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« A quinze ans il n’y a plus d’enfants dans ce monde-ci et, en vérité, elle m’étonne. Votre Majesté ne saurait croire avec quelle présence d’esprit Madame la Dauphine s’est conduite. Monsieur le Dauphin paraissait un écolier auprès d’elle. Une fermeté noble et tranquille accompagnait toutes ses actions et, certes, il y a des moments où il faut toute l’assurance d’une personne formée pour soutenir ce rôle avec dignité. Il y en a un, entre autres, qui est celui du lit où l’on ouvre les rideaux lorsque l’époux et l’épouse ont été mis au lit nuptial, ce qui est terrible car toute la Cour est dans la chambre. Et le roi me dit, pour rassurer la Dauphine, de me tenir auprès d’elle.

« Elle soutint tout cela avec une tranquillité qui m’étonna. Monsieur le Dauphin se mit la couverture sur le visage mais la princesse ne cessa de parler avec une liberté d’esprit charmante, ne faisant pas plus attention à ce peuple de Cour que s’il n’y avait eu personne dans la chambre. Je ne l’ai quittée et ne lui ai souhaité la bonne nuit que lorsque les femmes eurent refermé les rideaux. Tout le monde sortit avec une espèce de douleur car cela avait l’air d’un sacrifice et elle a trouvé le moyen d’intéresser tout le monde pour elle…

« Votre Majesté rira peut-être de ce que je lui dis là mais la bénédiction du lit, les prêtres, les bougies, cette troupe brillante, la beauté, la jeunesse de cette princesse, enfin le désir que l’on a qu’elle soit heureuse, toutes ces choses ensemble inspirent plus de pensées que de rires. Il y avait dans la chambre tous les princes et toutes les princesses qui composent cette Cour, le roi, la reine, plus de cent femmes couvertes de pierreries et d’habits brillants. C’est un coup d’œil unique et, je le répète, rien n’a plus l’air d’un sacrifice… »

Dans ces derniers mots tient toute la tendresse que le rude soldat voue d’instinct à cette petite princesse qui commence si mal sa vie conjugale et, tandis qu’il regagne son logis, il donnerait cher pour savoir ce qui se passe derrière les rideaux qui viennent de se refermer.

Ce qui s'y passe, il vaut mieux que le bouillant maréchal ne le voie pas, du moins au début. A peine la chambre s’est-elle vidée que le Dauphin a éclaté en sanglots comme un enfant perdu dans le noir. D'abord interdite par ce bruyant chagrin, Marie-Josèphe se laisse gagner peu à peu par l’ambiance. Bientôt les larmes lui viennent à elle aussi, se met à pleurer puis sanglote à l’unisson. Et voilà les deux jeunes époux, chacun le nez dans son oreiller, qui pleurent à qui mieux mieux…

La Dauphine pleurait-elle à contrepoint de son époux ou bien le prince prit-il conscience des légères secousses imprimées au lit par leur double chagrin, toujours est-il qu’entre deux reniflements il parvient à articuler :

- Par… Pardonnez-moi… Madame… de vous do… donner une telle image !

Seigneur ! Il a parlé ! Du coup les larmes de la jeune fille se tarissent comme par enchantement. Elle essuie ce qu’il en reste à l’aide d’un mouchoir puis, avec beaucoup de gentillesse, se tourne vers son larmoyant conjoint :

- Laissez couler vos larmes, Monsieur, et ne croyez pas que j’en sois offensée. Elles me prouvent au contraire ce qu’il m’est permis d’espérer si je sais, un jour, mériter votre estime. C’est le propre d’un noble cœur que la fidélité au souvenir et je sais trop ce qu’il a dû vous en coûter d’accepter ce mariage…

Cette voix douce, compatissante, agit comme un baume. A son tour Louis se calme. Pour la première fois il regarde vraiment sa jeune femme. Elle est bien mignonne avec ses beaux cheveux blonds, ses jolis yeux bleus pleins de compassion et son petit nez rougi par les pleurs. Alors il tente un sourire, le réussit presque et murmure :

- Merci, mon petit cœur…

Bientôt Marie-Josèphe sera le « petit cœur » de toute la famille royale conquise par sa bonté, sa patience et sa gentillesse. Pour l’heure présente, les époux finissent par s’endormir chacun dans son coin. Ils sont exténués car la journée a été rude. Et quand, au matin, les dames de la Dauphine viendront examiner les draps, elles n’y trouveront pas ce qu’elles sont venues chercher mais s’interrogeront sur l’étrange fait que les deux oreillers sont humides.

Le roi, lui, fronça le sourcil tandis que le maréchal jurait entre ses dents mais d’un accord tacite ils jugèrent préférable de ne faire aucun commentaire et de s’en remettre à la nature en constatant que non seulement les jeunes gens ne se tournaient plus le dos mais se souriaient de temps en temps. C’était la sagesse : cette nuit si abondamment trempée marqua le début d’une affection que nous dirons fraternelle mais qui, peu à peu, se fit plus tendre. Le Dauphin découvrit rapidement une vraie communauté dans leurs goûts. Tous deux aimaient la lecture, l’étude, la piété, la musique, les fleurs et une vie quotidienne tournée vers la simplicité. Leurs appartements devinrent une sorte d’îlot paisible au milieu d’une Cour frivole et brillante.

On ne sait trop à quel moment le Dauphin Louis cessa de considérer son épouse comme une jeune sœur. Cela prit un certain temps puisque c’est seulement au début de l’année 1750 que la Dauphine se déclara enceinte1, à la joie générale et à celle du maréchal en particulier, car jusqu'à la fin de ses jours il ne cessera de témoigner le plus tendre intérêt à celle qu’il appelait sa « petite Dauphine » ou sa « divine princesse ». Une affection qu’elle lui rendait largement.

Cependant, la fin de l'hiver ramenait le temps des combats et le maréchal à Bruxelles afin d’y parachever son ouvrage. Il avait conquis sur les impériaux le territoire de l’actuelle Belgique, ou peu s’en fallait, mais pour obtenir une paix durable il fallait soumettre la Hollande en s’emparant de Maastricht, ce qui renverrait définitivement chez eux les Anglais de Cumberland.

Au mois de mars Maurice était donc de retour dans l’atmosphère qu’il aimait. A Bruxelles, en effet, l’on menait joyeuse vie et le théâtre aux armées fonctionnait à plein rendement cependant que les aventures galantes s’y multipliaient. Celles que l’on pourrait appeler les maîtresses habituelles du maréchal, Mlles Beauménard et Navarre, y faisaient florès mais celle qui remportait tous les suffrages était toujours la Chantilly qui, d’ailleurs, ne s’appelait plus vraiment ainsi. En retrouvant en Maurice son platonique mais tenace amoureux, Justine tenta d’officialiser son mariage : elle était Mme Favart, un point c’est tout. Mais elle avait trop d’esprit et d’espièglerie pour ne pas goûter la guerre à fleurets mouchetés qu’ils se livraient sans se rendre compte qu’elle attisait le désir d’un homme à qui personne n’a jamais dit non. Ce n’étaient que feintes et échappatoires d’une jolie abeille dorée qui prenait plaisir à s'approcher d’un flambeau allumé parce que sa lumière la faisait étinceler, sans imaginer qu'elle risquait de s’y brûler les ailes.

Maurice lui est vraiment épris… Il a retrouvé intacts les sentiments que lui inspiraient celle qu’il appelle sa « sorcière » mais plus le temps passe et plus sa patience s’use. Il sait - et cela l’enrage - qu’il a en face de lui une femme honnête qui aime son mari, à qui l’on ne prête aucune aventure et c’est ce qui le retient au bord d’une attaque brutale. Il voudrait tant qu'elle vienne d’elle-même ou, tout au moins, qu’elle se laisse amener doucement dans ses bras. Il ne supporte pas l’idée qu’elle puisse lui rire au nez quand il lui avouera qu’il ne cherche pas une aventure de plus mais une passion partagée.

Pourtant il n’a guère le loisir de s’appesantir sur cet amour. La coalition d’ennemis que Versailles lui tient en réserve est plus active que jamais depuis le mariage de sa nièce. On l’accuse de perdre du temps, de se complaire dans une inaction qui lui permet de jouer au potentat et même de s’emplir les poches. Tant et si bien que le roi, qui cependant lui garde son estime, se décide à en juger par lui-même en dépit des larmes de Mme de Pompadour qui n’aime pas le voir s’éloigner d’elle…