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Holly s’illumine.

« C’est une idée toufument géniale ! »

Non, pas géniale, juste du boulot de flic, pense-t-il. J’ai beau être en phase terminale, j’ai encore du métier et c’est quelque chose.

C’est quelque chose de chouette.

3

Alors qu’il quitte le Turner Building et se dirige vers l’arrêt de bus (pour traverser la ville, il a plus vite fait de prendre le 5 que d’aller chercher sa Prius), Hodges est profondément préoccupé. Il est en train de réfléchir à comment aborder Brady — comment le faire craquer. Il était champion pour ça en salle d’interrogatoire quand il était en poste, il y a donc forcément un moyen. Auparavant, il allait juste voir Brady pour le provoquer et confirmer son instinct qui lui disait que Brady simulait son état semi-catatonique. Aujourd’hui, il a de véritables questions à lui poser et il doit exister un moyen d’obtenir des réponses.

Il faut que je titille l’araignée, se dit-il.

Interférant avec ses efforts pour planifier la confrontation à venir surgissent des pensées sur le diagnostic qu’il vient d’apprendre, et les peurs inévitables qui l’accompagnent. Peur de la mort, bien sûr. Mais aussi peur de la souffrance qui l’attend au bout de la route, et du moment fatidique où il devra informer ceux qui doivent savoir. Corinne et Allie seront chamboulées par la nouvelle mais dans l’ensemble, ça ira. Pareil pour la famille Robinson, même s’il sait que ce sera dur à encaisser pour Jerome et sa petite sœur Barbara (plus si petite que ça, elle aura seize ans dans quelques mois). Non, c’est surtout pour Holly qu’il s’inquiète. Elle n’est pas folle, malgré ce qu’elle a pu dire au bureau, mais elle est fragile. Très fragile. Elle a fait deux dépressions par le passé, une au lycée et une vers la vingtaine. Elle est plus forte aujourd’hui, mais ses principaux soutiens ces dernières années ont été Hodges et la petite agence qu’ils dirigent ensemble. Si elle n’a plus ce repère-là, elle risque de rechuter. Il ne faut pas qu’il se fasse d’illusions.

Je ne la laisserai pas craquer, se dit Hodges. Il marche la tête basse et les mains enfoncées dans les poches, soufflant de la vapeur blanche. Je ne le permettrai pas.

Plongé dans ses pensées, il rate la Chevrolet badigeonnée d’apprêt pour la troisième fois en deux jours. Elle est garée au bout de la rue, le long du trottoir opposé à l’immeuble où Holly est en train de rechercher activement le fiduciaire en charge de la faillite de Sunrise Solutions. Debout à côté de la voiture se tient un homme âgé en vieille parka de surplus militaire rafistolée avec du ruban adhésif. Il regarde Hodges monter dans le bus, puis sort un téléphone portable de la poche intérieure de son manteau et passe un coup de fil.

4

Holly regarde son patron — qui se trouve être la personne qu’elle aime le plus au monde — marcher jusqu’à l’arrêt de bus au coin de la rue. Il est si mince à présent, presque l’ombre de l’homme robuste qu’elle a rencontré pour la première fois il y a six ans. Et il presse sa main contre son flanc en marchant. Il fait ça souvent en ce moment, et elle ne sait même pas s’il s’en rend compte.

Rien qu’un petit ulcère, il a dit. Elle aimerait le croire mais elle n’est pas sûre de pouvoir.

Le bus arrive et Bill monte. Debout à la fenêtre, Holly le regarde partir en se rongeant les ongles et en rêvant d’une cigarette. Elle a des Nicorette, tout un tas, mais des fois, il n’y a qu’une cigarette qui peut aider.

Assez perdu de temps, se dit-elle. Si tu dois vraiment jouer les sales petites fouineuses, c’est maintenant ou jamais.

Elle entre dans le bureau de Bill.

L’écran de son ordinateur est noir mais il ne l’éteint qu’au moment de rentrer chez lui le soir ; tout ce qu’elle a à faire, c’est d’appuyer sur une touche pour le sortir de sa veille. Mais avant qu’elle fasse le geste, son regard est attiré par le bloc à feuilles jaunes posé à côté du clavier. Il en garde toujours un à portée de main, d’ordinaire couvert de notes et de gribouillis. C’est comme ça qu’il réfléchit.

En haut de la page à laquelle il est ouvert figure un vers qu’elle connaît bien, un vers qui résonne en elle depuis la toute première fois qu’elle l’a entendu à la radio : All the lonely people[20]. Il l’a souligné. En dessous, il y a des noms qu’elle connaît :

Olivia Trelawney (veuve)

Martine Stover (célibataire, « vieille fille » selon la femme de ménage)

Janice Ellerton (veuve)

Nancy Alderson (veuve)

Et d’autres. Le sien, bien sûr ; elle aussi est une vieille fille. Pete Huntley, qui est divorcé. Et Hodges lui-même, divorcé également.

Il y a deux fois plus de suicides chez les personnes célibataires. Quatre fois plus chez les gens divorcés.

« Brady Hartsfield aimait le suicide, murmure-t-elle. C’était son hobby. »

Sous les noms, Hodges a noté, et entouré, quelque chose qu’elle ne comprend pas : Listes des visiteurs ? Quels visiteurs ?

Elle appuie sur une touche au hasard et l’ordinateur de Bill se rallume, affichant l’écran de son bureau et tous ses dossiers éparpillés. Elle l’a houspillé maintes et maintes fois à ce sujet, lui a dit que c’était comme laisser la porte de sa maison ouverte et tous ses objets de valeur étalés sur la table de la salle à manger avec une pancarte disant S’IL VOUS PLAÎT, VOLEZ-MOI, et il dit toujours qu’il va faire mieux et ne le fait jamais. Pas que ça changerait grand-chose pour Holly car elle connaît son mot de passe. C’est lui qui le lui a donné. Au cas où il lui arriverait quelque chose, avait-il dit. Et elle craint aujourd’hui que ce ne soit le cas.

Un seul coup d’œil à l’écran suffit à lui faire comprendre que ce qui lui arrive est plus grave qu’un ulcère. Il y a un nouveau document sur le bureau, avec un titre effrayant. Holly double clique. Les terribles lettres gothiques en en-tête confirment que le document est bien le testament de Kermit William Hodges. Elle le ferme aussitôt. Elle n’a absolument aucune envie de mettre son nez dans ses legs. De savoir qu’un tel document existe et qu’il a été revu aujourd’hui lui suffit. C’est même trop.

Elle reste debout là, agrippant ses épaules et se mordillant les lèvres. La prochaine étape serait pire que fouiner. Ce serait une atteinte à la vie privée. Un vol avec effraction.

Tu es allée jusque-là maintenant, alors continue.

« Oui, il le faut », murmure Holly, et elle clique sur l’icône du timbre qui ouvre la boîte mail, se disant qu’il n’y aura probablement rien. Sauf qu’il y a quelque chose. Le message le plus récent a vraisemblablement été envoyé pendant qu’ils discutaient de ce que Bill a découvert cette nuit sous le Parapluie Bleu de Debbie. C’est un mail du médecin qu’il est allé voir. Stamos, il s’appelle. Elle l’ouvre et lit : Ci-joint la copie de vos derniers examens, pour vos dossiers.

Holly utilise le mot de passe qu’il y a dans l’e-mail pour ouvrir la pièce jointe, s’installe dans le fauteuil de Bill et se penche en avant, les mains étroitement serrées sur les genoux. Le temps d’atteindre la deuxième des huit pages qui constituent le document, elle pleure déjà.

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20

Chanson des Beatles. Littéralement : Tous les gens seuls.