— Et… je m’en veux toujours de la façon dont on a traité Mme Trelawney, OK ? » Pete regarde Hodges mais Hodges a dans l’idée que c’est à la femme frêle et pâle avec le magazine people sur les genoux qu’il s’adresse réellement. « Dès le début je me suis persuadé qu’elle avait laissé ses clés sur le contact. Je me suis fermé à toute autre possibilité. Je me suis promis de ne plus jamais faire ça.
— Je comprends, dit Hodges.
— Une chose sur laquelle on peut tous se mettre d’accord, dit Izzy, c’est que le temps où Hartsfield écrasait des gens, essayait de les faire sauter ou de les pousser au suicide est loin derrière lui. Donc à moins qu’on ait tous atterri dans un film appelé Le Fils de Brady, je suggère qu’on quitte la maison de feu Mme Ellerton et que chacun reprenne ses petites affaires. Des objections ? »
Aucune objection.
7
Hodges et Holly restent un moment dans l’allée avant de monter en voiture, laissant le vent froid de janvier les malmener. Il vient du nord, directement du Canada, aussi l’odeur habituelle du grand lac pollué à l’est est agréablement absente. Il n’y a que quelques maisons de ce côté-ci de Hilltop Court, et la plus proche porte un panneau À VENDRE. Hodges s’aperçoit que l’agent immobilier est Tom Saubers et il sourit. Tom aussi a été grièvement blessé au City Center mais il a réussi à remonter quasiment toute la pente. Hodges est toujours stupéfait de la résilience dont sont capables certains hommes et certaines femmes. Ça ne lui redonne pas exactement espoir en la race humaine mais…
En fait, si.
Dans la voiture, Holly pose le Inside View par terre le temps d’accrocher sa ceinture et le ramasse aussitôt. Ni Pete ni Isabelle ne se sont opposés à ce qu’elle le prenne. Hodges n’est même pas sûr qu’ils aient remarqué. Ça serait pas étonnant. Pour eux, la maison de Mme Ellerton n’est pas vraiment une scène de crime, même si c’est bien ce qu’elle est aux yeux de la loi. Pete était troublé, certes, mais Hodges ne met pas ça sur le compte de l’intuition policière, plutôt une espèce de réaction superstitieuse.
Hartsfield aurait dû mourir quand Holly l’a frappé avec mon Happy Slapper, se dit Hodges. Ça aurait été mieux pour tout le monde.
« Je connais Pete, il ira vérifier les photos du suicide Frias-Countryman, dit-il à Holly. Diligence de rigueur et tout ça. Mais s’il trouve un Z griffonné quelque part — sur une plinthe, un miroir —, alors là je tomberai vraiment des nues. »
Elle ne répond pas. Son regard est perdu au loin.
« Holly ? T’es là ? »
Elle sursaute légèrement.
« Oui. Je réfléchis juste à comment localiser Nancy Alderson à Chagrin Falls. Ça ne devrait pas prendre trop de temps avec tous les logiciels de recherche que j’ai, mais c’est toi qui devras lui parler. Je peux téléphoner moi-même si j’y suis absolument obligée, tu sais bien que…
— Oui. Tu t’en sors très bien maintenant. »
Ce qui est vrai, bien qu’elle téléphone toujours avec sa fidèle boîte de Nicorette à portée de la main. Sans parler de la réserve de Twinkies qu’elle garde dans son bureau en renfort.
« Mais ce n’est pas moi qui lui dirai que ses employeuses — ses amies, pour ce qu’on en sait — sont mortes. Tu devras le faire. Tu es doué pour ce genre de choses. »
Hodges croit que personne n’est vraiment doué pour ce genre de choses mais ne se fatigue pas à le dire.
« Pourquoi tu veux joindre la femme de ménage ?
— Elle mérite de savoir, dit Holly. La police va contacter les membres de la famille, c’est leur boulot, mais ils ne vont sûrement pas appeler la femme de ménage. En tout cas, je ne pense pas. »
Hodges ne pense pas non plus et Holly a raison : Alderson mérite de savoir, ne serait-ce que pour lui éviter de se retrouver face à une maison condamnée par la police en retournant travailler. Mais d’une certaine manière, il ne pense pas que ce soit l’unique motif de l’intérêt de Holly pour Nancy Alderson.
« Ton ami Pete et Miss Jolis Yeux Gris n’ont quasiment rien fait, dit Holly. Il y a de la poudre à empreintes dans la chambre de Martine Stover, oui, d’accord, et sur le fauteuil roulant, et aussi dans la salle de bains où Mme Ellerton s’est suicidée, mais rien à l’étage, où elle dormait. Ils sont sans doute montés assez longtemps pour s’assurer qu’il n’y avait pas de cadavre planqué sous le lit ou dans le placard et ils n’ont pas cherché plus loin.
— Attends une minute. T’es montée à l’étage ?
— Bien sûr. Il fallait bien que quelqu’un enquête consciencieusement, ce que ces deux-là n’ont certainement pas fait. En ce qui les concerne, ils n’ont aucun doute sur ce qui s’est passé. Pete t’a appelé parce que ça l’a glacé, c’est tout. »
Glacé. Oui, c’est ça. C’est exactement le mot qu’il cherchait et qu’il n’avait pas trouvé.
« Moi aussi ça m’a glacée, poursuit Holly sur un ton d’évidence, mais j’ai pas perdu mon sang-froid pour autant. Ils ont faux sur toute la ligne. Faux faux faux, et tu dois parler à la femme de ménage. Je te dirai quoi lui demander si tu vois pas.
— C’est à propos de ce Z dans la salle de bains ? Si tu sais quelque chose que je ne sais pas, j’aimerais bien que tu me mettes au courant.
— C’est pas ce que je sais, c’est ce que j’ai vu. Tu n’as pas remarqué ce qu’il y avait à côté du Z ?
— Un marqueur ? »
Elle lui jette un regard qui dit : Tu peux mieux faire.
Hodges a recours à une vieille technique de flic particulièrement pratique lors de témoignages devant le tribunal : il regarde à nouveau la photo, dans sa tête cette fois.
« Il y avait un câble d’alimentation branché au mur à côté du lavabo.
— Oui ! J’ai d’abord cru que c’était pour une liseuse et que Mme Ellerton le laissait branché là parce que c’était dans cette partie de la maison qu’elle passait le plus clair de son temps. Ç’aurait été un endroit pratique pour la recharger parce que toutes les prises de la chambre de Martine étaient utilisées par les appareils médicaux. Tu crois pas ?
— Ouais, c’est possible.
— Sauf que j’ai un Nook et un Kindle… »
Bien sûr que t’as ces machins-là, pense Hodges.
« … et aucun des deux n’a de chargeur comme celui-là. Ils sont noirs. Celui-là était gris.
— Peut-être qu’elle avait perdu l’original et qu’elle s’en était racheté un à Tech Village. »
À peu près le seul magasin d’électronique de la ville depuis que Discount Electronix, l’ancien employeur de Brady Hartsfield, a fait faillite.
« Non. Les liseuses ont des chargeurs à deux broches. La fiche de celui-là était plus large, comme pour une tablette électronique. Sauf que mon iPad a aussi ce genre de chargeur et que celui de la salle de bains était bien plus petit. C’était un câble pour un appareil portable plus petit. Alors je suis allée à l’étage pour voir ce que je pouvais trouver.
— Et tu as trouvé… ?
— Rien qu’un vieux PC sur le bureau près de la fenêtre dans la chambre de Mme Ellerton. Je veux dire vraiment vieux. Il était raccordé à un modem.
— Oh mon Dieu, non ! s’exclame Hodges. Pas un modem !
— C’est pas drôle, Bill. Ces femmes sont mortes. »