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BLACKISH

1

Bien que Hodges ait officiellement fait de Holly son associée à part entière à Finders Keepers — et qu’il y ait un bureau disponible (petit mais avec vue sur la rue) —, elle a décidé d’élire domicile à la réception. Elle est assise là, devant son écran d’ordinateur, quand Hodges arrive à onze heures moins le quart. Et même si elle se hâte de glisser quelque chose dans le grand tiroir au-dessus de ses genoux, l’odorat de Hodges est toujours en bon état de marche (pas comme certain matériel défectueux plus au sud) et il perçoit l’odeur typique d’un Twinkie à demi mangé.

« Quoi de neuf, Hollyberry ?

— Tu tiens ça de Jerome et tu sais que je déteste. Appelle-moi Hollyberry une fois de plus et je me prends une semaine pour aller voir ma mère. Elle arrête pas de me tanner pour que j’aille lui rendre visite. »

Mais bien sûr, pense Hodges. Tu peux pas la supporter, et en plus, t’es sur une piste, ma chère. Aussi accro qu’une fumeuse de crack.

« Désolé, désolé. » Il regarde par-dessus son épaule et voit un article du Bloomberg Business daté d’avril 2014. Le journal titre LE ZAPPIT ZAPPÉ. « Ouais, l’entreprise a foiré et jeté l’éponge. Je croyais te l’avoir dit hier.

— Oui, je sais. Mais ce qui m’intéresse, ce sont les stocks.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Des milliers de Zappit invendus, peut-être des dizaines de milliers. Je voulais savoir ce qu’ils en ont fait.

— Et t’as trouvé ?

— Pas encore.

— Peut-être qu’ils ont été envoyés aux enfants pauvres de Chine, avec tous les légumes que je refusais de manger quand j’étais petit.

— Les enfants qui meurent de faim, ça n’a rien de drôle, dit-elle avec un air sévère.

— Non, bien sûr que non. »

Hodges se redresse. Sur le chemin du retour, il a acheté les antidouleurs prescrits par le Dr Stamos — du lourd, mais pas aussi lourd que les trucs qu’il devra bientôt prendre — et il se sent presque bien. La faim commence même à le tenailler, un changement qui est le bienvenu.

« Ils ont probablement été détruits, dit-il. Je crois que c’est ce qu’ils font avec les livres de poche invendus.

– Ça fait beaucoup de stock à détruire, quand on pense que ces bidules sont bourrés de jeux vidéo et qu’ils fonctionnent encore. C’était du haut de gamme, ces Commander, ils avaient même la Wifi. Maintenant, dis-moi pour tes examens. »

Hodges réussit un sourire, qu’il espère à la fois modeste et heureux.

« Pas trop mal, à vrai dire. C’est un ulcère, mais juste un petit. J’ai une tonne de médocs à prendre et il faut que je surveille mon alimentation. Le Dr Stamos dit qu’en suivant un régime adapté, ça devrait guérir tout seul. »

Elle lui retourne un sourire radieux qui conforte Hodges dans son scandaleux mensonge. Bien entendu, il se sent aussi comme une merde de chien sous une vieille chaussure.

« Dieu merci ! Tu vas faire comme il te dit, hein ?

— Et comment ! »

Une grosse merde de chien ; toute la nourriture insipide du monde ne le guérira pas du mal qui le ronge. Hodges n’est pas un lâche et, en d’autres circonstances, il serait dans le cabinet du gastroentérologue Henry Yip à l’heure qu’il est, peu importent ses faibles chances de vaincre un cancer du pancréas. Mais voilà, le message qu’il a reçu sur le site du Parapluie Bleu a changé la donne.

« Eh bien, tant mieux. Parce que je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Bill. Je sais pas du tout.

— Holly…

— En fait si, je sais. Je retournerais chez ma mère. Et ça serait pas bon pour moi. »

Sans déconner, se dit Hodges. La première fois que je t’ai vue, pour l’enterrement de ta tante Elizabeth, c’est tout juste si ta mère te traînait pas comme un chien en laisse. Fais ça, Holly, fais ci, Holly, et pour l’amour du ciel, Holly, surtout ne fais rien d’embarrassant.

« Maintenant, raconte, dit Holly. Raconte-moi ce qu’il y a de nouveau. Raconte raconte raconte !

— Donne-moi quinze minutes et je te dirai tout. En attendant, vois si tu peux trouver ce qui est arrivé à tous ces Commander. C’est peut-être pas important mais qui sait.

— OK. Bill, c’est merveilleux pour tes examens.

— Ouais. »

Il va dans son bureau. Holly pivote sur son fauteuil pour regarder un instant dans sa direction car ça ne lui ressemble pas de fermer la porte derrière lui. Mais bon, ce n’est pas totalement incongru non plus. Elle retourne à son ordinateur.

2

« Il en a pas fini avec vous », répète Holly d’une voix douce.

Elle repose son burger végétarien à demi mangé sur son assiette en carton. Hodges a déjà démoli le sien, parlant entre chaque bouchée. Il ne mentionne pas le réveil douloureux en plein milieu de la nuit ; dans sa version, il avait découvert le message en se levant pour aller surfer sur le Net parce qu’il n’arrivait pas à dormir.

« C’est ce qu’il y avait d’écrit, oui.

— De Z-Boy…

— Ouaip. On dirait l’acolyte d’un super-héros, tu trouves pas ? Suivez les aventures de Z-Man et Z-Boy protégeant du crime les rues de Gotham City !

— C’est Batman et Robin qui patrouillent les rues de Gotham City.

— Je sais, merci. Je lisais Batman que t’étais pas encore née. C’était pour la blague. »

Elle reprend son burger végétarien, en extrait un bout de laitue, et le repose.

« C’était quand la dernière fois que tu es allé voir Brady Hartsfield ? »

En plein dans le vif du sujet, se dit Hodges, admiratif. Ça, c’est ma Holly.

« J’y suis allé juste après l’histoire avec la famille Saubers, et une dernière fois un peu plus tard. Au milieu de l’été, je dirais. Et puis toi et Jerome m’avez fait comprendre qu’il fallait que j’arrête. Alors j’ai arrêté.

— On a fait ça pour ton bien.

— Je sais, Holly. Mange ton burger. »

Elle en prend une bouchée, essuie de la mayo au coin de sa bouche et demande à Hodges comment Hartsfield lui a paru lors de sa dernière visite.

« Toujours le même… Assis dans son fauteuil à regarder le parking couvert. Je parle, je pose des questions, il en lâche pas une. Il mérite l’Oscar des traumatisés du cerveau, pas de doute là-dessus. Mais il y a des rumeurs qui courent à son sujet. Certains disent qu’il a des pouvoirs de télékinésie. Qu’il peut ouvrir et fermer l’eau dans sa salle de bains et qu’il le fait parfois pour faire peur au personnel. Pour moi, c’est des conneries, mais quand Becky Helmington était encore infirmière-chef, elle disait avoir vu des trucs plusieurs fois — les stores qui claquent, la télé qui s’allume toute seule, les flacons qui se balancent sur le pied à perfusion. Et elle est ce que j’appellerais un témoin crédible. Je sais que c’est difficile à croire…

— Pas tant que ça. La télékinésie, appelée parfois psychokinésie, est un phénomène bien documenté. Toi, tu n’as jamais rien vu de tel pendant tes visites ?

— Eh bien… » Il s’interrompt, se remémorant. « Si, lors de mon avant-dernière visite. Il y avait une photo sur sa table de chevet — de lui et sa mère bras dessus, bras dessous et joue contre joue. En vacances quelque part. Il y avait la même en grand format dans la maison de Helm Street. Tu t’en souviens peut-être.

— Bien sûr que je m’en souviens. Je me souviens de tout ce qu’on a vu dans cette maison, y compris de certaines photos d’elle affriolantes qu’il avait sur son ordinateur. » Elle croise les bras sur sa petite poitrine et fait une moue de dégoût. « Ils avaient une relation très malsaine.