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Hodges lève une main du volant et fait un signe d’apaisement.

« Désolé. Je t’écoute. C’est la partie où tu me dis que tu as allumé l’ordinateur ? »

Holly a l’air légèrement embarrassée.

« Euh, oui. Mais seulement pour les besoins d’une enquête que la police n’a clairement pas l’intention de mener. J’étais pas en train de fouiner. »

Hodges pourrait discuter mais s’abstient.

« Il n’y avait pas besoin de mot de passe alors je suis allée voir l’historique de Mme Ellerton. Elle visitait pas mal de sites de vente en ligne et surtout beaucoup de sites médicaux sur la paralysie. Elle semblait particulièrement s’intéresser aux cellules souches, ce qui paraît logique étant donné l’état de santé de sa…

— Tu as fait tout ça en dix minutes ?

— Je lis vite. Mais tu sais ce que je n’ai pas trouvé ?

— De sites sur le suicide, j’imagine ?

— Oui. Alors comment pouvait-elle savoir pour l’hélium ? Et comment a-t-elle eu l’idée de dissoudre les comprimés dans la vodka et de la verser dans la sonde gastrique de sa fille ?

— Eh bien, dit Hodges, il y a cet ancien rituel ésotérique que l’on appelle lire des livres. Tu en as peut-être entendu parler.

— T’as vu des livres dans leur salon, toi ? »

Il se remémore le salon tout comme il s’est remémoré la photo de la salle de bains de Martine Stover, et Holly a raison. Il y avait des étagères de bibelots, le tableau des petits enfants aux yeux immenses et l’écran plat de la télé. Il y avait des magazines sur la table basse, mais étalés d’une façon qui suggérait davantage un élément de décoration qu’une réelle passion pour la lecture. Et puis, il ne s’agissait pas exactement de l’Atlantic[8].

« Non, dit-il, pas de livres dans le salon, mais j’en ai vu quelques-uns sur la photo de la chambre de Stover. L’un d’eux ressemblait à une bible. » Il regarde le Inside View plié sur les genoux de Holly. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, Holly ? Qu’est-ce que tu caches ? »

Quand Holly rougit, elle passe en état d’alerte DEFCON 1[9], le sang lui montant aux joues de façon alarmante. C’est le cas maintenant.

« C’est pas du vol, dit-elle. C’est un emprunt. Je ne vole jamais, Bill. Jamais !

— Relax. Qu’est-ce que c’est ?

— Le truc qui va avec le chargeur dans la salle de bains. »

Elle déplie le magazine et dévoile un gadget rose fluo avec un écran gris éteint. C’est plus gros qu’une liseuse et plus petit qu’une tablette.

« Quand je suis redescendue, je me suis assise dans le fauteuil de Mme Ellerton pour réfléchir une minute. J’ai passé mes mains entre les accoudoirs et les coussins. J’étais même pas en train de chercher quoi que ce soit. J’ai fait ça comme ça, c’est tout. »

L’une de ses nombreuses techniques d’auto-réconfort, en déduit Hodges. Il lui en a vu beaucoup depuis sa première rencontre avec elle en compagnie de sa mère sur-protectrice et de son oncle à la sociabilité agressive. En leur compagnie ? Non, pas vraiment. Cela supposait une égalité. Charlotte Gibney et Henry Sirois la traitaient plus comme une enfant attardée mentale de sortie pour la journée. Holly est une tout autre femme à présent, mais il reste des traces de l’ancienne Holly. Et Hodges comprend. Après tout, on se traîne tous notre ombre.

« C’est là que je l’ai trouvé, du côté droit. C’est un Zappit. »

Ce nom lui dit vaguement quelque chose, même si du point de vue gadgets électroniques à puces, Hodges est largué. Il fait toujours planter son propre ordinateur, et maintenant que Jerome n’est plus là, c’est généralement Holly qui vient chez lui, dans Harper Road, pour une leçon de remise à niveau.

« Un za quoi ?

— Un Zappit Commander. J’ai vu la pub sur Internet, bien que pas récemment. Ils sont livrés avec une centaine de jeux vidéo pré-installés du genre Tetris, Simon, et SpellTower. Rien d’aussi compliqué que Grand Theft Auto. Alors dis-moi ce que ça fichait là, Bill ? Dis-moi ce que ça fichait dans une maison où vivaient une femme de presque quatre-vingts ans et une tétraplégique qui pouvait même pas allumer les lumières, et certainement pas jouer à des jeux vidéo.

— C’est vrai, c’est curieux. Pas insensé mais curieux, oui.

— Et le chargeur était branché juste à côté du Z, dit-elle. Pas Z comme fin, genre lettre d’adieu, mais Z comme Zappit. Du moins c’est ce que je crois. »

Hodges réfléchit.

« Peut-être. »

À nouveau, Hodges se demande s’il a déjà entendu ce nom quelque part ou si c’est seulement ce que les Français appellent un faux souvenir*[10]. Il pourrait jurer que ça a quelque chose à voir avec Brady Hartsfield, mais il ne peut pas vraiment faire confiance à son intuition car aujourd’hui, il pense beaucoup à Brady.

Depuis combien de temps je suis pas allé le voir ? Six mois ? Huit ? Non, plus longtemps. Bien plus longtemps.

La dernière fois, c’était peu de temps après l’affaire Pete Saubers et la valise d’argent et de carnets volés que Pete avait découverte, pratiquement enterrée dans son jardin de derrière. Ce jour-là, Hodges avait trouvé un Brady inchangé : le même jeune homme réduit à l’état de mollusque, vêtu d’une chemise à carreaux et d’un jean qui ne se salissaient jamais. Il était assis devant la fenêtre, dans le fauteuil où Hodges le trouvait à chaque fois qu’il venait faire une visite à la Chambre 217 de la Clinique des Traumatisés du Cerveau, à fixer le parking couvert de l’autre côté de la rue.

La seule nouveauté se trouvait en dehors de la Chambre 217. Becky Helmington, l’infirmière-chef, avait été transférée à l’unité chirurgicale du Kiner Memorial, coupant ainsi court à tout échange avec Hodges concernant les rumeurs qui circulaient sur Brady. La nouvelle chef de service était une femme aux scrupules rigides et au visage fermé comme un poing. Ruth Scapelli avait refusé les cinquante dollars que lui offrait Hodges en échange du moindre petit potin qu’elle pourrait récolter sur Brady. Elle avait même menacé de le signaler à l’administration s’il s’avisait à nouveau de lui proposer de l’argent contre des informations confidentielles.

« Vous n’êtes même pas sur sa liste de visiteurs.

— Ce ne sont pas des informations sur lui que je vous demande, avait dit Hodges. J’ai déjà toutes les infos dont j’ai besoin sur Brady Hartsfield. Je veux seulement savoir ce que le personnel dit de lui. Parce qu’il y a des rumeurs qui circulent, vous savez. Des rumeurs assez folles. »

Scapelli l’avait gratifié d’un regard dédaigneux.

« Il y a des ragots dans tous les hôpitaux, monsieur Hodges, surtout s’agissant de patients célèbres. Tristement célèbres en l’occurrence. J’ai organisé une petite réunion du personnel peu après le transfert de Mme Helmington à son poste actuel, et j’ai informé mon équipe que les commérages sur M. Hartsfield devaient cesser immédiatement, et que si j’avais encore vent de rumeurs, je remonterais à la source et je veillerais à ce que la ou les personnes concernées soient renvoyées. Quant à vous… » Elle le toisa d’un air condescendant, le poing serré de son visage se contractant encore davantage. « Je n’arrive pas à croire qu’un ancien officier de police, décoré qui plus est, ait recours à la corruption. »

Peu de temps après cette entrevue plutôt humiliante, Holly et Jerome avaient coincé Hodges et mis en scène une mini-intervention pour le sommer de mettre fin à ces visites. Jerome avait été particulièrement sérieux ce jour-là, oubliant un instant sa verve enjouée habituelle.

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8

Magazine culturel américain.

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9

Niveau d’alerte le plus élevé des forces armées américaines. De couleur rouge.

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10

En français dans le texte, de même qu’ensuite tous les mots suivis d’un astérisque.