Выбрать главу

« Ça, c’est de la douleur, monsieur Hartsfield. Vous aimez ? »

Le visage de Hartsfield reste aussi inexpressif que d’habitude, ce qui accroît encore sa fureur. Elle se penche plus près, jusqu’à ce que leurs nez se touchent presque. Son visage plus que jamais fermé comme un poing. Ses yeux bleus exorbités derrière ses lunettes. De minuscules perles de salive bourgeonnent aux commissures de ses lèvres.

« Je pourrais faire ça à vos testicules, murmure-t-elle. Peut-être que je le ferai. »

Oui. Elle pourrait tout à fait. Ce n’est pas comme s’il pouvait le répéter à Babineau, après tout. Il possède une cinquantaine de mots tout au plus, et peu de gens sont capables de comprendre ce qu’il arrive à baragouiner. Un peu plus de carottes devient Euh peuh puh kwoteuh, ce qui ressemble à un faux dialecte indien dans un vieux western. La seule chose qu’il parvient à dire parfaitement bien c’est Je veux ma mère et, à plusieurs reprises, Scapelli a pris un malin plaisir à lui rappeler que sa mère était morte.

Elle tourne et retourne le téton. Dans le sens des aiguilles d’une montre, puis en sens inverse. Pinçant aussi fort qu’elle peut, et ses mains sont des mains d’infirmière, ce qui implique qu’elles ont de la force.

« Vous pensez que Babineau est votre joujou mais vous vous fourrez le doigt dans l’œil. C’est vous son joujou. Son cobaye. Il croit que je ne suis pas au courant à propos du traitement expérimental qu’il vous donne. Des vitamines, qu’il dit. Des vitamines, mes fesses ! Je suis au courant de tout ce qui se passe ici. Il croit qu’il peut vous faire revenir jusqu’à nous, mais ça n’arrivera jamais. Vous êtes parti trop loin. Et même s’il y arrivait, vous seriez jugé et passeriez le reste de votre vie en prison. Et il n’y a pas de jacuzzi à la prison d’État de Waynesville. »

Elle pince son téton si fort que les tendons de son poignet ressortent, mais il ne manifeste toujours aucun signe de sensation — il regarde simplement le parking couvert, le visage dénué d’expression. Si elle continue, un des infirmiers est susceptible de remarquer un bleu ou une boursouflure, et ce sera mentionné sur sa fiche médicale.

Elle le lâche et recule, la respiration lourde. Derrière elle, les stores vénitiens s’entrechoquent brusquement dans un grelottement d’os. Elle sursaute et regarde autour d’elle. Quand elle se retourne vers Hartsfield, il n’est plus en train de regarder le parking. Il la regarde elle. Ses yeux sont brillants et pénétrants. Scapelli ressent une vive étincelle de frayeur et fait un pas en arrière.

« Je pourrais le signaler à Babineau, dit-elle. Mais les médecins ont le chic pour esquiver certains problèmes, surtout lorsqu’il s’agit de leur parole contre celle d’une infirmière, même cadre. Pourquoi me fatiguer ? Qu’il fasse autant d’expériences qu’il veut. Même Waynesville est trop bien pour vous, monsieur Hartsfield. Peut-être qu’il va finir par vous donner quelque chose qui vous tuera. C’est tout ce que vous méritez. »

Un chariot à repas gronde dans le couloir ; quelqu’un n’a pas encore déjeuné. Ruth Scapelli sursaute comme une femme s’éveillant d’un rêve et recule vers la porte, son regard passant de Hartsfield aux stores vénitiens, maintenant silencieux, pour revenir sur Hartsfield.

« Je vous laisse avec vos pensées, mais laissez-moi vous dire une dernière chose avant de partir. Si vous me refaites un doigt d’honneur, ce sera vraiment vos testicules. »

La main de Brady monte de ses genoux à sa poitrine. Elle tremble mais c’est seulement un problème de motricité ; grâce à ses dix séances de kinésithérapie par semaine, il a récupéré au moins un peu de tonicité musculaire.

Scapelli le dévisage, abasourdie, alors que le majeur se déploie et se tend vers elle.

Accompagné de ce sourire obscène.

« Vous êtes un monstre, dit-elle d’une voix basse. Une aberration. »

Mais elle ne s’approche plus de lui. Elle est tout à coup prise d’une peur irrationnelle de ce qui pourrait arriver si elle le faisait.

11

Tom Saubers est plus que disposé à rendre à Hodges le service qu’il lui a demandé, même si ça veut dire décaler deux rendez-vous de cet après-midi. Il doit à Bill Hodges bien plus qu’une visite de maison vide là-haut à Ridgedale ; après tout, l’ancien inspecteur de police — avec l’aide de ses amis Holly et Jerome — a sauvé la vie de son fils et de sa fille. Et très certainement de sa femme, aussi.

Composant le code qui figure sur un bout de papier clippé à son dossier, Tom coupe l’alarme dans l’entrée. Alors qu’il fait visiter les pièces du bas à Hodges, leurs pas résonnant dans la maison vide, il ne peut s’empêcher de réciter son baratin d’agent immobilier. Oui, c’est plutôt loin du centre, je vous l’accorde, mais du coup, vous avez accès à tous les services de la ville — eau, déneigement, ramassage des ordures, bus scolaires, bus municipaux — sans tout le bruit de la ville.

« La maison est équipée pour le câble et dépasse de loin les normes de construction standard, dit-il.

— C’est super, mais je suis pas là pour l’acheter. »

Tom le regarde avec curiosité.

« Vous êtes là pour quoi, alors ? »

Hodges ne voit aucune raison de ne pas lui dire.

« Pour savoir si quelqu’un ne l’aurait pas utilisée pour observer la maison de l’autre côté de la rue. Il y a eu un meurtre-suicide en face le week-end dernier.

— Au 1601 ? Mon Dieu, Bill, c’est horrible. »

Oui, pense Hodges, c’est horrible, et je suis sûr que tu te demandes déjà à qui tu devrais t’adresser pour devenir l’agent immobilier de cette maison-là.

Pas qu’il en tienne rigueur à Tom, qui a lui-même vécu son propre enfer à la suite du Massacre du City Center.

« Je vois que vous n’avez plus besoin de votre canne, remarque Hodges alors qu’ils montent au premier étage.

— Je m’en sers parfois le soir, surtout si le temps est pluvieux, dit Tom. Les scientifiques soutiennent que le truc des articulations plus douloureuses par temps humide est une connerie, mais moi je peux vous dire que c’est un de ces contes de bonne femme sur lesquels vous pouvez parier. Donc nous avons ici la chambre principale, vous noterez qu’elle est orientée est pour capter toute la lumière du matin. La salle de bains est agréable et spacieuse — la douche est équipée de jets massants — et juste au bout du couloir vous avez… »

Oui, c’est une belle maison, Hodges n’en attendait pas moins de Ridgedale, mais rien n’indique que quelqu’un soit passé par là récemment.

« Vous avez vu tout ce que vous vouliez voir ? demande Tom.

— Je pense, oui. Vous n’avez rien remarqué de spécial ?

— Rien du tout. Et l’alarme est de qualité. Si quelqu’un était entré par effraction…

— Ouais, dit Hodges. Désolé de vous avoir fait sortir par un froid pareil.

— Ne soyez pas ridicule, je devais sortir de toute manière. Et ça m’a fait plaisir de vous voir. » Ils sortent par la porte de la cuisine, que Tom verrouille derrière lui. « Même si vous avez l’air affreusement mince.

— Ben, vous savez ce qu’on dit, on est jamais trop mince ni trop riche. »

Tom, qui à la suite de ses blessures a été à la fois trop mince et trop pauvre, sourit poliment et commence à contourner la maison. Hodges le suit sur quelques pas puis s’arrête.