du prince Eugène, la gaieté de la fête qu’avait couronnée l’apparition de jeunes filles portant des corbeilles de dentelles. Il revoyait Rosette si ravissante avec ses yeux clairs, son teint de fleur et son sourire ! Une bouffée de nostalgie lui remonta du cœur avec le désir fou de la revoir ou du moins de savoir ce qu’il était advenu d’elle. A l’époque il n’avait aucun moyen de faire des recherches mais à présent il disposait d’un véritable service de renseignements. Il le lança sur les faibles traces qu’il avait pu relever, offrant même une récompense à qui la retrouverait. Mais c’était une vieille histoire et, si remarquable que fût l’habileté de ses limiers, ils en vinrent à la même conclusion : il semblait que ni Rosette ni sa petite Julie ne fussent sorties vivantes du couvent où le père Dubosan les avait enfermées. Hélas, on ne put lui dire où se trouvait leur tombe. Et, cette nuit-là, le maréchal de Saxe pleura comme avait pleuré le gamin d’autrefois lorsqu'on lui avait appris qu’il devait renoncer.

Malgré tout il se rendit au couvent en question et demanda à parler à l’abbesse, mais elle ne le reçut même pas entre deux portes. Outre qu’il était l’ennemi, sa réputation de coureur de jupons l’avait précédé. On l’éconduisit sans plus de façons. En quittant le couvent, il se sentit tout à coup si las qu’il ne prit pas garde à la violente rafale de pluie venue soudain s’abattre sur la ville. Tandis que d’un pas pesant il allait rejoindre sa voiture, il ne vit pas une jeune femme qui, la tête enveloppée d’un châle, courait à perdre haleine à travers les flaques d’eau pour échapper à l’averse. Elle le heurta de plein fouet, manquant le faire tomber, mais il pesait trop lourd pour être si facilement déraciné. Ce fut elle qui perdit l’équilibre et instinctivement se raccrocha à lui :

- Oh, pardon ! s’excusa-t-elle. Je ne vous avais pas vu, Monsieur !

- Vous devriez porter des bésicles, jeune dame, car je suis haut et lourd et n’ai rien d’un pur esprit…

Avec un sourire contrit elle voulut poursuivre son chemin mais il la retint :

- Vous allez loin ?

- Assez, oui… et j’ai été surprise par la pluie…

- En ce cas, permettez-moi de vous accompagner. Ma voiture est là et sans doute la pluie vous empêche-t-elle aussi de la remarquer ?

- Non… et j'accepte avec plaisir ! Je suis trempée…

Il l’aida à monter puis s’installa près d’elle et se découvrit pour la saluer, heureux de cet aimable intermède surgi au milieu de sa peine. Elle était toute jeune, charmante… et même elle ressemblait un peu à Rosette ! Quand elle lui eut appris qu’elle était dentellière, il ne douta plus qu’elle ne fût envoyée par le Ciel pour adoucir le chagrin revenu de si loin ! Pour elle il déploya l’arsenal de sa séduction et quand il le voulait il savait être irrésistible. Aussi ne résista-t-elle pas longtemps. Elle s’appelait Mathilde et, pour elle, Maurice prolongea son séjour en Flandre…

CHAPITRE XI

LE GÉNIE DE LA VICTOIRE

- Ne croyez-vous, mon cher ami, que vous devriez vous ménager ?

Venu de sa chère Avignon afin d’assister aux fêtes du mariage du Dauphin avec l'infante Maria-Raffaela, le chevalier de Folard observait avec une pointe d’inquiétude la démarche de son ami Saxe avec lequel il faisait une promenade dans le parc de château du Piple, à Boissy-Saint-Léger, que le maréchal venait d’acheter… Le pas avait sans aucun doute pris de la lourdeur bien que Saxe s'efforçât de manier avec désinvolture sa canne à pommeau d’or. Il ne répondit d’ailleurs pas tout de suite et Folard, avec un rien de sévérité, reprit :

- Quel âge avez-vous ?

- Quarante-neuf ans ! grogna le maréchal. Et ne commencez pas à jouer les mentors sous le prétexte qu’à… soixante-quinze ans…

- Soixante-seize !

- De mieux en mieux ! Qu’à soixante-seize ans donc vous voltigez comme un danseur de ballet ! Vous savez bien que ma vieille blessure de Crachnitz me taquine toujours sinon je n’irais pas me morfondre tous les étés prendre les bains de Balaruc au fin fond de la France ! Que j’éprouve… parfois un peu de peine à marcher est tout à fait naturel et, dans mon cas, les jambes sont moins importantes que le cheval !

- Je vous trouve tout de même le souffle un peu court ! poursuivit l’autre, impitoyable.

- Et que préconisez-vous, docteur Folard ? Que j’aille faire des galipettes au cimetière Saint-Médard sur la tombe de ce malheureux diacre Pâris, comme vous le fîtes jadis ?

- Vous pourriez faire plus mal ! Quant à moi, j’en ai ressenti un grand bien. Cela dit, revenons à notre propos initial : je sais que vous travaillez trop… et l’on vous prête beaucoup trop de maîtresses !