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« Allez-y, dit-il. Faites-le. »

Elle s’assoit devant le premier Mac de bureau de la rangée, avec son écran de soixante-dix centimètres qu’elle réactive, et tape son mot de passe — une suite de chiffres pris au hasard. Il y a un dossier simplement intitulé Z qu’elle ouvre à l’aide d’un autre mot de passe. Les sous-dossiers sont nommés Z-1 et Z-2. Elle utilise un troisième mot de passe pour ouvrir Z-2 puis commence à pianoter rapidement sur le clavier. Dr Z reste posté au-dessus de son épaule gauche. C’est une présence négative et dérangeante au début, puis elle s’absorbe dans sa tâche, comme toujours.

D’ailleurs, ça ne prend pas longtemps ; Dr Z lui a remis le programme, et l’exécuter est un jeu d’enfant. À droite de son ordinateur, sur une étagère, est posé un répéteur de signal Motorola. Lorsqu’elle termine en pressant simultanément Commande et la touche Z, le répéteur se lance. Un mot apparaît en pointillés jaunes : RECHERCHE. Il clignote comme un feu à un carrefour désert.

Ils attendent, et Freddi se rend compte qu’elle retient son souffle. Elle le relâche d’un coup, gonflant momentanément ses joues creuses. Elle commence à se lever mais Dr Z pose une main sur son épaule.

« Donnons-lui un petit peu plus de temps. »

Ils lui donnent encore cinq minutes ; on n’entend que le bourdonnement léger de l’équipement électronique et la mélopée du vent en provenance du lac gelé. RECHERCHE n’arrête pas de clignoter.

« Très bien, dit enfin Dr Z. Je savais qu’il ne fallait pas en espérer autant. Chaque chose en son temps, Freddi. Retournons à côté. Je vais vous remettre le dernier paiement et vous lais… »

RECHERCHE jaune se transforme soudain en TROUVÉ vert.

« Ça y est ! hurle-t-il, la faisant sursauter. Ça y est, Freddi ! On a le premier ! »

Ses ultimes doutes sont balayés ; maintenant elle en est sûre. Il a suffi de ce hurlement de triomphe. C’est Brady, il n’y a plus aucun doute. Il s’est transformé en poupée russe vivante, ce qui va parfaitement bien avec sa chapka en fourrure. Regardez à l’intérieur de Babineau, il y a Dr Z. Regardez à l’intérieur de Dr Z et là, actionnant toutes les manettes, il y a Brady Hartsfield. Dieu sait comment c’est possible, mais c’est pourtant ce qui est.

TROUVÉ vert est remplacé par CHARGEMENT rouge. Au bout de quelques secondes à peine, CHARGEMENT est remplacé par TÂCHE TERMINÉE. Après quoi, le répéteur se remet en mode RECHERCHE.

« Très bien, dit-il. Je suis satisfait. Il est temps pour moi de partir. La soirée a été chargée et je n’ai pas encore terminé. »

Elle le suit dans la pièce principale, refermant la porte de son antre électronique derrière elle. Elle est parvenue à une décision qu’elle aurait sans doute dû prendre depuis longtemps. Dès qu’il sera parti, elle ira éteindre le répéteur et supprimer le dernier programme. Cela fait, elle bouclera une valise et se trouvera un motel. Demain, elle fout le camp de cette ville et file chercher le soleil en Floride. Elle en a eu sa dose, du Dr Z, et de son acolyte Z-Boy, et de l’hiver dans le Midwest.

Dr Z endosse son manteau mais dérive vers la fenêtre au lieu d’aller vers la porte.

« Pas terrible comme vue. Trop de tours sur le passage.

— Ouais, ça craint grave.

— Elle vaut quand même mieux que la mienne, dit-il sans se retourner. Tout ce que j’ai à me mettre sous la dent depuis cinq ans et demi, c’est un garage couvert. »

Soudain, Freddi a atteint ses limites. Si dans soixante secondes il est encore dans la pièce, elle va piquer une crise de nerfs.

« Donnez-moi mon argent. Donnez-le-moi et foutez le camp. C’est terminé. »

Il se retourne. À la main, il a le pistolet à canon court qu’il a utilisé pour la femme de Babineau.

« Tu as raison, Freddi. C’est terminé. »

Elle réagit instantanément : un revers dans le pistolet pour l’éjecter, un coup de pied dans les parties, un mouvement de karaté en cisaille à la Lucy Liu pour l’achever quand il se plie en deux, et fuite en courant par la porte en hurlant comme une possédée. Ce petit clip mental passe en couleurs et en Dolby stéréo dans sa tête pendant qu’elle reste clouée sur place. Le pistolet fait bang. Elle trébuche de deux pas en arrière, heurte le fauteuil dans lequel elle s’assoit pour regarder la télé, s’affale dessus et roule par terre, la tête la première. Le monde commence à s’obscurcir et à se retirer. Sa dernière sensation est une chaleur en haut, où elle commence à saigner, et en bas, où sa vessie s’est relâchée.

« Dernier paiement, comme promis. »

Les mots lui parviennent de très, très loin.

La noirceur engloutit le monde. Freddi bascule dedans et disparaît.

6

Brady se tient parfaitement immobile, observant le sang se répandre sous elle. Il écoute, au cas où quelqu’un viendrait frapper à la porte pour demander si tout va bien. Il n’y croit pas vraiment, mais mieux vaut se tenir prêt.

Au bout de quatre-vingt-dix secondes environ, il remet le revolver dans la poche de son manteau avec son Zappit. Il ne résiste pas à l’envie de jeter un dernier regard dans la salle des ordinateurs avant de partir et constate que le répéteur de signal continue sa recherche automatique sans fin. Contre vents et marées, il a accompli une incroyable odyssée. Ce qu’en seront les ultimes résultats est impossible à prévoir, mais il y aura des résultats, c’est certain. Et ça rongera le vieux flic comme de l’acide. La vengeance est vraiment un plat qui se mange froid.

Il a tout l’ascenseur pour lui en redescendant. Le hall de l’immeuble est tout aussi désert. Il tourne le coin de la rue, remontant le col du coûteux manteau d’hiver de Babineau pour se protéger du vent, bipant pour déverrouiller la BM du médecin. Il monte et démarre, mais seulement pour avoir le chauffage. Il a encore quelque chose à faire avant de rallier sa prochaine destination. Il n’a pas vraiment envie de le faire, parce que nonobstant ses failles d’être humain, Babineau est doté d’un esprit suprêmement intelligent, dont une grande partie est encore intacte. Détruire cet esprit-là ressemble trop à ce que font ces connards débiles et superstitieux d’ISIS en pulvérisant des trésors d’art et de culture à coups de masse. Pourtant, ce doit être fait. Il s’agit de ne prendre aucun risque, car le corps aussi est un trésor. Certes, Babineau a une tension artérielle un peu élevée et son ouïe a considérablement baissé ces dernières années, mais la pratique du tennis et ses séances bi-hebdomadaires à la salle de sport de l’hôpital lui ont garanti une bonne musculature. Son cœur bat à soixante-dix pulsations-minute, sans le moindre raté. Il ne souffre pas de sciatique, ni de goutte, ni de cataracte, ni d’aucun autre outrage qu’inflige le temps à beaucoup d’hommes de son âge.

En plus, le bon docteur est tout ce que Brady a, du moins pour le moment.

Avec cela en tête, Brady se replie vers l’intérieur et trouve ce qui reste de la conscience profonde de Felix Babineau — le cerveau à l’intérieur du cerveau. Celui-ci a été diminué, ravagé, scarifié par les occupations répétées de Brady, mais il est toujours là, toujours Babineau, toujours capable (théoriquement du moins) de reprendre le contrôle. Il est néanmoins sans défense, comme une créature sans carapace, décortiquée et à vif. Dessous, ce n’est pas exactement de la chair : l’être profond de Babineau ressemble plutôt à un dense réseau de câbles faits de lumière.