« … Je suis informé du trousseau… En général tout ce qui est garde-robe appartient à la dame d’atour qui est Mme la duchesse de Lauraguais ; elle fournit toutes les parures, linge, dentelles et reprend ce qui ne sert plus. C’est le plus grand bénéfice de sa charge. Quant aux bijoux, diamants et pierreries, il y en a une quantité considérable pour le service de Madame la Dauphine mais dont elle ne peut disposer et qui sont pierreries de la Couronne. Quant à celles qu'on lui apporte ou qu’elle acquiert, elle peut en disposer comme bon lui semble et cet article ne va pas à la dame d’atour.
« Votre Majesté ferait bien de donner à la princesse quelques pièces d’étoffe de Hollande, s’il y en a de belles, fond de satin et or, dans le goût des étoffes des Indes ou de Perse parce que ici il n’y en a pas. S'il s’en trouvait de belles chez les Arméniens à Varsovie, il serait bon d’en faire acheter.
« Comme on ne trouve pas de belles fourrures ici, il serait bon de donner à la princesse une belle palatine doublée de martre zibeline comme on les porte en Russie, qui sont longues et chaudes et font un bel ornement avec le manchon assortissant. L'on ne fait nulle part les tours des robes et des corsets aussi bien qu'à Dresde. Il faudra donc en donner quelques-uns qui pourront servir de modèles par la suite.
« Il faut seulement observer une chose qui est que le tailleur ne fasse pas la taille trop longue. C'est un défaut dans lequel nos tailleurs tombent souvent, ce qui donne un air gêné et rend les jupes trop courtes, ce qui n’est pas dans le goût du maître de ce pays-ci. Je ne sais si je me fais entendre en parlant ajustements et ma façon de m’exprimer paraîtra peut-être ridicule à Votre Majesté mais je la supplie de m’excuser de ma bonne volonté… »
Cette lettre pour le moins surprenante n’étonna guère la reine de Pologne. Comme toute l’Europe elle n’ignorait rien des retentissantes aventures galantes de son beau-frère. Il connaissait trop bien les femmes pour ne pas savoir les habiller aussi bien qu’il les déshabillait. Et, surtout, il tenait à ce que, en face de la Cour la plus brillante d’Europe, la famille de Saxe ne fît pas figure de provinciale. Autant valait le faire savoir.
Quoi qu’il en soit, le 6 février suivant, le roi et sa cour attendent, sur la route de Nangis, la princesse étrangère qui va devenir Dauphine.
Le roi, la Cour - une partie tout au moins - mais pas le futur époux ! Louis est bien parti avec tout le monde mais il traîne derrière et on ne le retrouvera que le lendemain à Brie-Comte-Robert. Le maréchal, tout joyeux et même un peu ému, est au premier rang après Louis XV. Ni l’un ni l’autre d’ailleurs ne sont inquiets au sujet du physique de la jeune fille : ses portraits sont charmants et l’on sait quelle éducation soignée elle a reçue chez les Dames du Saint-Sacrement à Varsovie. Tous deux se tourmenteraient plutôt sur la façon dont va se comporter le Dauphin en face de sa nouvelle épouse alors qu’il n’a pas encore fini de pleurer son infante. Il n’a même pas voulu venir jusqu’à Nangis, alléguant qu’il verrait sa fiancée bien assez tôt. Pas très encourageant !
De son côté, dans la berline qui l’amène, la petite Marie-Josèphe de quinze ans est morte de peur. Elle n’ignore pas qu’elle va s’unir à un veuf qui se veut inconsolable. Quel accueil va-t-il lui réserver ? De temps en temps elle contemple la miniature le représentant que sa dame d’honneur, la duchesse de Brancas, lui a offerte à la frontière et qu'elle porte à son poignet droit. Il est charmant, ce jeune prince, et le duc de Richelieu, qui a épousé par procuration, assure que le portrait est fidèle !
Mais voici que sa voiture s’arrête. Là-bas une foule scintillante barre la route avec des carrosses dorés, des chevaux empanachés. Mme de Brancas fait alors descendre Marie-Josèphe en lui désignant le roi devant qui elle doit s'agenouiller. La jeune fille a si peur d'apercevoir le modèle de la miniature avec une mine sinistre qu’elle se précipite avec toute l’ardeur de sa jeunesse, s’affale aux pieds de Louis XV et supplie :
- Sire !… Je vous demande votre amitié !
Celui-ci sourit comme il sait le faire quand il veut, relève cette jolie blondinette qu’il trouve délicieuse, l’embrasse et l’assure que, cette amitié, elle vient de l’acquérir et pour toujours. Il est très heureux de la voir arriver à si bon port et elle peut être certaine de trouver en lui un véritable père. Quant au Dauphin… eh bien on le rencontrera demain ! Il était souffrant la veille mais il a écrit une lettre que l’on donne à la princesse.
Or, elle n’était pas pour elle, cette maudite lettre, mais pour Mme de Brancas et on s’en aperçoit trop tard quand Marie-Josèphe éclate en sanglots : Louis y confie à la dame d’honneur que personne au monde ne réussira à lui faire oublier sa première femme…
C’est la catastrophe ! Le roi est fort mécontent. On s’indigne et plus fort que tous l’oncle Maurice qui, après s’être incliné devant celle qui est déjà la Dauphine, l’a embrassée et réembrassée avec enthousiasme et qui s’efforce de la consoler. Il tordrait volontiers le cou à ce galopin stupide qui ne pèserait pas lourd dans des mains capables de faire un tire-bouchon avec un clou !
Mais enfin on ne peut rester indéfiniment sur cette route glaciale. On repart. Cette fois la princesse est au côté du roi… Le lendemain à Brie, le premier contact avec le futur époux n’a rien pour arranger les choses. Il a les yeux rouges et se montre tout juste poli. Tout le temps que dure le voyage jusqu’à Versailles, c’est Louis XV qui essaie d’arranger la situation. Lui, il est gai, enjoué. Chemin faisant, il montre à l’adolescente tout ce qui peut l’intéresser. Celle-ci lui en est reconnaissante car sa gentillesse rend un peu moins pénible le silence obstiné de Louis qui regarde par la portière et s’occupe beaucoup plus des foules assemblées sur la route que de sa fiancée. Le peuple, lui, est enthousiaste et acclame sa nouvelle princesse.
Deux jours plus tard, le 9, c’est la cérémonie du mariage.
Les dames de la Dauphine l’ont revêtue d’une robe tissée d’or et rebrodée d’or qui pèse soixante livres. Le maréchal qui l’a soupesée a hoché la tête en contemplant la silhouette gracile de sa nièce :
- Elle pèse plus lourd qu’une cuirasse ! ronchonne-t-il.
Et c’est en fait ce qu’elle est pour la fiancée du désespéré : une cuirasse qui la tient bien droite en gardant haut sa tête couronnée de diamants durant l’interminable cérémonie, le festin et le bal qui suivent.
Versailles ce soir brille de tous ses feux comme un palais de rêve.
Le Dauphin a consenti à ouvrir le bal avec sa femme puis il a disparu… Cependant, il s’agit d’un bal masqué voulu par le roi pour amuser sa belle-fille. Des dominos de toutes les couleurs s’y croisent mais bientôt l’on remarque certain domino jaune qui n’arrête pas de visiter les buffets dressés dans les premiers salons des Grands Appartements. Il s’empiffre, repart, revient, recommence à manger et à boire comme s’il était encore à jeun, repart encore, revient de nouveau… Son manège intrigue le roi qui le fait surveiller. Qui peut bien être ce goinfre ?… Quand on découvre le pot aux roses c’est un éclat de rire général : le domino jaune sert d’abri aux Gardes-Suisses de la Maison du Roi qui viennent à tour de rôle manger et boire à la santé des mariés.
Seul le Dauphin n’a pas ri. L’heure tragique est venue pour lui. Il est temps d’aller au lit où vont l’accompagner la famille royale, la marquise de Pompadour et, bien entendu, le maréchal qui se contient à grand-peine et qui, dès le lendemain, rendra compte à son frère Auguste III :