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Quand l’idée de Maurice devient bruit et que ce bruit voltige sous les sublimes plafonds de Versailles, tout de suite les ennemis du maréchal prennent feu et en première ligne, comme de juste, Louis-François de Conti… Celui-ci, que son inactivité enrage, ronge son frein. On dit la marquise de Pompadour favorable au mariage. Conti alors assiège sa mère. La Pompadour lui doit sa présentation à la Cour. Il serait temps qu’elle s’en souvienne, avant que Versailles ne soit entièrement repeint aux couleurs de la Saxe.

- Je ne supporterai pas de voir ce bâtard qui m'a chassé de l’armée se pavaner et faire la loi sous le prétexte qu'il sera l’oncle de la future reine !

- Ce n’est pas la favorite qui prend les décisions en ce qui touche une affaire de famille aussi importante, répondit la princesse. D’ailleurs la reine pourrait ne pas apprécier de voir la petite-fille d’Auguste II trôner en ce pays…

- Le roi n'écoute plus guère son épouse mais il fait grand cas de sa greluche ! Celle-là a une dette envers vous et moi j’entends au moins que l’on me rende un commandement qui me donne le pas sur ce maréchal de carton !

Louise-Elisabeth pensa qu’elle n’avait encore jamais vu un carton de cette trempe mais se retint de l’exprimer. Elle connaissait trop le caractère emporté de son fils, sa violence capable de se retourner contre elle-même. Trop semblable à celle de son défunt père. Elle demanda ses chevaux et se rendit chez la marquise. Trois jours plus tard, Louis-François de Conti était nommé généralissime des Armées du Roi, un grade qui lui conférait l’autorité absolue sur les troupes… et sur les maréchaux eux-mêmes.

La nouvelle fit un bruit assourdissant à la Cour mais ce ne fut qu’une simple risée à côté de la tempête qu'elle déchaîna au camp de Tongres. Fou de rage, le maréchal piqua la plus belle colère de sa vie, tonnant des imprécations à faire trembler les murailles de la ville :

- Jamais je n’accepterai de me soumettre à ce blanc-bec prétentieux qui se croit du talent parce qu’il est prince du sang ! Jamais !… Et, pour commencer, je vais envoyer ma démission au roi ! S’il ne sait pas faire la différence entre un soldat expérimenté et un apprenti, la suite de la guerre la lui enseignera ! Moi, je vais voir où en sont mes travaux de Chambord !

Quand, après avoir bien donné de la voix, il s’assit à sa table de travail, balayant les cartes étalées dessus pour mettre sa menace à exécution, Valfons, seul témoin de l’ouragan, toussota et émit :

- Si j’étais vous, Monsieur le maréchal, je ne me presserais pas d’écrire cette lettre !

- Et pourquoi, s'il vous plaît ? Lorsque je prends une décision je n’ai pas l’habitude de la remettre au lendemain !

- Sans doute… mais je crains fort que vous n’y soyez obligé !… A moins que vous ne soyez tenté d’imiter le prince de Conti : par une désertion devant l’ennemi…

- Moi ? Déserter ? brama le maréchal. Ou bien vous devenez fou, Valfons, ou bien vous m’insultez et en ce cas…

- Ni l’un ni l’autre. Je vous apportais seulement un avis : le prince Charles de Lorraine vient de franchir la Meuse à la tête de cinquante mille Autrichiens et il va camper entre nous et la ville de Liège et…

- Vous ne pouviez pas commencer par ça au lieu de me rebattre les oreilles des ingratitudes de Versailles ? Mes cartes ! Je vais leur montrer, moi, ce que je sais faire !

Puis, après avoir consulté les relevés de la région, il déclara :

- Nous allons nous porter à leur rencontre et nous les attaquerons… ici, à Rancoux ! ajouta-t-il en pointant l’index sur un point. Veillez à ce que l’on soit prêts à se mette en marche mais ne dites rien !

Au soir du 10 octobre il fit appeler Charles Favart :

- Demain je vais livrer une grande bataille, lui dit-il, mais personne ne s'en doute et je vous sais gré de garder le secret jusqu’à ce soir. Quand le spectacle sera terminé vous annoncerez : « Demain relâche à cause de la victoire ! » Mettez ce que je viens de vous dire en vers que votre femme chantera sur un air militaire…

Un peu abasourdi tout de même, le directeur ne tenta pas la moindre réflexion, rentra chez lui, se mit au travail et, le soir venu, après la représentation, Justine, jolie à croquer dans une robe bleu de France, vint devant le rideau et se mit à chanter :

Nous avons rempli notre tâche

Demain nous donnerons relâche

Sans que notre public s’en fâche

Demain jour de la victoire !

Que dans les fastes de l’Histoire

Triomphe encore le nom français

Dignes d’éternelle mémoire

Revenez après ce succès

Jouir des fruits de notre victoire !

Elle fut acclamée, on la porta en triomphe. On but à la victoire annoncée avec tant de crânerie. Puis on se prépara pour cette bataille que tous attendaient depuis longtemps. Enfin en rase campagne on allait affronter l’ennemi !

Le lendemain on s’ébranla à la pointe du jour. A la nuit tombante l’ennemi était en fuite et l’armée acclamait le maréchal de Saxe en lui présentant les drapeaux, les canons et les prisonniers.

- Vivent le roi et le maréchal de Saxe !

Ce soir-là, le théâtre Favart joua Cythère assiégée avec le succès que l’on devine…

Le marquis de Valfons reçut la mission d’aller porter au roi les onze étendards saisis à Raucoux avec la nouvelle de la victoire. Lui aussi fit un succès et la plus enthousiaste fut Mme de Pompadour.

- Le maréchal doit être très content, dit-elle à Valfons quand il eut achevé le récit de la victoire. Qu’il doit être beau à la tête d’une armée sur un champ de bataille !

- Oui, Madame. Il y fait l’impossible pour se rendre encore plus digne de votre amitié.

- Vous pouvez lui écrire que je l’aime bien…

Le 14 novembre, le roi recevait le héros à Fontainebleau et lui faisait don de six canons pris à l’ennemi pour les mettre à Chambord. Un rare privilège qui n’avait été accordé jusque-là qu’à Vauban après Philipsbourg et au maréchal de Villars après Denain.

Un peu repentante de ce qu’elle avait dû faire pour contenter la princesse de Conti, la marquise de Pompadour mit tous ses soins au service du mariage de la nièce du grand homme…

CHAPITRE XII

UN ROI EN SON ROYAUME

Le début de l’année 1747 fut un véritable rêve pour Maurice de Saxe : le 11 janvier Louis XV le faisait maréchal général, un titre prestigieux - l’équivalent de connétable de France - que seul Turenne avait porté avant lui. Ce qui effaçait la brûlure d’orgueil causée par le généralissimat de son ennemi Conti. Et puis il y avait le mariage de sa nièce avec le Dauphin Louis qui devait avoir lieu le 9 février.

En attendant tout Versailles était en ébullition et Maurice au premier rang. Il se mêlait de tout, même de ce qui ne le regardait pas. C’est ainsi qu’il écrivit à la mère de la fiancée, Marie-Josèphe de Habsbourg, sa belle-sœur, une lettre qui, venant d’un tel foudre de guerre, fait sourire :