Выбрать главу

Elle enjoint à ses mains de bouger et celles-ci obéissent à contrecœur. Elle les ramène sous elle comme pour faire des pompes et pousse. Son buste se soulève, mais sa chemise du dessus reste collée au parquet dans ce qui ressemble à du sang et dégage une odeur suspecte de whisky. C’est donc ça qu’elle buvait, et elle s’est cassé la gueule comme une idiote. Cogné la tête et évanouie. Mais bon Dieu, elle en avait sifflé combien ?

Non, c’est pas ça, se dit-elle. Quelqu’un est venu, et tu sais qui.

Simple déduction. Dernièrement, elle n’a eu que deux visiteurs, les deux sbires Z, et ça fait un moment qu’elle n’a plus revu celui en parka miteuse.

Elle tente de se mettre debout et échoue. Elle ne peut respirer que superficiellement. Des inspirations plus profondes lui causent une douleur au-dessus du sein gauche. On dirait que quelque chose y est incrusté.

Ma flasque ?

Je la faisais tournicoter en attendant qu’il rapplique. Pour me filer mon dernier paiement et sortir de ma vie.

« M’a flinguée, croasse-t-elle. Putain de Dr Z, m’a flinguée. »

Elle gagne la salle de bains en chancelant et peine à croire l’épave cabossée qu’elle voit dans la glace. Le côté gauche de son visage est couvert de sang et une boule violette a enflé au niveau d’une coupure au-dessus de la tempe gauche, mais c’est pas ça le pire. Sa chemise bleue en toile chambray est aussi imbibée de sang — dont une grande partie provient de sa blessure à la tête, c’est ce qu’elle espère, les blessures à la tête saignent comme c’est pas possible — et il y a un trou rond et noir dans la poche de poitrine gauche. Il l’a flinguée, pas de doute. Maintenant elle se souvient de la détonation et de l’odeur de poudre juste avant qu’elle perde connaissance.

Respirant toujours tout doucement, elle insère deux doigts tremblants dans sa poche et en retire son paquet de Marlboro Lights. La balle l’a transpercé, le trou est là en plein milieu du M. Elle lâche le paquet de clopes dans le lavabo, défait les boutons de la chemise et la laisse tomber par terre. L’odeur de whisky est plus forte maintenant. Sa deuxième chemise est kaki avec de grandes poches à revers. Lorsqu’elle essaie de retirer la flasque de la poche gauche, un rauque miaulement d’agonie lui échappe — c’est tout ce qu’elle peut se permettre sans respirer trop fort —, mais quand elle parvient à la libérer, sa douleur dans la poitrine diminue un peu. La balle l’a aussi transpercée et, sur la face en contact avec sa peau, les échardes de métal retournées sont brillantes de sang. Elle laisse choir la flasque foutue sur les Marlboro et s’attelle aux boutons de la chemise kaki. Ça prend un peu plus longtemps mais finalement la deuxième chemise tombe à terre. En dessous elle porte un T-shirt American Giant, le genre avec une poche aussi. Elle glisse les doigts à l’intérieur et en ressort une petite boîte de pastilles Altoids. Elle aussi est percée d’un trou. Le T-shirt n’a pas de boutons, Freddi glisse donc son petit doigt dans le trou laissé par la balle et tire. Le tissu se déchire et enfin elle peut voir sa peau, mouchetée de sang.

Elle a un trou juste où commence la faible courbure de son sein et à l’intérieur, elle distingue une chose noire. Ça ressemble à un insecte mort. Avec trois doigts cette fois, elle déchire le reste du T-shirt, puis les enfonce dans le trou et pince l’insecte. Elle le fait aller et venir comme une dent branlante.

« Ouuu… ouuuuh… ouuuh, PUTAAAIN ! »

Ça sort : pas un insecte, mais une balle. Elle la regarde puis la lâche dans le lavabo avec les autres trucs. En dépit de son mal de tête et du palpitement dans sa poitrine, Freddi réalise la chance absurde qu’elle a eue. C’était rien qu’un petit revolver, mais à bout portant, même un petit revolver aurait pu faire le boulot. Et il l’aurait fait, sans ce coup de bol incroyable. D’abord les cigarettes puis la flasque — c’est elle qui a le plus amorti —, ensuite la boîte d’Altoids et ensuite elle. Quelle distance du cœur ? Deux centimètres ? Moins ?

Son estomac se contracte, envie de vomir. Non, pas question, surtout pas. Le trou dans sa poitrine recommencerait à saigner mais ça serait pas ça le plus emmerdant. Sa tête exploserait. Ce serait ça le pire.

Maintenant qu’elle a dégagé la flasque et ses horribles griffes de métal (qui lui ont quand même sauvé la vie), elle respire un peu plus facilement. Elle se traîne au salon d’un pas lourd et contemple la mare de sang et de whisky. S’il s’était penché pour lui coller le canon dans la nuque… juste au cas où…

Alors que des vagues de nausée et de faiblesse la submergent, Freddi ferme les yeux et lutte pour ne pas perdre connaissance. Quand ça lui passe un peu, elle va jusqu’à son fauteuil et s’assoit très lentement. Comme une vieille avec le dos niqué, se dit-elle. Elle contemple fixement le plafond. Et maintenant ?

Sa première idée est d’appeler les secours, qu’une ambulance l’emmène à l’hôpital, mais qu’est-ce qu’elle leur dira ? Qu’un type se prétendant mormon ou témoin de Jéhovah a frappé à sa porte, qu’elle lui a ouvert et qu’il lui a tiré dessus ? Tiré dessus pourquoi ? Pour quelle raison ? Et pourquoi une femme seule comme elle irait-elle ouvrir à un inconnu à dix heures et demie du soir ?

Et c’est pas tout. La police viendrait. Et dans sa chambre, elle a trente grammes d’herbe et plusieurs doses de cocaïne. Elle pourrait se débarrasser de cette merde mais quid du matos dans sa salle informatique ? Elle a une demi-douzaine de logiciels craqués plus une tonne d’équipement ultra-cher qu’elle n’a pas exactement acheté. Les flics voudront savoir si, par hasard, madame Linklatter, l’homme qui vous a tiré dessus n’avait pas quelque chose à voir avec ce matériel électronique ? Peut-être que vous lui deviez un peu d’argent ? Peut-être que vous travailliez avec lui, à voler des numéros de cartes bancaires et autres données personnelles sur Internet ? Et ils pourront pas louper le répéteur en train de clignoter comme une machine à sous à Las Vegas tandis qu’il envoie indéfiniment son signal par Wifi et inocule un ver malveillant à chaque fois qu’il rencontre un Zappit connecté.

Qu’est-ce que c’est que ça, madame Linklatter ? À quoi cela sert-il exactement ?

Et qu’est-ce qu’elle leur racontera ?

Elle regarde autour d’elle, espérant voir l’enveloppe de fric abandonnée par terre ou sur le canapé, mais évidemment elle n’y est pas, il l’a emportée avec lui. En admettant qu’elle ait contenu du fric et pas juste des bandes de papier journal découpées… Et voilà où elle en est ; elle s’est pris une balle, elle a un traumatisme crânien (par pitié, Seigneur, pas une fracture), et elle est à court de pognon. Quoi faire ?

Éteindre le répéteur, voilà la première chose à faire. Dr Z est parasité par Brady Hartsfield, et Brady est un sale engin. Quoi que soit en train de faire le répéteur, c’est une saloperie. De toute manière, elle allait l’éteindre, non ? Tout ça est un peu vague, mais c’était bien ça le plan ? L’éteindre et sortir de scène côté jardin ? Il lui manque ce dernier paiement pour financer sa fuite mais, malgré ses tendances dépensières, elle a encore quelques milliers de dollars à la banque, et la Corn Trust ouvre à neuf heures. Et puis elle a sa carte de retrait. Donc éteindre le répéteur, étouffer dans l’œuf ce flippant site Z-End, se nettoyer la figure et foutre le camp en quatrième vitesse. Pas par avion — par les temps qui courent les aéroports ressemblent à des pièges à souris —, mais par le premier train ou bus en partance pour l’Eldorado à l’ouest. C’est pas ça la meilleure idée ?