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- Comment est-ce possible ? II… il ne lui est rien arrivé, j’espère ? demanda Aurore saisie d’une inquiétude qui accéléra les battements de son cœur.

- Pas que je sache mais, le baron ayant succombé à sa maladie, il se retrouve chef de famille et à la tête d’un domaine relativement important que sa mère est incapable d’assumer. Je ne l’ai rencontrée qu’une fois : c’est une femme charmante mais fragile… d’esprit instable. La mort d’un époux qu’elle adorait visiblement lui a donné, à ce qu’il paraît, un choc terrible ! Elle est incapable de gérer l’héritage de son fils. Nicolas alors a envoyé sa démission…

- Il n’a pas de frère ?

- Non. Il est seul à porter le nom d’Asfeld… et il y a une mine d’argent sur ses terres. Il devra se marier pour continuer son nom…

En écoutant son amie, Aurore éprouvait le curieux sentiment que l’on venait de lui prendre quelque chose. Nicolas ! Son compagnon d’aventures lorsqu'elle cherchait désespérément les traces de son frère disparu à Hanovre dans la nuit du 1er juillet 1694 ! Nicolas éperdument amoureux d’elle et qui ne le cachait pas assez ! Cela l’agaçait à cette époque mais maintenant - et en dépit de leur séparation à Dresde sans grand espoir de retour ! - elle découvrait qu’elle aurait aimé retrouver parfois à ses côtés sa présence rassurante…

Elle s’apercevait aussi, pour le regretter, qu’elle ne savait pratiquement rien de lui pour la simple raison qu’elle ne lui avait guère posé de questions.

- Dans quelle région se situe Asfeld ? demanda-t-elle négligemment.

Charlotte, occupée à achever sa tourte aux pommes, reposa son couvert, but quelques gouttes et, après s’être essuyé les lèvres :

- Dans le Harz… et, maintenant que vous m’y faites penser, ce n’est pas tellement éloigné de Quedlinburg. Il sera heureux d’apprendre que vous êtes pour ainsi dire voisins.

Elle termina le dessert où elle avait l’air de découvrir une source de réflexions puis déclara :

- Vous avez une très belle voiture. Si quelqu’un s’était donné à tâche de vous suivre cela ne devrait pas lui être bien difficile. Ne croyez-vous pas qu’il y ait là une imprudence ?

- Comment l’entendez-vous ?

- Si vous allez à Hambourg en cet équipage, vous désignerez vous-même le lieu où est caché votre fils.

La jeune femme prit le temps de réfléchir. Posant ses coudes sur la table et son visage dans ses mains, elle parut entrer dans une profonde méditation. La remarque de son amie était des plus judicieuses. Même perdus au cœur du grand port hanséatique autonome, Maurice et ses gardiens n’étaient pas entièrement à l’abri des recherches d’un espion. Ce serait un comble si, elle, sa mère, désignait la cachette avec cette voiture trop facilement reconnaissable !

- Je crois que vous venez de m’éviter une faute grave, ma chère amie, convint-elle. Le mieux ce serait sans doute que je laisse la berline chez vous et que je me procure un équipage plus modeste ?

- Ce serait sage ! Prenez une de mes voitures et agissez comme si vous prolongiez votre séjour ici… Vous pourriez être souffrante, ce qui justifierait un arrêt prolongé tout en écartant les curieux ?

- Vous êtes décidément une amie comme on n'en fait plus !

Le lendemain, dès l'aube, Mme de Koenigsmark prenait le chemin du Nord dans l’un des équipages de Charlotte mené tout de même par Gottlieb. Sans lui Aurore se serait sentie trop seule.

CHAPITRE II

RECONSTRUIRE SA VIE…

Lorsque à Hambourg Gottlieb arrêta ses chevaux sur le Binnenalster devant l’hôtel familial où elle avait passé une partie de son enfance et de son adolescence, Aurore eut l’impression de recommencer une vie nouvelle. Tout était comme par le passé : l’eau calme du bassin intérieur animée par les nombreux petits bateaux assurant la liaison avec les canaux de la vieille ville et le grand port, la beauté des demeures qui le bordaient sur trois côtés séparées du lac salé par deux rangées d’ormes centenaires plantés sur les quais, composant ainsi une promenade agréable. Les cygnes du bassin étaient au rendez-vous comme le vol rapide des hirondelles rayant le ciel turquoise. Tout autour c’était l’activité incessante de la grande cité maritime générant une rumeur vaguement mélodieuse rythmée par le son des cloches et les appels de trompes. Elle comprit cependant qu’elle-même avait changé en constatant plus de respect dans le salut des gens de sa maison, à commencer par celui de Potter, le majordome, qui s’inclina bien bas devant elle. Puis ce fut Ulrica, son ancienne nourrice accourue à sa rencontre depuis le haut de l’escalier avec l’intention de l’embrasser et qui se figea au bas des marches avec une révérence à laquelle Aurore n’était pas habituée.

La réponse à sa surprise lui vint de sa sœur aînée Amélie, comtesse de Loewenhaupt, sortie du premier salon et qui elle aussi s’arrêta stupéfaite :

- Toi ? Chanoinesse de Quedlinburg ? C’est à n’y pas croire !

- J’aimerais savoir pourquoi ? C’est un état convenable, il me semble.

- Plus que convenable ! Serais-tu en marche vers la sainteté ?

- Tu ferais mieux de m’embrasser au lieu de dire des sottises ! Et si tu veux savoir le fin fond de l’histoire : « on » a choisi pour moi ! « On » désirait même que je sois prieure en attendant la crosse d’abbesse !

Amélie, les yeux au plafond, joignit les mains :

- Ce qui te donnerait rang de princesse ! C’est magnifique, magnifique !… Et tellement inattendu !

- N’est-ce pas ? Moi-même je ne suis pas encore habituée !

On s’embrassa avec toute la chaleur d’une affection sincère. Puis ce fut le tour d’Ulrica, parvenue entre-temps à l’état béat de ceux qui ont vu la lumière. Elle n’avait rien entendu des paroles échangées entre les deux sœurs et, quand Aurore lui eut donné une sorte d’accolade, elle voulut saisir sa main pour la baiser :

- Il suffit, Ulrica ! protesta la jeune femme. Je ne suis pas encore canonisée ! Reviens à toi et conduis-moi plutôt auprès de mon fils !

Avec un soupir de bonheur, la vieille nourrice obliqua vers l’escalier en clamant :

- Le Seigneur a entendu mes prières ! Que Son saint nom soit béni à travers les générations ! Grâce à Sa bonté, nous en avons terminé avec le stupre et les tentations démoniaques !…

- Elle est folle, non ? exhala Aurore qui s'écria ensuite : Que j’entende encore ce genre d’invocation et je t’envoie à Agathenburg1. A moins que tu ne préfères un couvent !

Mais Ulrica était au-delà de tout raisonnement et poursuivit ses louanges au Très-Haut en s’abstenant toutefois d’y mêler une allusion à la vie passée de la nouvelle chanoinesse… Celle-ci d’ailleurs ne l'écoutait plus, elle se précipitait vers la porte ouverte d’une chambre d’où sortaient les protestations indignées d’un bébé mécontent. Le tableau qu’elle découvrit l’emplit de joie : assise sur une chaise, Johanna, la nourrice, était en train de donner la tétée au jeune Maurice. Les hurlements de celui-ci étaient motivés par le fait qu’elle lui avait retiré son sein droit pour le passer à gauche. Ils s’apaisèrent aussitôt que le petit goinfre eut ce qu’il voulait mais pour repartir de plus belle : surprise par l’entrée d’Aurore, Johanna voulut se lever afin de saluer l’arrivante. Celle-ci se mit à rire :

- Reste tranquille ! Il ne faut pas déranger Monsieur mon fils !

Tandis que la petite bouche avide s’emparait à nouveau du mamelon rose, Aurore tirait un siège près de la nourrice pour mieux la contempler :