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— Non. » Hodges est en train d’inspecter le maigre contenu de son frigo à la recherche de quelque chose que son estomac pourrait accepter et se décide pour un yaourt à la banane. « Il y avait des poissons roses. Mais j’en ai attrapé deux — et c’était pas facile — et aucun chiffre n’est apparu.

— Je parie que Mme Ellerton, elle, a eu droit aux chiffres. »

C’est aussi ce que pense Hodges. Il est un peu tôt pour les généralités, mais il commence à se dire que les poissons-chiffres apparaissent seulement sur les Zappit remis de la main à la main par l’homme à l’attaché-case, Myron Zakim. Hodges pense aussi que quelqu’un s’amuse à jouer avec la lettre Z et, outre son intérêt morbide pour le suicide, le jeu faisait partie du modus operandi de Brady Hartsfield. Sauf que Brady est coincé dans sa chambre à Kiner, bon sang. Hodges ne cesse de se heurter à ce fait irréfutable. Si Brady Hartsfield a des pantins pour faire le sale boulot à sa place — et ça commence à y ressembler de plus en plus —, comment fait-il pour les manipuler ? Et pourquoi ceux-ci acceptent-ils de se laisser manipuler ?

« Holly, j’ai besoin que tu fasses chauffer l’ordi et que tu me vérifies un truc. Pas énorme, mais ça nous ôtera d’un doute.

— Vas-y, dis.

— Je veux savoir si Sunrise Solutions a sponsorisé la tournée des ’Round Here en 2010, l’année où Hartsfield a essayé de faire sauter l’Auditorium Mingo. Ou toute autre tournée des ’Round Here.

— Je peux faire ça. Tu as dîné ?

— Je m’y mets, là.

— Bien. Tu manges quoi ?

— Steak, frites allumettes et salade, répond Hodges en contemplant le pot de yaourt avec un mélange de dégoût et de résignation. Et j’ai un reste de tarte aux pommes pour le dessert.

— Fais-le tiédir au micro-ondes et pose une boule de glace vanille dessus. Miam !

— Je vais y penser. »

Il ne devrait pas être étonné qu’elle le rappelle cinq minutes plus tard avec le renseignement demandé — c’est du Holly tout craché — mais il l’est quand même.

« Déjà ? T’es incroyable, Holly ! »

Sans se douter qu’elle se fait l’écho de Freddi Linklatter presque mot pour mot, Holly répond :

« Demande-moi quelque chose de plus dur la prochaine fois. Tu seras peut-être content d’apprendre que les ’Round Here se sont séparés en 2013. Ces boys bands n’ont pas l’air de durer très longtemps.

— Non, répond Hodges, une fois qu’ils commencent à se raser, les petites filles s’en désintéressent.

– Ça je ne sais pas, dit Holly. Moi j’ai toujours été fan de Billy Joel. Et de Michael Bolton aussi. »

Oh, Holly, se lamente Hodges. Pour la x-ième fois.

« Entre 2007 et 2012, le groupe a fait six tournées nationales. Les quatre premières étaient sponsorisées par les céréales Sharp qui ont distribué des échantillons gratuits à chaque concert. Les deux derniers, y compris celui du Mingo, ont été sponsorisés par Pepsi.

— Pas Sunrise Solutions.

— Non.

— Merci, Holly. On se voit demain.

— Oui. T’es en train de manger, là ?

— Je m’installe juste.

— Très bien. Et tu essaieras d’aller revoir Barbara avant de démarrer ton traitement. Elle a besoin de voir des visages amicaux parce que ce qui la travaille ne s’est pas encore dissipé. Elle dit que c’est comme si ça lui avait laissé une traînée de bave dans le cerveau.

— J’y veillerai », dit Hodges, mais c’est une promesse qu’il ne sera pas en mesure de tenir.

5

Est-ce que vous êtes Brady ?

Felix Babineau, qui parfois s’intitule Myron Zakim et parfois Dr Z, répond à la question en souriant. Ça creuse ses joues pas rasées d’une manière décidément flippante. Ce soir il porte une chapka de fourrure au lieu de son trilby et ses cheveux blancs rebiquent en bas tout autour. Freddi regrette d’avoir posé la question, regrette d’avoir dû le laisser entrer, regrette d’avoir même jamais entendu parler de lui. S’il est Brady, alors il est aussi une maison hantée ambulante.

« Ne posez pas de questions et je ne raconterai pas de mensonges », dit-il.

Elle voudrait en rester là mais n’y arrive pas.

« Parce que vous parlez comme lui. Et le craquage que l’autre m’a demandé de faire après l’arrivée des colis… c’était signé Brady, je l’aurais reconnu entre mille.

— Brady Hartsfield est en état semi-catatonique et peut à peine marcher, encore moins rédiger un craquage informatique à réaliser sur une poignée de consoles obsolètes. Certaines étaient défectueuses en plus d’être obsolètes. Ces enfoirés de Sunrise Solutions m’ont entubé et ça me fait chier un max. »

Ça me fait chier un max. Une formule que Brady utilisait tout le temps, à l’époque de la Cyber Patrouille, généralement en référence à leur boss ou à un de ces cons de clients qui avait réussi à renverser son expresso sur son ordinateur.

« Vous avez été très bien payée, Freddi, et votre travail est bientôt terminé. N’insistez pas, voulez-vous ? »

Il la dépasse sans attendre de réponse, va poser son attaché-case sur la table et fait sauter les fermoirs. Il en retire une enveloppe portant ses initiales, FL. Les lettres sont inclinées vers l’arrière. Pendant ses années de travail chez Discount Electronix, elle a vu cette même écriture penchée sur des centaines de bons de commande. Ceux que Brady remplissait.

« Dix mille, dit Dr Z. Dernier paiement. Maintenant, au boulot. »

Freddi tend la main vers l’enveloppe.

« Vous n’êtes pas obligé de rester si vous voulez pas. Le reste est quasiment automatique. C’est comme programmer une alarme réveil. »

Et si tu es vraiment Brady, tu pourrais le faire toi-même. Je suis bonne, mais t’étais encore meilleur.

Il lui laisse frôler l’enveloppe des doigts et la retire brusquement.

« Je vais rester. Pas que je ne vous fasse pas confiance, mais… »

C’est ça, pense Freddi. Tu parles.

Les joues du vieux se fripent, encore ce même sourire inquiétant.

« Et qui sait ? Nous pourrions être chanceux et assister à la première capture.

— Je vous parie que tous les gens qui ont reçu des Zappit les ont déjà jetés. C’est un putain de jouet, et y en a qui marchent même pas. Comme vous l’avez dit vous-même.

– Ça, c’est mon problème », répond Dr Z.

À nouveau, ses joues se rident et se creusent. Il a les yeux rouges, comme s’il avait fumé du crack. Elle pense un instant lui demander à quoi ils jouent exactement, et quel résultat il espère obtenir… mais elle a déjà sa petite idée, et tient-elle vraiment à en être sûre ? En plus, si c’est vraiment Brady, quel mal est-ce que ça peut bien faire ? Il avait des centaines d’idées, et toutes plus nazes les unes que les autres.

Enfin.

Presque toutes.

Elle le précède dans ce qui devait être à l’origine une chambre d’amis et qui est devenu son atelier, le genre de refuge électronique dont elle a toujours rêvé sans jamais pouvoir se l’offrir — une planque dont Gloria, avec sa belle gueule, son rire contagieux et ses « compétences sociales », n’a jamais compris le besoin. Dans cette piaule, les convecteurs marchent à peine et il fait trois degrés de moins que dans le reste de l’appartement. Mais ça dérange pas les ordinateurs. Ils aiment ça.