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- C’est beau, la foi ! ricane le prince de Conti. Votre Majesté pense-t-elle réellement que ce débris soit capable de gagner quoi que ce soit… sinon la frontière au triple galop ?

Autour de lui ses amis font écho… Le roi a froncé le sourcil. Suivi du Dauphin, il vient ranger son cheval devant l’équipage :

- Monsieur le maréchal, dit-il froidement, en vous donnant le commandement de mon armée j’ai entendu que tout le monde vous obéît. Je serai le premier à donner l’exemple !

Et, tirant son épée, il se range près de la voiture.

- Sire, grand merci ! murmure le malade qui a blêmi sous l’insulte mais dont les yeux se mouillent.

Pour ce geste, pour cette confiance il se jure alors de vaincre ou de mourir.

- Faites tirer vos gens, Monsieur !

Droit comme une lame d’épée devant le front bleu et blanc des Gardes-Françaises, le comte d’Anterroche ôte lentement son tricorne empanaché, salue lord Hay qui lui fait face devant les lignes anglaises :

- Nous ne tirons jamais les premiers ! Tirez, Messieurs les Anglais.

La phrase est splendide mais, du haut du mamelon d’où il surveille l’engagement de la bataille, Maurice jure dans un allemand furieux ! Cet imbécile vient de faire abattre la première ligne des Gardes-Françaises. Mais ensuite il n’a plus de temps pour ses états d’âme. Le combat se déchaîne avec une violence inouïe. La belle parole a ouvert dans le dispositif français une brèche par laquelle se ruent les Anglais… En peu de temps le danger est extrême. Alors le maréchal se dresse dans sa voiture et hurle :

- Mon cheval !

L’appel masque un cri de souffrance mais il poursuit, se hisse aidé d’un écuyer sur le puissant animal puis réclame une balle de plomb qu’il met dans sa bouche et mâche pour mieux saliver et aussi éviter que la douleur ne lui fasse mordre sa langue, tire son épée et fonce, menant la charge furieuse du Saxe-Volontaires et des cavaliers de réserve.

Six heures, six heures de combat acharné. Son adversaire, le duc de Cumberland, troisième fils du roi d’Angleterre, porte en lui en bon Hanovre toute la brutalité du sang allemand et un mépris viscéral pour la vie des hommes2.

Les Anglais sont entrés plus tôt que prévu dans la faille ouverte devant eux. Les canons du maréchal suivis de sa charge forcenée en viennent enfin à bout et c’est dans les rangs ennemis qu’à son tour se perce une énorme trouée. C’est une magnifique victoire et rentré sous sa tente, épuisé, Maurice déclare à ses officiers qui l’entourent :

- Messieurs, vous me voyez dans un état d’anéantissement que je ne puis vous exprimer mais je suis si content de la journée d’aujourd’hui que j’en espère la santé !

Et le plus fort c’est qu’il a raison : trois jours plus tard il marchera sans aide et sans canne. Le roi venu l’embrasser après une bataille où il a payé de sa personne lui en fera compliment :

- Monsieur le maréchal vous gagnez à cette guerre plus que nous tous : vous étiez enflé de tous vos membres et vous paraissez à présent de la meilleure santé.

- En effet, renchérit Noailles qui l’accompagne, Monsieur le maréchal de Saxe est le premier homme que la gloire ait désenflé !…

Au soir de la bataille, cependant, le roi mènera son fils sur le champ qui, sous la nuit tombante, se fait plus tragique encore. Désignant les cadavres répandus, il dira :

- Voyez, mon fils, tout le sang que coûte un triomphe. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes : la vraie gloire est de l’épargner.

La nouvelle de la victoire se répand comme une traînée de poudre. Voltaire qui vient de l’apprendre par une lettre du duc d’Argenson exulte :

« Il y a trois cents ans que les rois de France n’ont rien fait de si glorieux. Je suis fou de joie. Bonsoir Monseigneur ! »

Et sans désemparer il écrit un « Poème à Fontenoy » qu’il dédie à son ami Maurice de Saxe. De son côté, son autre ami Frédéric II de Prusse lui écrira :

« Jamais bataille n’a fait plus d’honneur à un général que celle où le général était à la mort quand il la livra… »

Toute la France chante et danse de joie. Un Te Deum est clamé à Notre-Dame tandis que, rentré à Versailles, Louis XV couvre son héros de récompenses. Saxe a désormais le droit d’entrer au Louvre en carrosse, le droit de s’asseoir sur un tabouret devant Leurs Majestés et les Enfants de France, privilèges accordés également à la dame son épouse s’il vient à se remarier et qui passeront le cas échéant à l’aîné de ses enfants et descendants mâles nés en légitime mariage. On lui accorde une pension de quarante mille livres à laquelle viennent s’ajouter les vingt mille livres du gouvernement d’Alsace laissé vacant par la mort du maréchal de Broglie. Enfin le château de Chambord, la merveilleuse résidence construite par François Ier en Val-de-Loire, lui est donné avec toutes ses dépendances.

Cependant la victoire de Fontenoy ne termine pas la guerre. Le maréchal de Saxe s’est fixé un programme qu’il entend mener à bien… Dix jours après Fontenoy, Tournai tombe tandis que le roi, du haut du mont de la Trinité, surveille les opérations. Ensuite c’est Gand que Lowendal va enlever à l’escalade comme jadis son ami Maurice de Saxe fit de Prague. Le maréchal va y établir son quartier général mais on ne s’arrête pas là. Ninone et Alost tombent à leur tour. Puis c’est Bruges, la merveille qui se rend sans combat, Oudenaarde que prend Lowendal. A Dendermonde, c’est le duc d’Harcourt qui triomphe. Quinze jours plus tard, Ostende se rend à Lowendal qui, encore quinze jours après, entre dans Nieuport. Trois mois de succès ininterrompus qui rejettent l’Angleterre hors de ce qui n’est pas encore la Belgique.

Le 1er septembre, laissant le maréchal poursuivre la conquête depuis Gand, Louis XV a repris le chemin de Paris où l’attendait une formidable explosion de joie et de Versailles où l’attendait une autre forme de joie : les bras si doux de Mme d’Etioles dont, dans l’euphorie de Fontenoy, il avait fait une marquise de Pompadour, terre limousine en déshérence qu’il avait fait acheter pour elle parce qu’il trouvait le nom joli. Il y avait dessus un château où d'ailleurs la belle ne mit jamais les pieds. Du même coup le Châtelet de Paris prononça la séparation d’avec son mari…

L’énorme mare à grenouilles qu’était alors la Cour apprit toutes ces « bonnes nouvelles » en même temps et on commença d’aiguiser ses griffes. Les peintres et les tapissiers du palais s’activant à rénover l’ancien appartement de feue la duchesse de Châteauroux, il ne faisait de doute pour personne que la nouvelle « marquise » serait prochainement « présentée » au roi, à la reine, au Dauphin et à ses sœurs, ce qui l’implanterait définitivement à Versailles. La grande question tenait en trois mots : qui la présenterait ?

Il fallait, en effet, une marraine - deux en réalité mais seule comptait réellement la première ! - très noble, très titrée pour détenir le privilège de présentation. Une duchesse ou une princesse par exemple, mais parmi les grandes dames toutes se récusaient. Présenter une bourgeoise, fille d’une femme à la réputation douteuse, et même si elle était bien élevée, pleine de grâces et de talents, introduite dans les plus fameux salons parisiens, élégante, artiste car elle chantait à ravir, c’était tout simplement impensable ! Et, dans les coteries de la reine, du Dauphin, des princesses, l’espoir revenait : s’il n’y avait personne que la pauvre Mme d’Estrades, qui était la cousine de celle que l’on appelait « la caillette », la présentation n’aurait pas lieu et le roi n’y pourrait rien. Voilà tout !